Les raisons de la baisse des ventes de disques

2. Les raisons de la baisse des ventes de disques

La chute des ventes de disques s’expliquerait par le téléchargement gratuit de la musique sur Internet, ce qu’affirment les représentants des cinq majors (Universal, Sony, EMI-Virgin, Warner, BMG) réunis au sein du SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique). « La piraterie, via Internet, qui n’est effectivement pas sans effet, est un peu l’arbre qui cache la forêt », explique Jacques Le François, délégué CFDT chez EMI- Virgin.

Mais on est bien loin de la vérité ! C’est un bel alibi qui masque avant tout un manque d’anticipation ! « Si les disques se vendent moins, c’est aussi qu’ils sont trop chers et d’un niveau culturel en baisse. » Le délégué évoque le recrutement de nouveaux talents choisis parmi les lauréats de l’émission Star Academy, poussant l’offre vers le bas et exonérant les maisons de disque de la recherche d’artistes émergents de qualité.

Par ailleurs, le mode de distribution presque uniquement en grande surface (Fnac, Virgin, hypermarchés) favorise la vente de masse au détriment des disquaires qui ont fait faillite. « Après les belles années 80 et 90, les majors n’ont pas entrepris les conversions nécessaires, en particulier la formation des salariés vers les nouveaux marchés. Les passionnés de musique à la tête de ces entreprises ont laissé la place à des financiers dont la préoccupation principale consiste à rechercher la rentabilité à court terme» soutient le délégué.

Jacques Le François pointe également les coûts démesurés du marketing : « La concurrence a conduit à dépenser des millions d’euros en spots télé ou en radio pour le lancement d’un disque. » Un matraquage onéreux qui implique, en période déficitaire, de réduire les coûts. « Autrement dit, privilégier les gros bénéfices et se séparer des artistes les moins rentables », explique Alain Genod, délégué CFDT chez Universal. Ainsi en 2003, en France, 114 artistes ont perdu leur contrat. Des auteurs-compositeurs comme Jacques Higelin ou Yves Duteil n’ont plus de maison de disques. « C’est toute la diversité culturelle qui pâtit de cette politique».

Ce sombre tableau doit néanmoins être relativisé. L’industrie de la musique est en mutation. Les labels indépendants, représentés par l’UPFI (Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants) grâce à leurs petites structures de niche, peuvent subsister sur le marché.

Dans le passé, les changements technologiques (apparition de la radio, du 33 tours et de la cassette) ont souvent aussi remis en question l’organisation de l’industrie, provoquant l’entrée de nouveaux acteurs ou la modification des modèles d’affaires. La crise que connaît actuellement l’industrie du disque avec l’omniprésence du numérique, touche à la fois le support, avec la dématérialisation de la musique, et la promotion, avec les nouveaux moyens de diffusion.

Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer la crise actuelle de l’industrie du disque ? La baisse de consommation de la musique enregistrée est liée à plusieurs facteurs. En effet, l’acte d’achat du consommateur prend en considération le prix de vente lié à la qualité du bien proposé ainsi que l’adéquation entre ses goûts et les genres de musique proposés. La transformation de la consommation culturelle ou l’essor de nouveaux divertissements peuvent également en être la cause.

Parallèlement au téléchargement, de nouvelles formes d’écoute musicale se développent sur Internet. Par exemple, l’arrivée de nouveaux sites comme MySpace, les radios et les clips en ligne, les ventes de DVD ou de jeux vidéos peuvent affecter la consommation musicale. Ainsi, le développement de nouveaux loisirs pourrait se faire au détriment de la consommation musicale.

Face au développement du MP3 et des réseaux P2P, l’industrie du disque a réagi de deux manières. D’un côté, elle s’est engagée dans une lutte juridique acharnée contre le développement de ces échanges gratuits, d’un autre côté, elle a favorisé le développement de plateformes de vente de musique numérique sur Internet. La stratégie des majors repose sur trois axes : la prolifération des différents genres musicaux, un réseau de distribution international et une intensification des mécanismes de marketing.

On peut distinguer quatre formes de défaites au niveau français. Tout d’abord, une défaite sociale car il y a une multitude d’artistes en perte de vitesse (Jacques Higelin, Alain Chamfort, Ophélie Winter, Vanessa Paradis…) qui ont été licenciés. Puis, une défaite culturelle puisque les radios diffusent la même variété aseptisée (c’est pas objectif ! ) au détriment de la diversité des talents. De plus, une défaite industrielle où les consommateurs protestent face au téléchargement légal.

Ceci est dû à une guerre des standards entre Apple, Microsoft et Sony, les empêchant d’écouter leur musique en passant d’un support à l’autre. De fait, les baladeurs MP3 ne lisent pas tous les fichiers. Enfin, une défaite morale, imposant la gratuité de la musique dans l’esprit de la jeunesse comme le droit commun de la consommation musicale.

Face à cela, M, Benabar, Keren Ann, Sinclair, Jean-Louis Aubert, Khaled … pétitionnent, à l’appel du Nouvel Observateur, pour que les procès contre les fraudeurs du disque cessent.64 Comment les majors peuvent-elles réagir face à cette décadence ?

