Les patent trolls : le terme PATENT TROLL

Les patent trolls : le terme PATENT TROLL

Partie II –

Les patent trolls : un 360°

Dans cette seconde partie, nous nous intéresserons aux patent trolls, au sens large. D’une question de définition, plus ardue à résoudre qu’elle n’apparaît de prime abord, nous identifierons ensuite quelques éléments de la stratégie des trolls.

Le troisième chapitre sera consacré à l’étude des caractéristiques de l’environnement juridico-politico-économique qui favorisent le développement du patent trolling. Ensuite, nous discuterons de l’effet qu’ont les trolls sur l’innovation, par le biais des deux vues principales que l’on peut avoir sur eux : parasites ou intermédiaires de marché. Le panorama ne saurait être complet sans une étude chiffrée de l’ampleur du phénomène : ce sera l’objet du cinquième chapitre.

Chapitre 1. Question de définition : d’une malhonnêteté sémantique à une malhonnêteté comportementale

Qu’est ce qu’un patent troll ? Beaucoup d’auteurs se sont employés au difficile exercice de la définition mais peu ont réussi à en donner une convaincante, suffisamment précise sans être excessive.

Nous étudierons l’origine du terme « patent troll » et ce qu’il recouvre avant de proposer une caractérisation, plutôt qu’une définition, basée sur des critères comportementaux.

SECTION 1.

LE TERME « PATENT TROLL »

A l’origine, un troll est un personnage issu de la mythologie scandinave; c’est un « lutin vivant dans les montagnes ou les forêts »33, ayant une forme humanoïde mais d’apparence monstrueuse. Bien qu’il soit, dans les légendes nordiques, tantôt bon, tantôt mauvais, le troll est assimilé, dans notre imaginaire occidental collectif, à un être maléfique, vivant dans des caves ou sous les ponts, dans l’attente de quelque voyageur imprudent qu’il pourrait détrousser.

Aujourd’hui, le troll est quelque peu plus populaire et il apparaît tant dans la littérature que dans les jeux vidéos, tant dans les jeux de rôles qu’au cinéma. Souvent symbole de laideur, fourberie, idiotie et méchanceté, il fut également utilisé pour désigner un perturbateur agissant sur les forums de discussion sur internet, chat ou autres blogs, dont les commentaires désobligeants et/ou outranciers n’ont pour seul et unique but que de provoquer des réactions émotionnelles chez les autres utilisateurs34.

Plus récemment, le troll fit son entrée dans le monde de la propriété intellectuelle. Bien que l’expression soit fréquemment attribuée à Peter Detkin, ancien cadre de chez Intel, celle-ci fut mentionnée pour la première fois en 1993, dans un article d’abord35, dans une vidéo ensuite, « The Patents Video »36, réalisée à l’attention des entreprises, universités et administrations américaines37. Celle-ci présente les patent trolls non seulement comme une conséquence de brevets (trop) larges mais également comme une entité qui attend « le bon moment » pour surgir, qui se positionne stratégiquement pour collecter les royalties qui lui sont dues38.

Cependant, c’est bien à l’issue d’un litige impliquant la société américaine Intel Corporation que ce terme est véritablement passé dans le jargon des professionnels de la propriété intellectuelle. En 2001, le géant des semi-conducteurs faisait face à la société TechSearch LLC; la seconde poursuivait le premier en contrefaçon39 d’un brevet ayant trait à un microprocesseur40. Après avoir qualifié TechSearch et son avocat Raymond P. Niro41 de patent extortionists, Peter Detkin, alors en charge de la propriété intellectuelle chez Intel, remit l’expression « patent troll » au goût du jour, afin d’éviter d’autres poursuites en diffamation.

Sa définition, la première du genre, désigne un patent troll comme « quelqu’un qui essaie de générer beaucoup d’argent, par le biais d’un brevet qu’il n’utilise pas, n’a pas l’intention d’utiliser et, dans la plupart des cas, n’a jamais utilisé »42.

Bien qu’elle fasse figure de pionnière, nous ne pouvons raisonnablement nous satisfaire d’une telle définition, trop large et imprécise. Avant de nous lancer dans l’analyse de ce terme controversé, précisons ici, plus pour l’anecdote que pour l’intérêt scientifique, que Peter Detkin quitta Intel pour fonder et codiriger Intellectual Ventures, une société spécialisée dans l’acquisition de brevets, souvent qualifiée elle-même aujourd’hui de patent troll43. Nous y reviendrons.

Le terme patent troll véhicule indubitablement, de par sa sémantique même, une image négative. La sémantique n’est d’ailleurs pas sans effet et contribue à aveugler ou, à tout le moins, troubler l’analyste qui, trop souvent, postule que le patent troll est nécessairement néfaste et qu’il constitue un détournement du droit du brevet. C’est pourquoi nous préférerons, dans un premier temps, l’usage du terme Non-Practicing Entity (NPE), moins chargé négativement.

La caractéristique principale de ces entités, personnes physiques ou morales, est simplement d’être non practicing : elles détiennent des brevets ou autres droits de propriété intellectuelle mais n’ont pas l’intention ou la capacité de produire, commercialiser ou utiliser l’invention brevetée. Plutôt que de renoncer à leur(s) droit(s), elles cherchent à en tirer profit par le biais de licences d’exploitation et/ou à le(s) faire respecter par le biais des tribunaux44.

33 Le Petit Larousse Illustré, v° Troll, 2007.

34 PCMAG.Com, v° Trolling, http://www.pcmag.com/encyclopedia_term/0,2542,t=trolling&i=53181,00.asp# (consulté le 15 février 2010).

35 N. RUTTER, « The great patent plague – When Intel doesn’t sue », Forbes, 29 mars 1993, p. 65.

36 INTELLECTUAL PROPERTY VIDEOS, LLC., The Patents Video, 1994.

37 Un extrait de la vidéo peut être visionné sur YOUTUBE, The original Patent Troll, http://www.youtube.com/watch?v=lOGoZFzH (consulté le 15 février 2010).

38 X., « The Original Patent Troll Returns », Intellectual Property Today, 8 mai 2007.

39 TechSearch, L.L.C. v. Intel Corp., 286 F.3d 1360 (Fed. Circ. 2002).

40 U.S. Patent No. 5,574,927.

41 Raymond P. Niro est senior partner chez Niro, Scavone, Haller & Niro, un cabinet d’avocats de Chicago qui se consacre exclusivement à des litiges en matière de propriété intellectuelle.

42 Traduction libre de B. SANDBURG, « You may not have a choice. Trolling for Dollars », The Recorder, 30 juillet 2001.

La littérature regorge de définitions de ces deux termes, toutes différentes et certaines meilleures que d’autres. Comme évoqué ci-dessus, de nombreux auteurs assimilent, volontairement ou non, NPE et patent trolls en utilisant tantôt une expression, tantôt l’autre45. Il s’agit d’un raccourci dangereux et cela devrait, tant que faire se peut, être évité. Comme nous allons le voir dans la prochaine section, les NPE, sous le couvert de ce nom générique, recouvrent des réalités bien différentes.

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