Les 45-60 ans : âges de transition

Les 45-60 ans : âges de transition

Université Paris Descartes

Faculté des Sciences Humaines

et Sociales Sorbonne

Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel

Les 45-60 ans : âges de transition

Les 45-60 ans : âges de transition

Charlotte Feuillafée

Tél. : 06 64 82 69 96

Email : [email protected]

Directeur du mémoire : Professeur Dominique Desjeux

Membre du jury : Professeur François De Singly

Juin 2008

Résumé

Le vieillissement est un processus commun à tous les hommes. Physiologiquement, les effets du vieillissement engendrent des changements sur le corps humain. Mais ces changements sont-ils vécus de la même façon par tous les individus ? Socialement, l’avancée en âge se caractérise par des individus intégrés socialement.

Bien que le poids de la routine puisse assigner une vie stable, des changements s’opèrent dans le mode de vie des individus.

En effet, face à une perspective temporelle qui se raccourcit, l’individu réaménage le sens de sa vie. Le vieillissement est également intégré au mode de vie, entraînant ainsi de nouvelles pratiques. Cependant, ces pratiques se positionnent-elles en rupture face aux pratiques passées ?

Le vieillissement est avant tout un sentiment qui se forme par l’arrivée des premiers signes et du fait du regard d’autrui.

Néanmoins, le vécu du vieillissement est également tributaire du poids des représentations sociales.

Face à une perspective temporelle qui se réduit, c’est finalement un nouveau rapport au temps qu’entretiennent les individus. Ce nouveau rapport au temps est un regard renouvelé sur le passé, le présent et l’avenir.

Remerciements :

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont aidé à la réalisation de ce mémoire. Merci à tous les enquêtés de m’avoir ouvert leur porte avec générosité. Merci à monsieur D. Desjeux pour ses conseils et son écoute.

Introduction

Le vieillissement et l’âge dans la tradition sociologique : une donnée qui a été longtemps occultée

Emile Durkheim, pourtant père fondateur de la sociologie occulte l’âge et le cycle de vie comme donnée explicative du comportement de suicide.

Alors même que les tableaux statistiques qu’il produit montrent que le taux de suicide augmente avec l’âge, il ne cherche pas vraiment à expliquer une telle corrélation. Pour Pierre Bourdieu, « la jeunesse n’est qu’un mot ». Dans ses œuvres, l’âge est peu présent, l’individu se définit avant tout par son appartenance sociale. Dans la tradition sociologique française, l’âge a donc été pendant longtemps occulté.

Pourtant, les comportements humains ne sont-ils pas compréhensibles et explicables par le cycle de vie ?

C’est aux Etats-Unis que l’âge devient un objet d’analyse sociologique dès les années 1940. Plusieurs articles parus dans le numéro de 1942 de l’American Sociological Review constituent ainsi les prémisses d’une réflexion sociologique sur l’âge1. Dans les années 1960 voient le jour des théories fonctionnalistes.

D’un côté les théories du désengagement comme celle développée par Cumming et Henry analysent le vieillissement comme une perte de rôles sociaux menant à la marginalisation en société de la personne âge.

D’un autre côté, les théories de l’activité considèrent qu’une substitution de la perte des rôles sociaux par l’implication de nouveaux rôles sociaux s’opère. En France, l’intérêt porté à l’âge dans les travaux sociologique est étroitement lié au contexte social et démographique.

C’est dans les années 1960 que s’affirme un intérêt pour l’âge. En effet, la jeunesse du Baby Boom a donné de l’intérêt sociologique à l’âge. Les pouvoirs publics préoccupés par les « problèmes » des jeunes financent alors des travaux sociologiques sur la question2. En 1962 le rapport de la

Commission d’étude des problèmes de la vieillesse dit rapport Laroque se penche sur la question de vieillissement. Mais c’est surtout à la fin du XXème siècle que se développe la sociologie de la vieillesse et du vieillissement.

Face à l’augmentation de l’âge de la population française, le vieillissement devient donc un fait d’actualité qui entraîne des problèmes d’ordre sociaux et économiques. Le vieillissement tend aujourd’hui à devenir un fait social posant problème alors qu’il est d’abord un processus naturel.

En dehors d’un problème socio-économique qui préoccupe la collectivité, qu’est-ce donc que le vieillissement ?

Qu’est-ce que le vieillissement ?

