L’intervention de l’assureur au procès pénal

L’intervention de l’assureur au procès pénal

Université Nancy 2
Faculté de Droit
Ecole Doctorale Sciences Juridiques

PolitiquesEconomiques et de Gestion
Centre de Recherche de Droit Privé

THESE en vue de l’obtention du Doctorat en DroitL’intervention de l’assureur au procès pénalL’intervention de l’assureur au procès pénal
Contribution à l’étude de l’action civile

Présentée et soutenue par :
Monsieur Romain SCHULZ

Année universitaire :
le 18 novembre 2009

Membres du Jury :
Madame France CHARDIN,
Maître de conférences à la Faculté de Droit, Sciences économiques et Gestion de l’Université de Nancy,

Monsieur François FOURMENT,
Professeur à la Faculté de Droit et Sciences politiques de l’Université de Nantes, Rapporteur,

Monsieur Jérôme KULLMANN,
Professeur à l’Université Paris Dauphine, Directeur de l’Institut des Assurances de Paris,

Rapporteur,

Monsieur Luc MAYAUX,
Professeur à l’Université Jean Moulin (Lyon 3), Directeur de l’Institut des Assurances de Lyon,

Monsieur Jean-François SEUVIC,
Professeur à la Faculté de Droit, Sciences économiques et Gestion de l’Université de Nancy, Directeur de la recherche.

L’Université n’entend ni approuver ni désapprouver les opinions particulières du candidat.
A la mémoire du Docteur Paul Schulz et de Monsieur Jean Brunet

Introduction

« Lorsque l’énoncé d’un problème est exactement connu, le problème est résolu, ou bien c’est qu’il est impossible. La solution n’est donc autre chose que le problème bien éclairé ».

Emile-Auguste Chartier, dit Alain : Propos de littérature (1934)

1. Intervention de l’assureur et participation de l’assureur au procès pénal.

Une précision s’impose d’emblée s’agissant de l’intervention de l’assureur au procès pénal : elle ne vise qu’un aspect de la possible participation d’un assureur à un procès devant le juge répressif.

En effet, un assureur peut, de manière classique et comme tout justiciable, être partie à un procès pénal en qualité de partie civile, de prévenu ou d’accusé, ou encore de civilement responsable.

L’assureur victime d’une infraction peut se constituer partie civile afin de poursuivre l’auteur et d’obtenir réparation de son préjudice1. L’assureur peut également comparaître devant les juridictions répressives en qualité de prévenu ou d’accusé lorsqu’il lui est reproché d’être l’auteur d’une infraction.

L’assureur est par définition une personne morale, mais depuis l’entrée en vigueur du Code pénal de 1992, une entreprise d’assurance est, comme toute personne morale de droit privé, susceptible d’engager sa responsabilité pénale aux termes de l’article 121-2 du Code pénal.

Le droit des assurances fournit lui-même des occasions de rechercher une telle responsabilité dans la mesure où il érige en infraction certains manquements à la réglementation de l’assurance, conformément à une tendance qui n’épargne aucun secteur2.

L’assureur peut enfin être partie à un procès pénal en qualité de civilement responsable du prévenu ou de l’accusé. Une hypothèse encore trop répandue est celle de l’assureur responsable du fait de l’un de ses préposés3, ou d’un mandataire qui s’est rendu coupable d’infraction à l’occasion de l’exercice de l’activité d’intermédiation en assurance4.

Toutefois, ces cas de participation de l’assureur au procès pénal ne présentent guère de spécificité, du moins d’un point de vue juridique. L’assureur est alors traité comme n’importe quelle victime, n’importe quel prévenu ou accusé, n’importe quel civilement responsable.

1 Le cas le plus répandu est celui de l’escroquerie à l’assurance : Crim. 5 décembre 1961, Bull. n° 498; Crim. 14 juin 1995, RGDA 1996 p. 479 note E. Fortis; Crim. 26 juin 1997, n° 96-84030, RGDA 1997 p. 1115 note E. Fortis; Crim. 16 février 1999, RGDA 1999 p. 495, note E. Fortis; Crim. 16 novembre 2005, n° 05-80540, Bull. n° 297; Crim. 4 juin 2009, n° 08-85702. L’assureur peut également être victime d’abus de confiance ou de faux et usage : Crim. 8 avril 2009, n° 08-84359; Crim. 17 juin 2009, n° 08-88076.

2 Constituent par exemple des délits le fait de pratiquer sur le territoire de la République française des opérations d’assurance sans y être habilité (art. L 310-27 C. assur.), le fait de ne pas répondre aux demandes d’information de l’Autorité de contrôle des assurances ou d’entraver son contrôle (art. L 310-28 C. assur.), les manquements à certaines règles régissant la constitution et le fonctionnement des entreprises d’assurance (art. L 328-5 C. assur.).

3 Comme tout commettant est civilement responsable du fait de son préposé en application de l’article 1384 alinéa 5 du Code civil.

4 L’article L 511-1, III. du Code des assurances prévoit que dans le cadre de l’exercice de l’activité d’intermédiation en assurance, « l’employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l’article 1384 du Code civil, du dommage causé par la faute, l’imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés pour l’application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire ». Ainsi, même lorsque le mandataire de l’assureur dispose d’une liberté telle qu’il n’y a pas de lien de préposition, l’assureur peut tout de même être responsable du fait de ce mandataire dans les conditions de la responsabilité du commettant du fait du préposé. Par ex. Crim. 16 juin 1999, n° 98-81940; Crim. 16 février 2000, n° 98-84705; Crim. 23 février 2005, n° 04-82364; Crim. 16 novembre 2005, n° 05-83670; Crim. 6 juin 2007, n° 06-85374; Crim. 13 octobre 2007, n° 07-82035.

2. Intervention de l’assureur au procès pénal et exécution du contrat d’assurance.

La participation de l’assureur au procès pénal qui nous intéresse est celle de l’assureur de la victime, du prévenu ou de l’accusé, ou du civilement responsable.

L’intervention de l’assureur au procès pénal désigne la participation au procès pénal de l’assureur de l’une des parties principales à ce procès. C’est en tant que garant du dommage que cet assureur est mis en cause ou intervient volontairement.

L’assureur de choses ou de personnes de la victime et l’assureur de responsabilité civile du prévenu ou du civilement responsable peuvent être mis en cause par leur assuré, ainsi que par la victime exerçant l’action directe en ce qui concerne l’assureur de responsabilité.

En outre, l’assureur de la victime subrogé dans les droits de cette dernière après l’avoir indemnisée doit pouvoir faire valoir ces droits contre les responsables et leurs assureurs.

Par exemple, un automobiliste est poursuivi pour avoir renversé un cycliste par imprudence ou négligence, et lui avoir causé des blessures ainsi que des dommages matériels (bicyclette hors d’usage).

Le cycliste peut solliciter la garantie de son assureur au titre de garanties de son contrat « multirisque habitation » ou d’une « garantie des accidents de la vie ».

Il peut notamment demander la prise en charge de certains frais médicaux (assurance de personnes indemnitaire) et du remplacement de la bicyclette (assurance de choses).

Dans la mesure où le cycliste recherche la responsabilité de l’automobiliste, ce dernier peut solliciter la garantie de son assureur automobile, au titre de la garantie obligatoire de la responsabilité du conducteur ou gardien d’un véhicule terrestre à moteur. Le cycliste peut également exercer l’action directe contre l’assureur de responsabilité de l’automobiliste pour solliciter une indemnisation de sa part.

Lorsque l’assureur de choses ou de personnes du cycliste a versé à ce dernier, avant l’ouverture du procès, une prestation de caractère indemnitaire ouvrant droit à un recours subrogatoire, il est subrogé dans les droits de la victime à hauteur de l’indemnité versée. Il peut alors exercer un recours contre l’automobiliste et/ou l’assureur de responsabilité de ce dernier.

Il apparaît donc que l’intervention de l’assureur au procès pénal est liée à l’exécution du contrat d’assurance, soit que l’intervention de l’assureur ait pour objet cette exécution (action en garantie), soit qu’elle soit consécutive à cette exécution (recours subrogatoire de l’assureur qui a indemnisé la victime).

En outre, cette exécution du contrat d’assurance doit concerner l’indemnisation du préjudice résultant des faits poursuivis.

