Les débats sur l’action civile dans le procès pénal

Les débats sur l’action civile dans le procès pénal

2°. L’office du juge répressif à l’égard de l’action en indemnisation

567. Lorsque le juge répressif est saisi de l’action en indemnisation, il est chargé de la double mission de juger à la fois l’action publique et l’action civile841. Les débats prennent alors une physionomie particulière car il y a deux procès en un, ou plutôt deux instances en un procès.

Le juge répressif doit statuer non seulement sur l’action civile mais également sur l’action publique, cette dernière relevant de sa mission principale.

Il convient alors, avant d’aborder l’office du juge pénal sur la seule action civile, de déterminer comment cet office s’articule avec celui sur l’action publique.

L’examen de l’action civile par le juge répressif nous conduit, comme pour son exercice devant ce juge, au problème de la place de l’action civile dans le procès pénal, qui dépend du caractère accessoire de la compétence civile du juge répressif et de la nature indemnitaire de l’action civile842.

567 Crim. 25 février 1897, Bull. n° 71, S. 1898, 1, 201 note J.-A. Roux; Crim. 2 mai 1984, Bull. n° 150 (cessionnaire avec subrogation, considéré comme subissant un préjudice indirect); Crim. 6 juin 1988, Bull. n° 248, Gaz. pal. 89.1.11 (seul le propriétaire de la chose volée ou recelée est directement lésé par la soustraction frauduleuse de la chose et le transfert ultérieur du droit de propriété, s’il confère au cessionnaire des actions en revendication et en réparation du préjudice subi par lui, ne comporte pas l’exercice devant la juridiction répressive de l’action civile réservée à la seule victime de l’infraction); Crim. 6 novembre 1990, Gaz. pal. 1991.2.Somm. 277.

La question des débats sur l’action civile dans le procès pénal renvoie à celle des rapports entre l’action civile et l’action publique, qui est dominée par le caractère accessoire de la compétence civile du juge pénal (a). La nature indemnitaire de l’action civile détermine quels fondements juridiques de cette action le juge répressif peut examiner (b).

a) Les débats sur l’action civile dans le procès pénal

568. Deux questions se posent à propos des débats sur l’action civile dans le procès pénal, souvent de manière indissociable : celle de la place et celle du contenu de ces débats dans le procès pénal. Les réponses à ces questions dépendent de deux considérations primordiales.

D’une part, le juge répressif est saisi de deux actions de natures différentes, l’action publique et l’action civile, et la place et le contenu de l’action civile doivent être déterminés par rapport à l’action publique.

D’autre part, l’action publique et l’action civile reposent sur les mêmes faits, que le juge répressif doit établir afin de statuer sur les deux actions.

569. La place des débats sur l’action civile. Cette question renvoie à la place de l’action civile dans le procès pénal. Le caractère accessoire de la compétence civile du juge répressif permet aisément de déduire l’ordre dans lequel le juge pénal examine l’action publique et l’action civile : il statue sur la seconde après avoir tranché la première843.

C’est ce qui est communément admis : il est logique que le juge pénal se consacre d’abord à sa mission principale, le jugement de l’action en répression, avant de remplir sa mission accessoire, le jugement de l’action civile. En outre, si le sort de l’action civile peut dépendre de celui de l’action publique, l’inverse n’est pas vrai844.

570. Cet ordonnancement du procès pénal pourrait éventuellement être considéré comme une conséquence de l’application directe du principe de la primauté du criminel sur le civil, mais cela est sujet à discussion.

Il est en effet difficile d’admettre une transposition particulière, devant le juge répressif, des deux règles qui découlent de ce principe et s’imposent au juge civil –la règle le criminel tient le civil en l’état et l’autorité absolue de la chose jugée au criminel sur le civil–, dans la mesure où ces deux règles sont inopérantes devant le juge pénal car elles ne peuvent s’appliquer que lorsque le juge qui statue sur l’action civile est distinct du juge répressif845.

Il ne peut y avoir de sursis à statuer lorsque le juge qui statue sur l’action civile est celui qui statue sur l’action publique : ce juge peut d’ailleurs statuer sur les deux actions le même jour dans un même jugement, pourvu qu’il commence par l’action publique avant de statuer sur les intérêts civils.