Le vieillissement est un processus continu, présent dès le début de l’existence et commun à tous les êtres vivants. Du point de vue de la biologie, il constitue une dégradation progressive de toutes les structures de l’organisme : molécules, cellules, tissus et organes spécialisés.

Au-delà de cette définition générale, on peut distinguer le vieillissement « normal » et le vieillissement pathologique. Alors que le vieillissement « normal » renvoie aux changements physiologiques et psychiques qui apparaissent avec le passage du temps, le vieillissement pathologique correspond à l’augmentation des maladies au fil de l’âge.

Du point de vue de la définition sociale, le vieillissement devient un problème social. Il est un enjeu de société avec les problématiques médicales, sociales et économiques qui se posent. Si le vieillissement est un vécu individuel, il devient donc un questionnement collectif.

Comme le rappelle V. Caradec dans Sociologie de la vieillesse et du vieillissement3, le vieillissement relève d’une construction sociale.

Mais à quel âge est-on « vieux » ? Socialement, la réponse reste floue. Elle est étroitement liée aux représentations sociales. A ce sujet, Pierre Bourdieu écrivait dans un article de 1974 « a jeunesse n’est qu’un mot ». L’âge est donc « une donnée biologique socialement manipulée et manipulable. »

Le vieillissement sous-tend donc des réalités diverses. C’est un processus naturel. C’est aussi un construit social du point des échelles macro et micro-sociales. Mais à l’échelle micro-individuelle, le vieillissement est avant tout un sentiment, un ressenti.

Considérant le vieillissement en tant que construit social, quelles sont alors aujourd’hui les représentations du vieillissement ?

Une évolution des représentations sociales du vieillissement

De nos jours, l’allongement de l’espérance de vie et l’entrée des Baby Boomers dans l’âge dit « senior » fait du vieillissement un phénomène naturel grandissant dans la société actuelle. Les « seniors » sont devenus une cible importante du marché.

On est ainsi entré dans une ère qui semble s’opposer aux paroles de Simone de Beauvoir qui dans La vieillesse4 écrivait que « pour la société, la vieillesse apparaît comme une sorte de secret honteux dont il est indécent de parler ».

Si le vieillissement est un sujet de société très exprimé, son image est aussi construite par les médias, ou encore par le marché qui cherche à conquérir cette population cible.

L’image de la vieillesse dans notre société a évoluée. Beaucoup de peintres ont dénoncé autrefois la laideur de la vieillesse.

L’œuvre Les trois âges de la femme de Gustave Klimt met en avant la laideur de la vieillesse dans la représentation du corps, en contraste avec l’enfance et la maturité. A l’opposé, des œuvres de Rembrandt donnent à certains «veillards» une beauté, comme dans Homère l’aveugle.

Les représentations de la vieillesse et de son aspect physique sont donc contrastées tant dans la peinture que dans les médias aujourd’hui. Il apparaît alors un lien fort entre les représentations de la vieillesse et celles de la beauté.

Mais au-delà des représentations sociétales du vieillissement, il faut se replacer au niveau de l’individu pour bien comprendre ce phénomène car l’image sociétale est une construction sociale. Le vieillissement est un sujet qui a déjà été questionné. Mais la société évolue, les représentations aussi.

C’est donc un sujet toujours à renouveler et à repositionner dans le contexte actuel.

Problématique

Pour tout individu, le vieillissement est inéluctable. C’est un processus naturel et continu tout au long du cycle de vie. Pourtant, le sens commun parle de vieillissement de l’individu à partir d’un certain âge. Un âge où des changements physiologiques se mettent en éveil.

Cela est perçu comme un changement à travers l’image de soi et le regard des autres. Ainsi au départ de la définition du vieillissement une contradiction se pose puisqu’il est à la fois une continuité et une rupture.

Le vieillissement est-il alors une continuité dans le cycle de vie ou une rupture ?

Le vieillissement est une avancée dans l’âge mais il n’est pas uniquement un phénomène physique et physiologique. C’est aussi une avancée dans la vie qui peut se caractériser par une vie de famille établie et une carrière professionnelle accomplie.

Si la jeunesse est rêveuse en projets, en construction de vie, qu’en est-il des individus approchant l’âge de la vieillesse ?

Comprendre le vieillissement c’est donc aussi comprendre la relation qu’entretiennent les individus avec le temps.