Ainsi, lorsque la prestation d’assurance ne concerne pas directement cette indemnisation, l’assureur n’a pas vocation à participer au procès.

Cela est notamment le cas de l’assureur de protection juridique d’une partie, dont le rôle est de fournir à son assuré des prestations d’assistance technique et financière pour la conduite du procès, mais qui n’apparaît pas en tant que partie à l’instance.

Après ces quelques éclaircissements sur la notion d’intervention, sur laquelle nous reviendrons dans le cadre de la présente étude5, nous pouvons rapidement circonscrire les notions d’assureur et de procès pénal.

3. Assureur intervenant au procès pénal.

De ce qui précède, nous pouvons aisément définir l’assureur comme la personne qui peut être tenue, sur le fondement d’une obligation d’assurance, d’indemniser le dommage découlant de l’infraction.

Cette obligation découle d’un contrat d’assurance. Au titre de ce contrat, « l’assureur est tenu de deux obligations : de couverture et de règlement »6.

La première est celle de couvrir éventuellement le risque défini pendant la durée prévue par le contrat. La seconde est celle de régler la prestation convenue en cas de sinistre. C’est l’exécution de l’obligation de règlement qui est en jeu dans le cadre de l’intervention de l’assureur au procès pénal.

L’assureur peut donc être défini pour les besoins de la présente étude comme la personne tenue en exécution d’un contrat d’assurance d’une obligation de régler une indemnité destinée à compenser le dommage découlant des faits pénalement poursuivis7.

Nous reviendrons dans le cadre de la présente étude sur la détermination des personnes pouvant à ce titre être considérées comme assureur, et susceptibles d’intervenir au procès pénal8.

4. Procès pénal auquel l’assureur est susceptible d’intervenir.

La notion de procès pénal mérite également d’être précisée. Dans une acception large, elle pourrait désigner l’ensemble du processus se déroulant de la commission de l’infraction à la fin de l’exécution de la peine.

Toutefois, c’est une conception plus restreinte et plus « judiciaire » que nous retiendrons, dans la mesure où l’intervention de l’assureur au procès pénal est celle de l’assureur devant le juge répressif qui statue sur l’action civile.

Ceci nous conduit à exclure l’enquête préliminaire, qui n’est pas une phase judiciaire, ainsi que l’exécution de la peine qui, bien que suivie par un magistrat, est postérieure aux décisions rendues par le juge répressif sur l’action publique et sur l’action civile.

De surcroît, l’intervention de l’assureur n’a de sens que si le juge répressif est saisi de l’action en indemnisation du dommage découlant des faits poursuivis. Le procès pénal auquel l’assureur sera susceptible de participer sera en conséquence le procès porté devant un juge répressif saisi de l’action civile.

En règle générale, il s’agira d’une juridiction répressive de jugement, saisie à la fois de l’action publique et de l’action civile. Mais il existe des cas dans lesquels le juge répressif est saisi de la seule action civile.

En outre, la question des juridictions d’instruction mérite également d’être posée en considération de leur compétence à l’égard de l’action civile. Nous reviendrons dans le cadre de la présente étude sur la détermination des juridictions répressives devant lesquelles l’assureur est susceptible d’intervenir9.

Les premiers éléments qui viennent d’être exposés afin de circonscrire la notion d’intervention de l’assureur au procès pénal font apparaître que cette intervention a pour objet de porter devant le juge répressif une discussion qui a trait au contrat d’assurance. Ceci pose la question d’une éventuelle antinomie entre l’objet du contrat d’assurance et celui du procès pénal.

5. Antinomie entre l’objet du contrat d’assurance et celui du procès pénal.

On peut se demander si le prétoire pénal est bien un lieu approprié pour discuter de la garantie d’assurance.

Dans son étude de référence sur l’assureur et le procès pénal, Monsieur Chesné a commencé par souligner l’apparente antinomie entre l’objet du contrat d’assurance, qui est purement patrimonial et ne concerne que des intérêts particuliers, et la mission du juge répressif, qui connaît à la fois des atteintes portées à l’ordre social et des atteintes qui peuvent être portées à l’individu poursuivi.

Ces dernières dépassent largement les intérêts patrimoniaux d’ordre indemnitaire. Il fut un temps, révolu en France, où le procès pénal mettait en jeu la vie ou l’intégrité physique de la personne poursuivie.

Restent actuellement en jeu l’honneur, la liberté, le patrimoine et les droits de l’individu poursuivi (qui encourt la déchéance de certains droits tels que le droit de vote ou l’autorité parentale, ou des interdictions telles que l’interdiction d’exercer certaines professions ou l’interdiction du territoire français).

Les atteintes patrimoniales encourues devant le juge répressif (amende, confiscation) ont un caractère punitif dont il découle qu’elles sont par définition une charge lourde à supporter10. M. Chesné estime toutefois que cette antinomie peut être réfutée et qu’il est possible d’établir entre l’objet du contrat d’assurance et celui de la justice pénale une relation juridique certaine11.

6. L’objet du contrat d’assurance est indiscutablement patrimonial.

Il est en effet de protéger le patrimoine de l’assuré contre les aléas pouvant affecter son actif (assurance de personnes garantissant les atteintes à l’intégrité corporelle et assurance de choses protégeant les biens de l’assuré) ou son passif (assurance de responsabilité civile garantissant la dette de responsabilité de l’assuré)12.

L’exécution du contrat d’assurance relève d’un rapport particulier entre l’assureur d’une part, et l’assuré ou le bénéficiaire de la garantie d’autre part. En ce sens, on peut parler de rapports d’ordre privé13. Le contrat d’assurance concerne donc des intérêts particuliers et purement patrimoniaux, et le contentieux de l’assurance paraît en conséquence relever de la compétence du juge civil.

7. A l’inverse, le procès pénal concerne l’intérêt général.

Il a pour objet de statuer sur la culpabilité d’une personne et de prononcer éventuellement une peine ou une mesure de sûreté.

Il met en jeu non pas des intérêts purement patrimoniaux, mais d’un côté l’ordre public, et de l’autre des intérêts de la personne poursuivie qui dépassent le cadre patrimonial.

Le procès pénal est avant tout celui de l’action publique. Son objet est la répression des faits poursuivis sous une qualification d’infraction. Or, l’intervention de l’assureur au procès pénal ne relève pas de l’action publique. Elle est relative à l’exécution du contrat d’assurance et répond à des fins indemnitaires uniquement.

La garantie d’assurance est mise en œuvre dans le cadre de l’action en indemnisation des dommages découlant des faits pénalement poursuivis, c’est-à-dire dans le cadre de l’action civile.

Il doit être rappelé que le juge naturel de l’action civile n’est pas le juge répressif mais le juge civil. La question de l’intervention de l’assureur au procès pénal nous renvoie donc à l’antinomie entre les notions d’action publique et d’action civile, et aux rapports pouvant exister entre ces deux actions.

5 Cf. infra n° 545 et s., 696 et 876.

6 L. Mayaux : V° Assurances terrestres (2° le contrat d’assurance), Rép. civ. Dalloz, septembre 2007, n° 4 et 185 et s.; J. Bigot et alii : Traité de droit des assurances. t. 3 : Le contrat d’assurance, LGDJ 2002, n° 52.

7 Cet assureur n’est pas forcément français, c’est-à-dire une entreprise d’assurance établie en France. Il suffit qu’il soit l’une des entreprises d’assurance autorisées à pratiquer des opérations d’assurance sur le territoire de la République française en application de l’article L 310-2 du Code des assurances, ce qui s’étend aux entreprises d’assurances de l’Union européenne et aux entreprises établies hors de l’Union qui ont reçu un agrément.

8 Cf. infra n° 699 et s.

9 Cf. infra n° 752 et s.

8. Antinomie entre action civile et action publique.

« L’action publique pour l’application des peines » visée à l’article 1er du Code de procédure pénale et « l’action civile en réparation du dommage causé » citée à l’article 2 du même Code sont nettement distinguées depuis le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV.

Ces deux actions s’opposent par leurs objets et même par leurs sujets respectifs. L’action publique, destinée à lutter contre le trouble social provoqué par l’infraction, est exercée par le ministère public au nom de l’intérêt de la société, dont il est le gardien. En outre, elle met en jeu des droits fondamentaux, dont la liberté et l’honneur des individus.