Prenons l’exemple de Pascal Nègre, patron d’Universal Music : « J’ai dû couper dans les dépenses à tous les étages : moins d’aides aux tournées, ce qui représente environ 15 % de mon budget marketing. Moins de pub télé et, du coup, un peu plus de pub à la radio, c’est moins cher.

On a dû fermer nos quatre bureaux régionaux et licencier une quinzaine de personnes. On a été plus vigilants sur les clips en instaurant des » seuils d’exposition «, c’est-à-dire qu’on ne fabrique le clip que lorsque la chanson est diffusée par un nombre significatif de radios». 65

Les premiers touchés ont été les jeunes artistes : sur 200 interprètes sous contrat chez Universal France, entre 20 et 30 jeunes talents se sont fait licencier en raison d’un ou deux premiers singles aux ventes décevantes. « Sur dix artistes signés, un ou deux connaîtront un jour le succès, explique Nègre. J’ai dû réduire ce réservoir de 15 %, et je sais pertinemment que je suis en train de rater le prochain Calogero ! Il faut des années pour lancer une Zazie ou un De Palmas. J’ai peur que les vraies conséquences du piratage n’adviennent que dans trois ans : une génération d’artistes français aura été sacrifiée ! Les gens qui téléchargent illégalement ne s’en rendent pas compte ».

S’il faut des années pour façonner un talent, on comprend pourquoi le gourou d’Universal France a plongé corps et âme dans la Star Academy de TF1, dont il s’est assuré l’exclusivité phonographique à chaque édition. Dans ce cas précis, trois mois suffisent à lancer Jenifer, Nolwenn … Cependant, Pascal Nègre se défend d’avoir négligé, pendant ce temps, les « vrais » artistes. La créativité d’Universal France sera-t-elle touchée par ces prises de décisions ? C’est au public d’en juger… (Supprimer)

Pour palier à cette chute inexorable sur les revenus des ventes de disques, Pascal Nègre juge bon de diversifier son activité en se consacrant à des secteurs annexes : Universal Music, fort de son réseau de 80 vendeurs couvrant près de 5 000 enseignes (Fnac, Carrefour, Auchan…), distribue tout le catalogue des films de StudioCanal (une autre filiale de Vivendi). « Je couvre ainsi mes frais fixes sur un support, le DVD, qui ne concurrence pas les nôtres », se réjouit Pascal Nègre. Donc, le roi du disque surfe sur le boom du DVD et se paie le luxe de distribuer « 9/11 », le succès de Michael Moore…

Il en est de même pour la téléphonie mobile puisque les jeunes en sont friands. En conséquence, Bouygues Telecom commercialise son forfait Universal Music mobile : 100 000 abonnés y ont souscrit. Il touche ainsi une redevance mensuelle sur chaque abonné.

Dès lors, un nouveau marché est touché : les radios privées. Aujourd’hui, pour passer autant de chansons qu’elles souhaitent (soit 60 à 90 % de leur temps d’antenne), les majors paient forfaitairement une licence légale que se partagent équitablement les artistes et les producteurs. Son montant est de 2,8 % des recettes publicitaires nettes des radios (4,25 % en brut), contre 7 % en Allemagne et 15 % en Grande-Bretagne. En 2001, les producteurs français se sont ainsi partagés 9 millions d’euros !!!

Si Universal vend des disques, c’est aussi parce que NRJ diffuse la même nouveauté jusqu’à dix-huit fois par jour ! Pascal Nègre a donc fait fructifier ses intérêts en réduisant les dépenses. Sauf une, bien entendue ! : les salaires des patrons de label.

Pascal Nègre gagne 83 330 euros de salaire mensuel.66 Son bonus annuel, en revanche, s’est effondré avec la crise du disque. Il déclare : « Le moindre patron de label, du style Mercury, Barclay, Polydor … émarge à 30 000 euros par mois alors que, honnêtement, ce sont de petits business. Il y a quelques années, EMI France cherchait son dirigeant. Un chasseur de têtes m’a proposé le job pour 61 000 euros par mois, 183 000 euros de bonus annuel, plus un tiers du pack en stock-options tous les trois ans. Vous imaginez combien de disques il faut vendre pour payer le salaire du patron ? »

Le marché de la musique ne subit donc pas une véritable crise puisqu’elle continue à se vendre, associée à d’autres supports. Le CD devra-t-il laisser la place à d’autres canaux de diffusion ? Le virage est déjà très distinctement annoncé et les gérants de labels doivent dès à présent apprendre à diversifier leurs activités. Certains d’ailleurs ont déjà pensé au e-Label (label numérique).

64 700 actions en justice en Europe, une trentaine de procès pénaux en France.

65 Interview de Pascal Nègre par Jean-François Jaquier pour le journal Le Point le 03 mars 2005.

66 1 million d’euros par an, l’équivalent d’un disque de platine.

La crise du disque n’est pas cependant la fin du disque. Le support numérique musical évolue vers des supports audiovisuels ou des offres de produits dérivés comme les sonneries etc.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Paul Verlaine Metz – UFR - Science Humaine et Arts
Auteur·trice·s 🎓:
Di Virgilio Marion

Di Virgilio Marion
Année de soutenance 📅: Domaine Sciences des Interactions Humaines mention Esthétique, Arts et Sociologie de la Culture spécialité Industries Culturelles - Mémoire de Master 1 Projets Culturels
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