Le vieillissement est également un phénomène redouté. Dans La vieillesse5, Simone de Beauvoir écrivait justement que «toute société tend à vivre, à survivre; elle exalte la vigueur, la fécondité, liées à la jeunesse, elle redoute l’usure et la stérilité de la vieillesse».

En effet, la jeunesse est un idéal. Dans les méd ias par exemple, les corps féminins jeunes et minces sont exaltés, et les signes de vieillesse sont désignés comme une calamité, des changements physiques contre lesquels il faut lutter.

Interroger le vieillissement c’est donc interroger le rapport et les représentations que les individus ont par rapport à la jeunesse. C’est comprendre comment ce phénomène naturel est appréhendé tant dans les pratiques que dans les représentations.

Enfin, par les changements qu’il implique, il convient également de se demander si le vieillissement concoure à altérer l’identité individuelle.

A travers cette étude, il s’agit d’une part de cerner les pratiques des individus à travers l’analyse de leur mode de vie et de son évolution. Ceci permet de remettre en perspective les pratiques de individus avec le cycle de vie.

D’autre part, il s’agit de comprendre comment est vécu le vieillissement à travers l’analyse de pratiques relatives à ce phénomène ainsi que par les représentations.

Il ne s’agit donc pas de comprendre le vieillissement comme un phénomène en surface, mais comme un processus qui intègre un rapport au corps, à l’identité, au temps et au monde.

Méthodologie

Afin d’analyser et de comprendre le vieillissement, la méthode d’enquête qualitative a été utilisée. Si l’angle d’approche qualitatif n’a pas vocation à généraliser, il permet cependant de mettre à jour un ensemble de déterminants à l’origine des comportements sociaux.

D’autre part cette enquête a été réalisée dans une approche compréhensive. Cette approche apparaît en effet pertinente car elle permet de prendre en compte la diversité des comportements, l’évolution des pratiques et du mode de vie, tout en mettant en évidence les représentations des individus face au vieillissement.

Ainsi, grâce à cette méthode, il est possible de rendre compte des logiques d’actions qui sont utilisées par les individus. Pour J.C Kaufmann6, la méthodologie compréhensive permet d’identifier à la fois les pratiques et les représentations des personnes, tout en examinant en profondeur les logiques de l’individu.

Il s’agit ainsi de reconstruire le discours subjectif des individus et comprendre leurs schèmes de pensées, leurs représentations et la perception qu’ils ont de leurs propres logiques. Il s’agit aussi mettre en évidence et mieux comprendre la diversité de comportements, dont seront dégagés des mécanismes sociaux.

Cette méthode est particulièrement pertinente pour cerner en profondeur les déterminants, les arbitrages et les décisions prises par l’individu, grâce aux approches micro sociale –échelle relative aux espaces domestiques et aux petits groupes- et micro individuelle –échelle relative à l’individu-7.

A l’aide d’un guide de questions ouvertes établi préalablement, 16 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne de 1h30 chacun ont été réalisés in situ, au domicile des interviewés, ou dans des lieux publics pour des raisons de commodité. L’enquête s’est déroulée à Paris, en région parisienne, dans l’Oise et dans le Nord, lieu où sont domiciliés les enquêtés.

Variables d’échantillonnage 

Les individus particulièrement concernés par le vieillissement sont définis comme ceux appartenant à la tranche d’âge 45-60 ans. Deux étapes dans le cycle de vie ont guidé ce critère d’âge. D’une part, 45 ans correspond à l’âge moyen où les parents font l’expérience du départ de leurs enfants du domicile.

Dans le cadre d’étude du vieillissement, le départ des enfants constitue un fait social pertinent à mettre en relation avec l’analyse du mode de vie des individus. D’autre part, 60 ans est un âge de transition vers la retraite.

Le choix d’enquêter sur des individus encore actifs permet de mettre davantage en exergue le vécu du vieillissement indépendamment de la retraite qui impacte sur le mode de vie et constitue un tournant dans le cycle de vie.

Ainsi âgés entre 45 et 60 ans, les enquêtés de cette étude sont alors d’emblée dans un âge marqué par des changements comme le départ des enfants, mais aussi dans un âge de transition, celle menant vers le retraite.

Par ailleurs, la démarche méthodologique étant qualitative, les critères d’échantillonnage visent une diversité de genre, de situation familiale et de catégorie sociale. Ceci permet de mettre en évidence les effets de structure et les différences qui peuvent s’établir au sein de cette diversité face au vieillissement.