Au contraire, l’action civile en réparation du dommage n’oppose que des intérêts privés et pécuniaires. Cependant, au-delà de leur antinomie, l’action publique et l’action civile sont unies par un lien très fort : elles trouvent leur source commune dans les mêmes faits.

Cela explique que ces deux actions ne soient pas systématiquement séparées malgré leur antinomie, et que se pose le problème de leurs rapports.

9. Rapports entre action civile et action publique14.

Un premier système concevable de rapports entre l’action publique et l’action civile est une confusion des deux actions, ce qui autorise la victime à défendre à la fois ses intérêts et ceux de la collectivité.

La répression et la réparation ne sont pas clairement dissociées, et la peine peut remplir les deux fonctions15.

Mais ce système n’a plus cours de nos jours car les deux actions sont distinguées. La question est alors de savoir si elles doivent être totalement séparées ou si elles peuvent coexister dans un même procès.

Les pays anglo-saxons connaissent un système de séparation totale des actions publique et civile : l’action civile ne peut être portée que devant les juridictions civiles et son exercice est indépendant de celui de l’action publique.

Un système d’interdépendance de l’action publique et de l’action civile peut également être envisagé. Ce système consacre le fondement commun de ces deux actions qui trouvent leur origine dans les mêmes faits.

Cette interdépendance se traduit par plusieurs règles, dont la plus importante est la faculté de porter l’action civile au choix devant le juge civil, qui est son juge naturel, ou bien devant le juge répressif conjointement à l’action publique.

En outre, l’action civile subit à plusieurs égards l’influence de l’action publique, y compris lorsqu’elle est portée devant le juge civil, notamment par le jeu des règles du sursis à statuer et de l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil.

Le système de l’interdépendance de l’action publique et de l’action civile est celui qui a été retenu en France. C’est pourquoi la question de l’intervention de l’assureur au procès pénal dans le cadre de l’action civile peut être légitimement posée, de même qu’elle s’est posée dans d’autres pays16.

10. Interdépendance des actions publique et civile.

Légitimité de la question de l’intervention de l’assureur à l’action civile devant le juge répressif.

La question de l’intervention de l’assureur au procès pénal ne peut se concevoir que dans le cadre du système d’interdépendance des actions publique et civile, parce que le juge répressif connaît alors de l’action civile. Cela étant, encore faut-il que la nécessité de l’intervention de l’assureur se fasse sentir.

Or, nous pouvons observer que lorsque le Code d’instruction criminelle a été adopté, consacrant la compétence civile du juge répressif, l’assurance était très peu développée et son rôle dans l’action en indemnisation n’était pas important. Aussi, la question de l’intervention de l’assureur à l’action civile ne se posait pas réellement au début du XIXème siècle.

Il n’était pas gênant que l’assureur ne puisse intervenir qu’à l’action en indemnisation portée devant le juge civil, le besoin de l’attraire devant le juge répressif restant marginal.

C’est avec le développement de l’assurance et sa place croissante dans l’indemnisation des dommages, y compris ceux découlant d’une infraction, que l’assureur est devenu un acteur presque incontournable de l’action en indemnisation et que son absence devant le juge répressif a vraiment été ressentie.

Il aura fallu attendre la première moitié du XXème siècle pour que la question de l’intervention de l’assureur devant le juge répressif se pose avec une insistance telle que la Cour de cassation soit amenée à prendre position.

Nous pouvons revenir sur cette évolution historique, indissociable de l’évolution de l’action civile et de l’assurance depuis le début du XIXème siècle, et dont le point de départ est l’interdépendance des actions publique et civile, consacrée par le Code d’instruction criminelle.

11. Interdépendance des actions publique et civile.

Admission de l’action civile de la victime devant le juge répressif.

Comme les Professeurs Merle et Vitu l’ont justement énoncé, « dans le Code d’instruction criminelle, puis dans le Code de procédure pénale, le droit français a consacré le système de l’interdépendance de l’action publique et de l’action civile, qui permet à la victime d’agir en indemnisation devant les juridictions répressives »17.

Cette formulation met en lumière un point important : c’est l’action civile de la victime d’infraction qui est consacrée et organisée par le Code d’instruction criminelle de 1810 puis par le Code de procédure pénale de 1958.

Selon le schéma classique issu du Code d’instruction criminelle, les acteurs du procès pénal sont en demande le ministère public exerçant l’action publique et la victime exerçant l’action civile, et en défense le prévenu et le cas échéant son civilement responsable.

Ce schéma correspond à la réalité de l’époque. L’action publique met en relation le ministère public et la victime comme parties poursuivantes, et le prévenu comme défendeur. L’action civile concerne la relation entre les créanciers et débiteurs de l’indemnité réparant le préjudice découlant des faits poursuivis.

Or, au début du XIXème siècle, le créancier de l’indemnité était la victime, et les débiteurs étaient le prévenu pour sa responsabilité personnelle, et le civilement responsable pour sa responsabilité du fait du prévenu18.

Il en est découlé une conception relativement restreinte de l’action civile, limitée aux sujets et à l’objet de cette action qui pouvaient être identifiés à l’époque : l’action civile consistait alors uniquement en l’action en responsabilité civile née de l’infraction, et ne concernait donc que la victime et les responsables, ces derniers étant le prévenu et son civilement responsable.

C’est dans ces conditions que l’action civile admise devant le juge répressif a été définie dans le Code d’instruction criminelle puis le Code de procédure pénale19.

Par cette admission restreinte, mais à l’époque justifiée, de l’action civile devant le juge répressif, le législateur a instauré en 1810 un certain équilibre entre l’action civile et l’action publique.

12. Facteurs d’évolution de l’action civile.

Toutefois, l’admission limitée de l’action civile de la victime devant le juge pénal a été dépassée par plusieurs évolutions.

L’une d’elles concerne tant l’action publique que l’action civile et remonte à la fin du XIXème siècle : il s’agit de l’habilitation de certains groupements et personnes morales à « exercer les droits reconnus à la partie civile »20.

Cela n’est certes finalement qu’une prolongation de l’action de la victime de l’infraction, puisque ce sont des droits calqués sur ceux de la victime qui sont conférés à d’autres personnes. Toutefois, cette ouverture de l’action civile a modifié sa physionomie.

Une autre évolution concerne spécifiquement l’action civile et tend à remettre en cause la conception héritée du Code d’instruction criminelle. En effet, cette conception restrictive ne laisse pas de place à l’intervention à l’action civile de personnes qui, comme l’assureur, ne sont ni la victime de l’infraction, ni un responsable.

Or, depuis la seconde moitié du XIXème siècle, deux mouvements sont venus modifier l’équilibre entre l’action civile et l’action publique devant le juge pénal.

D’une part, les questions d’indemnisation des victimes ont pris une place croissante dans le procès répressif. D’autre part, l’assureur a de son côté acquis une place croissante dans l’action en indemnisation du dommage.

13. Place croissante des questions d’indemnisation des victimes dans le procès répressif.

A l’origine, dans le Code d’instruction criminelle, les questions d’indemnisation n’ont été admises que de manière limitée devant le juge répressif. Le procès pénal est avant tout celui de la répression dirigée contre le délinquant.

C’est par faveur pour la victime qu’on l’a autorisée à porter devant le juge pénal son action en responsabilité civile, afin qu’elle puisse obtenir plus facilement et plus rapidement réparation du dommage qu’elle a subi du fait de l’infraction. Toutefois, les questions d’indemnisation des victimes ont par la suite pris une place croissante dans le procès répressif.

Ce phénomène s’est manifesté de deux manières : non seulement par un accroissement de l’importance de l’action civile devant le juge répressif, mais également par l’utilisation de techniques de procédure pénale permettant de rechercher l’indemnisation des victimes par des techniques autres que l’action civile. Nous pouvons évoquer brièvement ces dernières avant de revenir sur l’action civile.

14. Indemnisation des victimes par des techniques de procédure pénale autres que l’action civile21.

Suite à l’adoption de la loi du 8 juillet 1983 « renforçant la protection des victimes d’infractions », un commentateur a pu évoquer le « problème irritant, trop longtemps délaissé par le droit pénal, de l’indemnisation des victimes » et la « prise de conscience de plus en plus aiguë de ce que le droit pénal manque partiellement à sa fin, s’il néglige le sort des victimes d’infractions »22.

Or, la facilitation de l’action civile n’a pas été le seul moyen adopté par le législateur pour favoriser l’indemnisation des victimes d’infractions.