Quant à l’autorité de la chose jugée au criminel, elle se réduit souvent au respect de ce qui a été jugé sur les faits, en raison de la différence de nature entre les fondements juridiques respectifs de l’action publique et de l’action civile846.

A cet égard, le juge répressif qui statue sur l’action civile respecte alors plus une règle de bon sens qu’une règle juridique consacrant une autorité de la qualification pénale sur la qualification civile.

Il ne peut en effet y avoir de contradiction entre la solution pénale et la solution civile du procès, dans la mesure où la qualification civile est indépendante de la qualification pénale.

En revanche, il ne doit pas y avoir contradiction entre les décisions pénale et civile en ce qui concerne les faits, qui doivent rester les mêmes847.

A partir du moment où les faits soumis à la qualification pénale puis à la qualification civile sont les mêmes, il ne peut finalement y avoir de contradiction entre la décision pénale et la décision civile848.

En tout état de cause, l’application directe du principe de la primauté du criminel sur le civil aboutit généralement à des résultats similaires à ceux de l’application de ses corollaires : le juge répressif ne statue sur l’action civile qu’après avoir statué sur l’action publique, et sa décision sur les intérêts civils ne doit pas être en contradiction avec celle sur l’action publique.

571. Les objets respectifs de l’action civile et de l’action publique et leur fondement commun. Nous pouvons cerner de manière plus précise la place et le contenu de l’action civile dans le procès pénal en nous référant aux objets respectifs de l’action civile et de l’action publique et à leur fondement commun.

Si l’objet indemnitaire de l’action civile est indépendant de l’objet répressif de l’action publique, les deux actions ont pour fondement commun les faits dont le juge répressif est saisi.

Pour statuer sur une action, le juge doit établir les faits et leur appliquer les qualifications juridiques pertinentes d’où découle la solution du litige.

Ainsi, le juge répressif doit appliquer aux faits leur qualification civile pour statuer sur l’action en indemnisation, après leur avoir appliqué leur qualification pénale pour statuer sur l’action en répression. Ceci pose le problème de l’établissement des faits, qui apparaît être le préalable au jugement des actions pénale et civile.

Dans la mesure où le même juge est saisi des deux actions et du même ensemble de faits donnant lieu à ces actions, il n’est pas souhaitable que ces faits donnent lieu à deux examens successifs dans le cadre de chacune des actions.

Il serait en effet redondant et source de contradictions que l’action publique donne lieu à un examen des faits, puis que l’action civile donne lieu à un autre examen de ces mêmes faits849.

572. L’examen des faits et de leur qualification civile. Etant donc admis d’une part qu’il ne doit y avoir un seul examen des faits par le même juge, et d’autre part que ce juge doit statuer d’abord sur l’action publique puis sur l’action civile, la question est de savoir si les faits doivent être examinés à l’occasion du jugement de la première action envisagée, l’action publique, ou préalablement au jugement des deux actions, publique et civile.

Dans un cas comme dans l’autre, l’examen de l’action civile est, stricto sensu, réduit à l’application aux faits de leur qualification civile. Toutefois, lato sensu, cet examen de l’action civile comprend deux phases : l’établissement des faits puis l’application du droit civil à ces faits.

573. Dans le premier cas, dire que le juge répressif doit statuer sur l’action civile au regard des faits établis dans le cadre de l’action publique peut paraître conforme à la primauté du criminel sur le civil et au caractère accessoire de la compétence civile du juge répressif.

Ce serait également affirmer que le juge répressif saisi de l’action civile statue dans les mêmes conditions que le jugecivil, qui est tenu de respecter la décision rendue sur l’action publique, notamment en ce que cette décision tient certains faits pour établis. Toutefois, cette solution révèle plus un caractère accessoire de l’action civile par rapport à l’action publique qu’une compétence accessoire.

En outre, il paraît étrange de statuer sur l’action civile en considération de faits établis dans le cadre de l’action publique, dans la mesure où les faits n’ont pas tous la même pertinence au regard de chacune des deux actions.

Ce système doit être écarté pour des raisons tenant non seulement au jugement de l’action civile, mais également au jugement de l’action publique.