1 GALLAND, O., « Adolescence, post-adolescence, jeunesse : retour sur quelques interprétations », Revue française de sociologie, 2001, vol. 42-4, p. 611-640.

2 MAUGER, G., Les jeunes en France. Etat des recherches, Paris, La Documentation Française, 1994

3 CARADEC, V., Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2004

4 DE BEAUVOIR, S., La vieillesse, Paris, Gallimard, 1970

5 DE BEAUVOIR, S., La vieillesse, Paris, Gallimard, 1970

6 KAUFMANN, J.C., L’entretien compréhensif, Nathan, Collection 128, Paris, 1998, p.23

7 DESJEUX D., Les sciences sociales, P.U.F ; coll. QSJ, Paris, 2004, p.6-7

Modalités de recrutement 

C’est via le réseau personnel que les enquêtés ont été recrutés. Ce mode de mise en contact a eu pour intérêt d’être introduit directement auprès des enquêtés par l’intermédiaire d’une connaissance commune, et ainsi de favoriser le dialogue.

Tableau récapitulatif de l’échantillon

VARIABLES

D’ECHANTILLONAGE

DISTRIBUTION DES EFFECTIFS
GENRE10 femmes6 hommes
AGE4 individus entre 45

et 50 ans

7 individus entre 50 et

55 ans

5 individus entre 55

et 60 ans

CLASSE SOCIALE4 individus de CSP

inférieure

7 individus de CSP

moyenne

5 individus de CSP

supérieure

SITUATION MARITALE11 individus mariés3 individus divorcés

en couple

2 individus

célibataires

Sommaire :

Introduction

Partie I : L’avancée en âge, ruptures et continuités dans le mode de vie

1. Stabilité et évolutions de la vie professionnelle et familiale

1.1. Situation professionnelle et familiale

1.2. Impacts du départ des enfants

1.3. Un mode de vie stable mais une redéfinition du sens de la vie

2. Des pratiques liées au cycle de vie ?

2.1. Une évolution des pratiques liée à des effets de structure

2.2. Des pratiques de curiosité

2.3. Des pratiques adaptées à l’avancée en âge

2.4. Internet : une pratique permettant de rester attaché au monde actuel

3. Evolution des valeurs

3.1. Le rapport à l’argent

3.2. Une évolution des valeurs

3.3. Une prise de recul sur la vie

Partie II : Les signes de vieillissement

1. Face aux signes de vieillissement

1.1. Des signes vecteurs du sentiment de vieillissement

1.2. Une intégration des signes de vieillissement dans le mode de vie

1.3. Le vieillissement dans l’interaction

2. Stratégies adoptées face aux signes de vieillissements

2.1. Camoufler les signes de vieillissement

2.2. Le stratégies de camouflage : corriger plutôt que changer

2.3. Entretenir son corps et son esprit

2.4. Le souci de la santé

2.5. La fatalité du vieillissement: accepter de vieillir

3. Un nouveau rapport à soi

3.1. Un plus grand soin de l’apparence pour réduire les effets du vieillissement

3.2. Un modèle de vie moins basé sur l’apparence

Partie III : Représentations face au vieillissement

1. Qu’est-ce que le vieillissement ?

1.1. Eléments déclencheurs du vieillissement

1.2. Le vieillissement : une évolution de la vie vers la mort

1.3. Le vieillissement n’est pas qu’un effet d’âge

1.4. Beauté et vieillissement sont-ils compatibles ?

2. Images sociétales du vieillissement

2.1. Une évolution des représentations sociales du vieillissement

2.2. Le vieillissement : un phénomène « parasite »

Partie IV : rapports intergénérationnels, temps et identité

1. Une identité générationnelle ?

1.1. Des rapports intergénérationnels disparates

1.2. Un fossé culturel entre générations ?

1.3. Impacts du vieillissement sur le regard des autres 832. Le rapport à la jeunesse

2.1. A la recherche de la jeunesse passée ?

2.2. La jeunesse : rupture ou continuité ?

3. face à une perspective temporelle qui se raccourcit…

3.1. Un autre rapport à la mort

3.2. Un nouveau rapport au temps

4. Quel avenir pour les 45-60 ans ?

4.1. Des perspectives d’avenir intégrées dans un nouveau rapport au temps

4.2. La retraite : une rupture dans le cycle de vie

Conclusion

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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