Des dispositions de droit pénal ou de procédure pénale ont également été adoptées dans le but d’assurer l’indemnisation des victimes par des mécanismes relevant plus de l’action publique que de l’action civile. Ces mécanismes peuvent impliquer l’indemnisation de la victime à différents stades de la procédure.

S’agissant des alternatives aux poursuites pénales, des mécanismes permettent d’inciter l’auteur à indemniser la victime pour éviter la mise en œuvre de l’action publique : le classement sans suite sous condition d’indemnisation de la victime23, la médiation pénale24, elle-même inspirée du mécanisme de « médiation-réparation » 25, la composition, pénale26.

En cas de poursuites, le cautionnement fourni ou les sûretés constituées par la personne mise en examen sont affectées à la garantie non seulement de la représentation de cette personne, mais également au paiement prioritaire « de la réparation des dommages causés par l’infraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque la personne mise en examen est poursuivie pour le défaut de paiement de cette dette », par préférence aux amendes27.

En cas de déclaration de culpabilité par le juge répressif, la réparation du dommage causé est l’une des conditions de la dispense de peine28.

Le régime du sursis avec mise à l’épreuve permet d’imposer au condamné l’obligation de « réparer en toute ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l’infraction, même en l’absence de décision sur l’action civile »29.

L’ajournement simple du prononcé de la peine et l’ajournement avec mise à l’épreuve tendent à inciter le prévenu à indemniser la victime dans le meilleur délai et de préférence avant sa comparution à l’audience de jugement, cette indemnisation étant considérée comme le meilleur des gages d’amendement30.

Pour les personnes condamnées à une peine privative de liberté, une part des valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l’établissement pénitentiaire, est affectée au désintéressement des parties civiles et des créanciers d’aliments; ces dispositions sont également applicables aux personnes placées en détention provisoire31.

La loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 a instauré une peine à la fois principale et alternative, la sanction-réparation, qui consiste dans l’obligation pour le condamné de procéder, dans le délai et selon les modalités fixés par la juridiction, à l’indemnisation du préjudice de la victime (article 131-8-1 du Code pénal).

Si le condamné ne respecte pas cette obligation, il encourt une peine que la juridiction fixe en même temps que l’obligation d’indemniser, et dont le juge d’application des peines pourra ordonner la mise à exécution, en tout ou partie.

Le Professeur Conte souligne que le législateur a donc franchi le pas consistant à admettre que l’unique réponse d’une juridiction de jugement à la commission d’une infraction puisse être l’obligation d’en effacer les conséquences, si bien que le coupable d’une faute pénale n’est pas traité autrement que l’auteur d’une simple faute civile32.

L’institutionnalisation d’un tel dispositif se révèle « déconcertant à bien des égards »33. Il y a là une regrettable confusion entre la fonction répressive et la fonction réparatrice.

Nous pouvons également relever la création d’un juge délégué aux victimes (JUDEVI) par un décret du 13 novembre 200734. Ce juge n’intervient pas dans l’examen de l’action civile mais exerce d’autres fonctions destinées à faciliter l’indemnisation des victimes.

Il préside la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions35; il peut intervenir pour transmettre au magistrat du siège ou du parquet la demande présentée par une victime dont l’action publique a été traitée dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites36; il vérifie les conditions dans lesquelles les parties civiles sont informées de leurs droits, participe à l’élaboration et à la mise en œuvre de dispositifs d’aide aux victimes et établit un rapport annuel sur l’exercice de ses attributions37.

Enfin, la loi n° 2008-644 du 1er juillet 2008 a institué une aide au recouvrement des dommages-intérêts à la charge du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions pour toutes les victimes qui ne peuvent pas bénéficier d’une indemnisation par la CIVI38.

10 En témoigne l’importance des amendes encourues par les personnes morales, qui peuvent représenter le quintuple de l’amende encourue par une personne physique pour la même infraction.

11 G. Chesné : L’assureur et le procès pénal, RSC 1965 pp. 284-285.

12 J. Kullmann : Lamy Assurances 2009, n° 7; Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : Droit des assurances, 12ème éd. 2005 Dalloz, n° 53 à 56.

13 Etant toutefois rappelé que les contrats d’assurance peuvent le cas échéant avoir le caractère de contrats administratifs (article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, dite loi MURCEF, J.O. du 12 décembre).

14 R. Garraud : Traité théorique et pratique du droit pénal français, t. 1, 3ème éd. 1913 Sirey, n° 68 et s.; R. Merle et A. Vitu : Traité de droit criminel, t. 2 : Procédure pénale, Cujas 5ème éd. 2001, n° 26.

15. Outre ces mécanismes de procédure, Le droit pénal spécial a également été mis en œuvre afin de garantir l’indemnisation des victimes d’infractions. Ainsi, le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité a été créé par la loi du 8 juillet 1983 « renforçant la protection des victimes d’infractions »39.

Antérieurement mais de manière indirecte, le délit de fuite a contribué à la protection des intérêts des victimes : il incrimine en effet un dol spécial consistant pour l’auteur à tenter d’échapper à sa responsabilité pénale ou civile, ce qui vise à limiter le risque pour la victime de ne pouvoir se retourner contre un responsable inconnu40.

16. Développement de l’action civile devant le juge répressif.

L’action civile admise devant le juge répressif par le Code d’instruction criminelle était très restreinte, car elle se limitait à l’action en responsabilité civile de la victime contre le prévenu et le civilement responsable sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil.

Cette action civile a par la suite connu un impressionnant développement qui s’est traduit par un élargissement concernant à la fois ses sujets et son objet et qui a conduit à un renouvellement de l’analyse de sa nature.

17. S’agissant de ses sujets, l’action en indemnisation du dommage a été ouverte à des personnes autres que la victime, le prévenu et le civilement responsable

En demande, l’action civile n’est plus réservée à la victime. Outre les groupements et personnes morales habilités par la loi à exercer les droits reconnus à la victime, par dérogation à l’article 2 du Code de procédure pénale41, la jurisprudence a admis l’exercice de l’action civile par certaines personnes : assureur agricole, caisses de Sécurité sociale, Etat, collectivités publiques et certains établissements publics, ce alors qu’elle excluait strictement des personnes dans des situations similaires, comme l’assureur subrogé dans les droits de la victime42.

De surcroît, la loi a expressément autorisé l’action de personnes subrogées dans les droits de la victime, comme le Fonds d’indemnisation des victimes d’infractions43 et, depuis la loi du 8 juillet 1983, l’assureur lorsque le prévenu est poursuivi pour homicide ou blessures involontaires44.

En défense, peuvent désormais intervenir à l’action civile le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommage45 ou l’assureur en cas de poursuites pour homicide ou blessures involontaires46. L’admission de certaines de ces personnes est révélatrice de l’évolution de l’action civile.

18. S’agissant de son objet, l’action civile n’a guère évolué en ce sens qu’elle reste l’action en indemnisation du dommage.

Nous pouvons toutefois relever à cet égard un recentrage de l’action civile sur son caractère indemnitaire, si ce n’est une éviction du caractère répressif qui lui a été ou lui est encore reconnu47.

Cela étant, l’action civile a indéniablement évolué en ce qui concerne le fondement juridique de l’indemnisation.

Force est de constater que l’action civile n’est plus aujourd’hui fondée uniquement sur les responsabilités civiles délictuelle, quasi-délictuelle ou du fait d’autrui des articles 1382 et suivants du Code civil.

En premier lieu, d’autres fondements de responsabilité civile peuvent désormais être invoqués devant le juge répressif : responsabilité sans faute telle que la responsabilité du fait des choses ou des animaux, responsabilité en cas d’accident de la circulation (loi du 5 juillet 1985) ou responsabilité contractuelle48.

En second lieu, la responsabilité civile n’est plus le seul fondement envisageable de la demande de réparation du dommage présentée dans le cadre de l’action civile : en particulier, la garantie d’un assureur ou d’un Fonds de garantie peut être sollicitée, bien qu’elle ne puisse en principe donner lieu à une condamnation civile prononcée par le juge répressif mais à une simple opposabilité de la décision.

Nous observons un recul de l’infraction comme fondement de l’action civile49, au profit de fondements purement civils parfois déconnectés de la notion de faute.