En premier lieu, il y a une différence entre d’une part affirmer que le juge qui statue sur l’action civile ne doit pas contredire ce qui a été décidé sur l’action publique, ce qui laisse une marge d’appréciation pour le surplus, et d’autre part affirmer que le juge doit statuer sur les intérêts civil en considération des seuls faits établis dans le cadre de l’action publique.

En second lieu, le juge répressif serait conduit à établir dans le cadre de l’action publique des faits nécessaire au jugement de l’action civile, mais sans pertinence au regard des poursuites pénales850.

574. La deuxième hypothèse, celle d’un établissement des faits préalable au jugement des deux actions, publique et civile, présente le double avantage d’éviter les inconvénients de la première solution et de mieux refléter le travail du juge saisi de ces deux actions.

Les faits sont la source commune des deux actions et il est donc logique qu’ils soient établis au préalable plutôt que d’être accaparés par l’une de ces actions.

En cas d’exercice d’une voie de recours sur les seuls intérêts civils, la décision sur l’action publique devient définitive. Or, si elle incorpore l’établissement des faits, l’appel sur l’action civile ne peut que se résumer à contester l’application du droit civil aux faits.

En effet, ces derniers sont alors établis et il n’est plus possible de les contester, sauf à porter atteinte à l’autorité de la chose jugée au criminel et à la force de chose jugée de la décision définitive sur l’action publique.

Au contraire, si l’établissement des faits est distinct de l’application du droit, l’exercice des voies de recours sur l’une des deux actions seulement permet le réexamen à la fois des faits et de l’application du droit pertinent851.

En outre, l’architecture du procès pénal obéit ainsi à la nécessité d’établir les faits, source commune des deux actions publique et civile, pour pouvoir statuer ensuite sur chacune de ces actions en appliquant successivement à ces faits le droit pénal puis le droit civil.

575. Aussi, il ne nous paraît pas opportun d’opter pour une organisation du procès pénal en deux étapes : d’abord, dans le cadre de l’action publique, établissement des faits et application du droit pénal puis, dans le cadre de l’action civile, application du droit civil aux fait établis dans le cadre de l’action publique.

Il nous paraît préférable de retenir une organisation en trois étapes qui rend mieux compte de la nécessité d’établir les faits avant de leur appliquer les qualifications juridiques pertinentes. La première étape correspond à l’établissement des faits en vue de pouvoir statuer sur les deux actions publique et civile.

568 Par ex. réaffirmant que « la subrogation dans les droits de la victime d’une infraction ne peut être invoquée pour demander l’indemnisation du préjudice résultant de cette infraction, un tel préjudice n’étant ni direct ni personnel pour le tiers subrogé » : Crim. 8 février 1993, Bull. n° 63. Cf. supra

569 Cf. supra

570 Pour le Fonds de garantie automobile, devenu le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages : Crim. 4 avril 1957, D 1958 p. 132 et note A. Besson p. 126; Crim. 4 avril 1957, JCP 1957 II 10161 obs. J. Granier, S 1958 p. 117 note R. Meurisse; Crim. 4 juin 1957, D 1958 p. 125 note A. Besson, S 1958 p. 117 note R. Meurisse; Crim. 24 octobre 1957, Bull. n° 677; Crim. 7 janvier 1958, Bull. n° 21. Cf. supra n° 102.

571 Cf. supra n° 91.

572 Crim. 4 février 1938, S 1939,1,273. Toutefois, un syndicat ayant pour mission de défendre les intérêts professionnels, il peut se constituer partie civile pour défendre l’intérêt collectif de la profession auquel le prévenu a porté atteinte : Crim. 13 mars 1979, Bull. n° 104.

573 Crim. 15 juin 1954, Bull. n° 216 (Ordre des Avocats); Crim. 14 janvier 1969, JCP 1969 II 16101 (Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens).

574 Crim. 10 novembre 1976, JCP 1977 II 18709 note M. Delmas-Marty; Crim. 16 décembre 1954, Bull. n° 409.

575 Article 388-1 du Code de procédure pénale.

La deuxième étape correspond à l’application, à ces faits établis, du droit pénal afin de statuer sur l’action publique. La troisième étape correspond à l’application, aux mêmes faits, du droit civil afin de statuer sur l’action en indemnisation. Pour effectuer cette troisième étape, le juge répressif doit examiner le droit à indemnisation.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top