19. L’action civile a également acquis une place accrue devant le juge répressif lorsque ce dernier s’est vu reconnaître la possibilité de statuer sur l’action civile après relaxe du prévenu, dans les conditions de l’article 470-1 du Code de procédure pénale.

Ces dispositions introduites par la loi du 8 juillet 1983, et dont la version en vigueur résulte de la loi du 10 juillet 2000, représentent un grand progrès car antérieurement, le juge répressif ne pouvait statuer sur l’action civile qu’après avoir reconnu le prévenu coupable.

Elles autorisent en outre expressément le juge pénal à accorder réparation « en application des règles du droit civil », ce qui a permis l’élargissement de l’éventail des fondements juridiques pouvant être invoqués dans le cadre de l’action civile.

Il est de surcroît remarquable que l’action civile se soit un peu plus détachée de l’action publique, à laquelle elle survit même lorsque les poursuites se sont soldées par une relaxe. Le Professeur Bouloc a d’ailleurs évoqué une « action purement civile » à propos de l’action en indemnisation dont le juge répressif connaît après relaxe50.

15 C’était de cas du Wergeld du droit germanique, destiné à la fois à indemniser les victimes et à apaiser le trouble social causé par l’infraction.

16 Pour une brève étude de droit comparé, cf. infra n° 617 et s.

17 R. Merle et A. Vitu : op. cit. t. 2, n° 27.

18 Selon les règles du Code civil contemporain du Code pénal et du Code d’instruction criminelle.

19 Avant d’être abrogé, l’alinéa 3 de l’article 10 du Code de procédure pénale a expressément affirmé que réserve faite de la solidarité des prescriptions (d’ailleurs supprimée en 1980), « l’action civile est soumise à tous autres égards aux règles du Code civil ». En outre, l’article 74, devenu article 69 de l’ancien Code pénal disposait que « les cours et tribunaux devant qui ces affaires seront portées se conformeront aux dispositions du Code civil, livre III, titre IV, chapitre II », ce qui renvoyait donc expressément aux articles 1382 à 1386 du Code civil.

20. De manière plus générale, un facteur de développement de l’action civile est la pénalisation croissante de l’ensemble des activités humaines.

L’incrimination nouvelle de comportements ouvre la voie à l’exercice, devant le juge répressif, de l’action en indemnisation des dommages découlant de ces comportements, dont le juge pénal n’avait jusqu’alors pas à connaître.

Parallèlement à l’acquisition par l’action civile d’une plus grande place dans le procès pénal, on a pu observer que l’assureur occupait une place croissante dans l’action en indemnisation.

21. Place croissante de l’assureur dans l’action en indemnisation du dommage.

Les contours de l’action en indemnisation du dommage datent pour l’essentiel du Code d’instruction criminelle, c’est-à-dire du début du XIXème siècle.

L’action en indemnisation était elle-même conçue selon les dispositions de l’alors récent Code civil, dont les articles 1382 et suivants avaient mis en place un système de responsabilité individuelle et subjective51.

A cette époque, l’assurance n’était pas développée de manière significative. En particulier, l’assurance de responsabilité n’était pas considérée comme licite car il apparaissait contraire à l’ordre public de garantir les conséquences d’une faute52. Or, le système de responsabilité s’est avéré insuffisant face à la « révolution industrielle ».

A propos de l’influence de la révolution industrielle sur l’évolution de la responsabilité civile, le Professeur Geneviève Viney note que parallèlement à la multiplication soudaine des accidents qui a mis en lumière les insuffisances du système de responsabilité individuelle et subjective conçu par les rédacteurs du Code civil, le développement de l’assurance bouleversa l’équilibre interne du système traditionnel de la responsabilité civile en ouvrant la voie à la collectivisation des risques, cependant que le progrès des préoccupations égalitaires, du souci de la sécurité et du bien-être matériel dans un contexte d’enrichissement général incitait à créer des mécanismes d’indemnisation nouveaux destinés à prendre en charge certains risques dits « sociaux »53.

Il apparaît donc que l’assurance s’est développée pour répondre à un besoin d’indemnisation. L’assurance de responsabilité civile, garantissant la solvabilité du responsable et dont la validité a été admise depuis un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en 184554, a accompagné une mutation de la responsabilité civile.

L’assurance directe de choses ou de personnes a contribué à favoriser l’indemnisation des victimes assurées.

Un parallèle peut d’ailleurs être fait entre l’assurance et d’autres mécanismes de socialisation du risque. Cette évolution a conduit à une participation croissante de l’assureur à l’action en indemnisation intentée devant le juge civil, dont il est devenu un acteur essentiel.

22. Recherche de l’indemnisation et développement des assurances. On a pu observer de manière générale que l’urbanisation et l’industrialisation d’une part, le déclin de la solidarité familiale d’autre part, favorisèrent l’essor remarquable des compagnies d’assurances et des mutuelles au cours du XIXème siècle55.

L’industrialisation et la mécanisation ont conduit à une multiplication des accidents, notamment des accidents du travail et des accidents de transports. Face à cette multiplication des risques et des dommages, se sont développées dans la société une aversion au risque et une recherche systématique d’une indemnisation.

L’assurance permettant de répondre à ces besoins de maîtrise des risques et de garantie d’une indemnisation, il n’est pas étonnant que le XIXème siècle ait été pour elle la période de l’essor.

Le développement du secteur de l’assurance fut tel qu’il apparut nécessaire de légiférer afin de réglementer la matière du droit des assurances, et notamment du contrat d’assurance, qui se distinguait désormais du droit civil commun des obligations.

Le Code civil ne mentionne en effet le contrat d’assurance qu’en son article 1964, pour le ranger au nombre des contrats aléatoires.

C’est dans ces conditions que fut votée la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d’assurance.

Encore faut-il préciser que la France était en retard par rapport à d’autres pays européens qui s’étaient déjà dotés d’une loi générale sur le contrat d’assurance, tels la Belgique en 1874 et la Suisse et l’Allemagne en 190856. La loi du 13 juillet 1930 est le socle du Code des assurances qui fut créé en juillet 197657.

Plusieurs types d’assurances ont bénéficié de ce développement.

Il en va ainsi des assurances directes de nature à procurer à la victime assurée une indemnisation immédiate, comme les assurances de choses ou les assurances de personnes à prestations de caractère indemnitaire.

C’est également le cas de l’assurance de responsabilité qui, outre qu’elle permet à l’assuré de garantir le risque de devoir faire face à une responsabilité écrasante, constitue également une garantie de l’indemnisation de la victime, notamment face au risque d’insolvabilité du responsable.

Il a été affirmé avec force que l’assurance de responsabilité était une « garantie de la créance de la victime »58. L’assureur peut être un garant de l’indemnisation de la victime à deux égards : l’assureur de responsabilité est garant au bénéfice de la victime, et l’assureur de choses ou de personnes de la victime est garant au bénéfice de son assuré59.

23. Assurance de responsabilité civile et évolution de la responsabilité civile.

Le développement de l’assurance de responsabilité civile en vue de garantir l’indemnisation des dommages entretient des rapports étroits avec l’évolution de la responsabilité observée au XIXème siècle et qui s’est poursuivie au XXème siècle.

Le Professeur Viney démontre que l’assurance de responsabilité a « certainement été la cause essentielle de l’essor prodigieux qu’a connu la responsabilité civile entre les années 1880 et la période actuelle »60 et que cette « extraordinaire inflation » de la responsabilité civile « ne s’est en effet réalisée qu’au prix d’une transformation profonde qui a en réalité complètement défiguré l’institution imaginée par les rédacteurs du Code civil »61.

Cette institution correspondait à une responsabilité individuelle et subjective. Or, la nécessité de démontrer une faute pour caractériser la responsabilité constitue pour la victime un frein à l’obtention d’une indemnisation de la part de l’auteur du dommage.

Cependant, l’évolution vers une responsabilité objective entraînant une reconnaissance plus facile de la responsabilité ne pouvait être admise si elle devait conduire à écraser les responsables sous la charge de l’indemnisation, ce qui n’aidait d’ailleurs pas la victime se heurtant alors à l’insolvabilité de la personne reconnue responsable.

C’est l’assurance de responsabilité qui a permis l’extension de la responsabilité civile en répartissant sur une mutualité la charge d’une indemnisation que les seuls responsables auraient été dans l’incapacité d’assumer.

Le responsable s’efface derrière l’assureur dans la position de débiteur de l’indemnité62.

Naturellement, ce phénomène s’est traduit en procédure par la mise en cause de l’assureur du responsable, au côté de ce dernier ou même hors sa présence car la victime peut exercer une action directe contre l’assureur de responsabilité sans mettre en cause l’assuré responsable.

20 Selon une formule que l’on retrouve dans plusieurs textes, dont certains des articles 2-1 et suivants du Code de procédure pénale qui dérogent à l’article 2.

21 J. Pradel : Procédure pénale, Cujas 14ème éd., n° 262 et s.

22 M. Blin : La loi du 8 juillet 1983 sur la réparation du préjudice résultant d’une infraction (un an d’application jurisprudentielle), Gaz. Pal. 1985, 1, doctr. 141. Ph. Bonfils estime que la protection législative en faveur des victimes a été amorcée par la loi du 8 juillet 1983 : La participation de la victime au procès pénal, une action innomée, in Le droit pénal à l’aube du 3ème millénaire, mélanges offerts à Jean Pradel, Cujas 2006, p 179 note 2. Certaines dispositions favorables aux victimes sont antérieures, mais elles étaient éparses.

23 Article 41-1, 4° du Code de procédure pénale.

24. Le rôle de l’assurance de responsabilité dans l’indemnisation des victimes a été consacré par le développement des assurances obligatoires de responsabilité.

Alors que la liberté contractuelle a été un postulat du libéralisme du XIXème siècle, « les obligations d’assurance constituent sans doute l’une des caractéristiques actuelles les plus frappantes du droit moderne de l’assurance »63.

Ces obligations d’assurances se sont développées en France durant la seconde moitié du XXème siècle, la première à avoir un véritable impact sur le public étant la loi du 27 février 1958 instituant l’obligation d’assurance en matière de circulation de véhicules terrestres à moteur64.

25. Assurance directe de choses ou de personnes et indemnisation des victimes, Plutôt que devoir rechercher l’indemnisation de son dommage auprès d’un responsable et de son assureur65, la victime peut préférer garantir son indemnisation en souscrivant elle-même une assurance directe : assurance de choses pour les risques d’atteintes à ses biens et assurances de personnes pour les risques d’atteintes à son intégrité corporelle.

L’assurance directe constitue un moyen commode d’obtenir une indemnisation rapide, indépendamment de la mise en jeu et même de l’existence de la responsabilité d’un tiers.

L’assureur indemnise son assuré victime à partir du moment où les conditions de garantie sont remplies, à charge pour lui d’exercer les éventuels recours contre les responsables et leurs assureurs66. La victime est ainsi à la fois indemnisée et libérée du poids de l’action en responsabilité. Ceci explique qu’elle se soit développée pour répondre au besoin de sécurité qui n’a cessé de croître.

Cette évolution a été reconnue par les pouvoirs publics et comme pour les assurances de responsabilité, on a pu observer une multiplication des assurances directes obligatoires.

Ainsi, l’assurance directe obligatoire a été à l’origine du système des « assurances sociales » et de la « Sécurité sociale »67.

L’assurance obligatoire peut se traduire soit par la souscription obligatoire d’une assurance68, soit par l’adjonction obligatoire d’une garantie à une assurance souscrite librement69. En outre, les assurances directes non obligatoires continuent aussi à proliférer.

26. Ce développement de l’assurance directe a également eu une incidence sur l’évolution de l’action en indemnisation. Cette incidence est en particulier due au recours subrogatoire que l’assureur de la victime qui a indemnisé cette dernière peut exercer contre le responsable (et son assureur).

En premier lieu, l’assurance directe de la victime a une incidence sur l’appréciation de la responsabilité civile et s’oppose alors à l’assurance de responsabilité civile.

Alors que l’assurance de responsabilité favorise l’extension de cette responsabilité, l’assurance directe peut conduire les juges à n’admettre la responsabilité que de manière restrictive, afin de ne pas modifier l’équilibre économique établi en matière de charge de l’indemnisation70.

En second lieu, le recours subrogatoire a modifié la physionomie de l’action en indemnisation car l’assureur subrogé peut exercer cette action, en lieu et place de la victime s’il l’a intégralement indemnisée, et au côté de la victime s’il ne l’a indemnisée que partiellement.

27. Assurance et socialisation du risque. La mutualisation des risques par l’assurance s’est développée conjointement à d’autres moyens de socialisation de certains risques destinés à fournir l’indemnisation de dommages71.

Alors que l’indemnisation des dommages reposait sur la responsabilité civile individuelle et subjective dans les Codes napoléoniens, la jurisprudence a franchi une première étape dans la socialisation directe des risques en admettant la responsabilité directe des personnes morales72.

Il aura fallu attendre le Code pénal de 1992 pour que la responsabilité pénale des personnes morales soit admise à côté de la responsabilité pénale des individus.

28. D’autres mécanismes sont proches de l’assurance et relèvent d’une philosophie voisine73.

Ainsi, l’assurance directe de personnes ou de choses qui s’était développée spontanément a été rendue obligatoire par le législateur dans certains domaines, pour donner naissance aux « assurances sociales ».

Ces dernières ont abouti à la mise en place de la Sécurité sociale en 1945, cette dernière pouvant être considérée comme « une véritable nationalisation de l’assurance en matière de maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès, l’obligation d’assurance y étant aggravée d’un monopole des organismes »74.

Toutefois, la Sécurité sociale se distingue de l’assurance par son caractère universel et surtout par le mécanisme de solidarité qui lui est propre; en outre, elle intervient sur des risques techniquement mal assurables75.

Comme l’assureur de personnes, une caisse de Sécurité sociale peut exercer un recours subrogatoire contre les responsables en lieu et place de la victime à laquelle elle a versé certaines prestations.

29. Les fonds de garantie ou fonds d’indemnisation sont un autre mécanisme de prise en charge des risques sociaux76. Ils s’apparentent à la prise en charge de certains risques par l’Etat, à ceci près que ce n’est pas l’Etat mais le fonds qui assure l’indemnisation.

Ces fonds se distinguent en particulier des assurances par leur domaine d’intervention, qui est souvent complémentaire et subsidiaire : ainsi le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages intervient en l’absence de garantie par une assurance de responsabilité77.

D’autres fonds interviennent sur des risques techniquement impossibles à assurer, par exemple le Fonds de garantie des calamités agricoles. Les fonds de garantie ne sont pas financés par des primes calculées en contrepartie du risque représenté par chaque éventuel bénéficiaire.

Parfois, le fonds peut être financé par des prélèvements opérés autoritairement au détriment des titulaires de certains contrats d’assurance qui n’ont pas de rapport direct avec le risque pris en charge par le fonds, comme c’est le cas pour le risque de terrorisme78, ce qui est contestable79.

30. Participation de l’assureur à l’action en indemnisation devant le juge civil.

L’assurance a donc acquis, avec d’autres mécanismes de socialisation du risque, une place importante et parfois incontournable dans l’indemnisation des victimes, en particulier dans les domaines où l’assurance est obligatoire.

Les chiffres témoignent de l’importance qu’occupe désormais l’assurance dans l’indemnisation des dommages, et plus généralement dans l’économie et dans la société.

Les statistiques de la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), qui regroupe 254 entreprises représentant 90 % du marché français de l’assurance, sont éloquentes. En 2008, ces entreprises employaient 216 000 personnes et ont réalisé un chiffre d’affaires directes de 183,3 milliards d’euros.

Les actifs gérés par ces sociétés d’assurances représentaient 1 409,4 milliards d’euros et les sommes attribuées aux assurés 154,8 milliards d’euros (dont 123,6 milliards pour les assurances de personnes et 31,2 milliards pour les assurances de biens et de responsabilité)80.

Cette importance de l’assureur dans l’indemnisation des dommages n’a pas manqué de se traduire par une place non moins importante, voire incontournable, de l’assureur dans l’action en indemnisation. Cette place est en tout cas consacrée dans le cadre du procès civil, dont l’assureur est devenu un acteur majeur.

Il est désormais parfaitement admis que l’assureur du responsable puisse être appelé en la cause par son assuré ou par la victime exerçant l’action directe, que l’assureur de la victime puisse être attrait par cette dernière devant le juge pour solliciter sa garantie, et même que l’assureur de la victime, subrogé dans les droits de cette dernière après l’avoir indemnisée, puisse exercer son recours subrogatoire devant le juge civil.

24 Article 41-1, 5° du Code de procédure pénale permettant à la victime, lorsque l’auteur des faits s’est engagé à lui verser une indemnisation, d’en demander le recouvrement par la procédure d’injonction de payer au vu du procès-verbal de médiation.

25 Article 12-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

26 Articles 41-2 et 41-3 du Code de procédure pénale, issus de la loi du 23 juin 1999.

27 Article 142, 2° du Code de procédure pénale. Il est remarquable que le créancier de l’indemnisation du préjudice découlant d’une infraction prime dans ce cas le Trésor public, ce qui est loin d’être la règle.

28 Article 132-59 du Code pénal.

29 Article 132-45, 5° du Code pénal.

30 Articles 132-60 et 132-63 du Code pénal instaurés par la loi du 11 juillet 1975.

31. Cette participation de l’assureur à l’action en indemnisation n’est qu’un élément de l’évolution de cette action.

Celle-ci s’est également ouverte à d’autres acteurs de la socialisation du risque tels que certains fonds de garantie ou d’indemnisation de dommages, intervenant comme garants, ou la Sécurité sociale exerçant son recours subrogatoire.

En outre, les fondements de l’action en indemnisation se sont diversifiés car la victime ne recherche plus seulement à établir une créance fondée sur la responsabilité civile, mais fait également valoir des droits fondés sur des garanties légales ou contractuelles, dont la garantie d’assurance n’est qu’un aspect.

La victime peut ainsi fonder son action sur une garantie contractuelle d’assurance contre son assureur de choses ou de personnes, sur un droit autonome fondant l’action directe contre l’assureur du responsable, sur une obligation légale d’indemnisation contre un fonds de garantie…

Dans la mesure où l’action civile exercée devant le juge répressif est l’action en indemnisation du dommage causé par l’infraction, il était légitime de se demander si cette action civile ne devait pas connaître une évolution similaire à celle de l’action en indemnisation portée devant le juge civil.

32. Question de la participation de l’assureur à l’action civile exercée devant le juge répressif.

Le rôle acquis par l’assureur dans l’indemnisation devait forcément conduire à évoquer la question de sa participation à l’action en indemnisation portée devant le juge pénal.

Cette question était devenue incontournable dans la première moitié du XXème siècle. En 1965, dans son article préconisant l’admission de l’intervention de l’assureur au procès pénal, Monsieur Chesné relevait le remarquable essor de l’industrie de l’assurance depuis plusieurs décennies et l’accroissement continu du nombre des instances pénales intéressant les assureurs81.

En particulier, il constatait l’accroissement spectaculaire du parc automobile français82 avec deux conséquences : d’une part un accroissement corrélatif des assurances de responsabilité des véhicules à moteur, rendues obligatoires par la loi du 27 février 1958, et d’autre part une constante progression des accidents du roulage occasionnant des dommages corporels aux tiers.

Nous pouvons relever que de nos jours, les accidents de la circulation sont à l’origine de la majeure partie des condamnations prononcées par les juridictions répressives françaises pour homicides ou violences involontaires : sur les 13 117 décisions de condamnation rendues en 2007 sous ces qualifications, 11 313 concernaient des faits commis par des conducteurs de véhicules83.

Or, outre la circulation automobile, l’assureur est désormais impliqué dans l’indemnisation des dommages résultant de nombreuses activités, pour ne pas dire de la plupart des activités humaines. Ceci explique l’importance des sommes versées par les assureur pour l’indemnisation des dommages, que nous avons évoquée84.

Les particuliers, les professionnels, les associations, les personnes publiques souscrivent des contrats d’assurance afin de garantir leurs activités quotidiennes, professionnelles ou de loisirs, et plus précisément les dommages qu’ils peuvent subir ou occasionner à l’occasion de ces activités.

En considération de cette quasi-omniprésence des assurances, il n’est pas étonnant que la question de l’intervention de l’assureur au procès pénal se pose immanquablement lorsque l’action en indemnisation des dommages relève de la compétence du juge répressif.

33. Il échet ici de rappeler que l’intervention de l’assureur au procès pénal.

Signifie en réalité ni plus ni moins qu’une participation de l’assureur à l’action civile, qui est l’action en indemnisation du dommage découlant des faits pénalement poursuivis.

Dans ces conditions, le double constat de l’évolution de la physionomie de l’action en indemnisation et de la compétence du juge répressif à l’égard de l’action civile conduit à se poser la question d’une évolution de l’action civile.

En effet, les deux mouvements observés s’agissant de l’action civile peuvent être les prémisses d’un raisonnement syllogistique. La majeure est la place croissante de l’action civile devant le juge pénal, ou à tout le moins la reconnaissance de la compétence du juge répressif à l’égard de l’action civile. La mineure est la place acquise par l’assureur dans l’action en indemnisation.

La conclusion logique du syllogisme est d’accorder à l’assureur une place dans l’action civile exercée devant le juge répressif.

En d’autres termes, l’évolution générale de l’action en indemnisation n’implique-t-elle pas une évolution de l’action civile exercée devant le juge répressif par rapport à la conception héritée du Code d’instruction criminelle ?

Cette évolution comporterait notamment l’admission de l’intervention de l’assureur au procès pénal, plus précisément à l’action civile, de la même manière que l’assureur peut intervenir à l’action exercée devant le juge civil. Ceci pose les termes du débat sur l’intervention de l’assureur au procès pénal.

34. Débat sur l’intervention de l’assureur : principe de l’admission et régime de l’intervention.

Le problème de l’intervention de l’assureur au procès pénal se traduit par deux questions successives.

La première question est celle du principe de l’intervention, c’est-à- dire de l’admission ou du rejet de la participation de l’assureur à l’action civile. La seconde question est celle du régime de cette intervention.

La question de l’admission de l’intervention ou de son rejet est de loin la plus importante. Il s’agit en effet d’une question de principe, et de la réponse apportée découle également la réponse à la question du régime.

Le rejet de l’intervention de l’assureur au procès pénal rend sans objet la question du régime de cette intervention.

En revanche, l’admission de l’intervention porte en elle-même la définition de son régime. L’admission de l’intervention de l’assureur au procès pénal correspond en effet à une certaine conception de l’action civile, selon laquelle l’action civile exercée devant le juge répressif est la même que l’action en indemnisation portée devant le juge civil.

Il résulte de cette conception que le régime de l’action civile doit correspondre à une application devant le juge répressif du régime général de l’action en indemnisation, avec les adaptations éventuellement nécessitées par la compétence du juge répressif en matière civile et les règles de la procédure pénale.

Il résulte également de cette conception de l’action civile que l’intervention de l’assureur doit être admise devant le juge répressif dans des conditions similaires à celles de son intervention devant le juge civil.

Sur la base des dispositions légales régissant l’action civile, en particulier le Code d’instruction criminelle puis le Code de procédure pénale, la jurisprudence a fermement répondu de manière négative à la question de l’admission de l’intervention de l’assureur. Pour remédier à cette solution dont l’opportunité était discutable et discutée, le législateur a instauré l’intervention de l’assureur au procès pénal par la loi du 8 juillet 1983 qui a intégré en ce sens des dispositions dans le Code de procédure pénale.

Mais cette intervention n’est admise que de manière limitée et selon un régime restrictif.

35. Principe prétorien du rejet de l’intervention de l’assureur à l’action civile devant le juge répressif.

En conséquence du développement du rôle de l’assureur dans l’indemnisation des dommages des victimes, et donc des victimes d’infractions, les juridictions répressives ont été saisies, dans le cadre de l’action en indemnisation des dommages découlant de l’infraction, de demandes d’interventions volontaires ou forcées d’assureurs.

Le phénomène a pris une ampleur telle dans la première moitié du XXème siècle que la Cour de cassation a été conduite à se prononcer. Après quelques décisions rendues dans les années 1930, la Chambre criminelle a confirmé sa position ferme de rejet de l’intervention de l’assureur dans les années 1950.

Cette jurisprudence, fixée sous l’empire du Code d’instruction criminelle, n’a pas connu d’évolution avec le Code de procédure pénale de 1958.

36. Qu’il s’agisse de l’intervention forcée de l’assureur susceptible de garantir le dommage. Ou de l’intervention volontaire de l’assureur subrogé dans les droits de la victime après l’avoir indemnisée, le rejet de l’intervention révèle un refus de voir l’action civile suivre l’évolution de l’action en indemnisation.

A cet égard, l’exclusion de l’assureur se situe dans un contexte jurisprudentiel plus général de refus, dans les années 1950 à 1970, d’admettre la participation à l’action civile de personnes autres que la victime, le prévenu et le civilement responsable.

L’hostilité de la jurisprudence n’est à l’époque pas dirigée exclusivement contre les assureurs, et vise également les groupements et associations.

Le rejet de l’intervention de l’assureur fait écho aux deux arguments les plus fréquemment avancés contre l’intervention de l’assureur au procès pénal. Le premier argument est que l’admission de l’assureur ferait prendre beaucoup trop de place aux débats sur les intérêts civils dans le procès pénal, au détriment du jugement de l’action publique.

La crainte exprimée est que l’action civile perde son caractère accessoire par rapport à l’action publique, ou plutôt que l’action publique perde sa place prépondérante.

Le second argument est la crainte d’une interférence de l’assureur dans le jugement de l’action publique, et même d’une concurrence de l’assureur, partie puissante et privée, avec le ministère public, dépositaire de l’intérêt général et partie en charge de l’action publique.

Ces arguments ne sont pas sans rappeler ceux opposés contre l’intervention des groupements et associations à l’action civile.

Comme la jurisprudence excluant l’assureur du procès pénal n’est pas dénuée de fondement légal, il aura fallu une modification du Code de procédure pénale pour infléchir le principe d’exclusion de l’assureur.

37. Admission limitée de l’intervention de l’assureur au procès pénal par la loi du 8 juillet 1983.

Après son affirmation ferme par la jurisprudence dans les années 1950, le principe de l’exclusion de l’assureur a rapidement suscité des critiques doctrinales, dès les années 1960.

Des praticiens de l’assurance ont alimenté ces critiques, ce qui explique en partie que l’accent ait été mis sur les arguments d’ordre pratique concernant les inconvénients de l’exclusion et les avantages de l’intervention de l’assureur, qui constituent les deux faces d’une même médaille.

L’exclusion prive la victime de la possibilité d’exercer son recours contre l’assureur devant le juge répressif. La victime est donc contrainte d’intenter un second procès devant le juge civil, ce qui est source de complication procédurale.

L’admission de l’intervention de l’assureur permet au contraire un examen de l’ensemble des questions de réparation dans le cadre de l’action civile exercée devant le juge répressif, ce qui est une simplification du contentieux, source d’économies de temps et de moyens.

Cet avantage ne bénéficie pas seulement à la victime, mais également aux autres acteurs du procès pénal (en ce inclus l’assureur admis à intervenir) ainsi qu’à l’institution judiciaire.

L’admission de l’intervention permet à l’assureur de défendre ses intérêts devant le juge répressif, dont la décision a une influence directe sur la situation de l’assureur.

L’intervention permet également d’éviter le recours à des procédés d’intervention occulte tels que la clause de direction de procès, qui est de surcroît un mécanisme mal adaptée au procès devant le juge pénal.

En résumé, l’admission de la présence de l’assureur permet de clarifier les débats devant le juge répressif, l’assureur pouvant intervenir ou être mis en cause et défendre ses positions au vu et au su de tous.

31 Articles 728-1 et D 325 du Code de procédure pénale. La part des revenus du détenu affectée à l’indemnisation des parties civiles et créanciers d’aliments est déterminée selon les taux prévus par l’article D 320-1 du Code de procédure pénale (dont les dispositions ont remplacé au 1er novembre 2004 celles de l’article D 113 qui a été abrogé).

32 Ph. Conte : La loi sur la prévention de la délinquance (loi n° 2007-297 du 5 mars 2007) : présentation des dispositions de droit pénal, Dr. pén. mai 2007 étude 7 §§ 22.

33 Ph. Salvage : Les peines de peine, Dr. pén. juin 2008 étude 9.

34 Décret n° 2007-1605 du 13 novembre 2007, J.O. du 15 novembre 2007.

35 Articles D 47-6-2 et D 47-6-3 du Code de procédure pénale.

36 Articles D 47-6-4 à D 47-6-11 du Code de procédure pénale.

37 Articles D 47-6-12 à D 47-6-14 du Code de procédure pénale.

38. C’est dans ces conditions que le législateur est intervenu pour instituer une intervention de l’assureur au procès pénal Par certaines dispositions de la loi du 8 juillet 1983 intégrées dans le Code de procédure pénale85.

Toutefois, si ces dispositions de la loi de 1983 « renforçant la protection des victimes d’infraction » ont constitué un indéniable progrès, elles ont pu décevoir et leur qualité a été remise en cause. Le régime actuel de l’intervention de l’assureur, qui découle des dispositions de cette loi, encourt les mêmes critiques.

Nous pouvons donc nous interroger sur la manière dont le droit positif a résolu la question de l’intervention de l’assureur à l’action civile exercée devant le juge répressif.

Face à un principe de rejet de cette intervention aussi fermement établi par la jurisprudence que son opportunité est discutable, le législateur n’a institué qu’une intervention de l’assureur limitée, tant dans son champ d’application que dans son objet et ses effets.

Les solutions du droit positif sont instructives et prêtent à discussion en ce qui concerne non seulement la question du principe de l’admission ou du rejet de l’intervention, mais également la détermination de son régime lorsqu’elle est admise.

39. Plan. Critique du droit positif : principe de l’admission et régime de l’intervention. Ainsi qu’on ne le soulignera jamais assez, le problème de l’intervention de l’assureur n’est qu’un aspect de l’action civile exercée devant le juge répressif.

Au risque de paraphraser les propos d’Alain cités en début de la présente étude, nous pouvons dire que la solution du problème de l’intervention de l’assureur au procès pénal n’est autre chose que le problème bien éclairé par un énoncé renvoyant à l’exercice de l’action civile devant le juge répressif.

Force est de constater que le principe d’exclusion de l’assureur, fermement posé par la jurisprudence en application du Code de procédure pénale, correspond à la conception de l’action civile qui prévaut en droit positif.

La question de l’éventuelle admission de l’intervention de l’assureur au procès pénal implique donc de rechercher une solution par une étude de l’action civile et d’une éventuelle réforme de cette dernière.

Il apparaît en effet que l’admission de l’intervention étant contraire à la conception de l’action civile en vigueur, elle suppose une modification de cette conception. A défaut, l’exclusion de l’assureur s’impose.

Telle n’est toutefois pas la voie qui a été suivie par le législateur lors de l’élaboration de la loi du 8 juillet 1983. Il n’a pas modifié la conception de l’action civile dominant le droit positif et a donc instauré l’intervention de l’assureur comme une dérogation à cette conception.

Ceci explique que l’intervention de l’assureur ne soit admise que de manière limitée en droit positif. Ceci explique également les insuffisances du régime de l’intervention de l’assureur au procès pénal s’agissant de sa mise en œuvre.

Ces insuffisances découlent en effet directement de la manière dont il a été répondu à la question de l’admission de l’intervention de l’assureur.

Nous pourrons donc aborder successivement et de manière critique l’évolution de l’exclusion de l’assureur vers l’admission de son intervention à l’action civile exercée devant le juge répressif (I), puis la mise en œuvre de cette intervention (II).

38 Articles 706-15-1 et 706-15-2 du Code de procédure pénale et articles L 422-7 à L 422-10 du Code des assurances.

39 Article 404-1 de l’ancien Code pénal, articles 314-7 à 314-9 du Code pénal.

 

60 G. Viney : op. cit., n° 20.

61 G. Viney : op. cit., n° 21 et s.; B. S. Markesinis : La perversion des notions de responsabilité civile délictuelle par la pratique de l’assurance, RIDC 1983 p. 301.

62 G. Viney : op. cit., n° 26.

63 Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : op. cit., n° 20.

64 L’obligation d’assurance de responsabilité en ce domaine a permis l’avènement, avec la loi du 5 juillet 1985, de la responsabilité objective du conducteur et du gardien du véhicule impliqué, le conducteur et le gardien ayant par ailleurs obligatoirement la qualité d’assuré (article L 211-1 du Code des assurances). Un lien similaire existe entre la responsabilité objective découlant de la présomption de responsabilité du constructeur et l’assurance obligatoire de la responsabilité civile décennale, instaurées par la loi du 4 janvier 1978 (article L 241-1 du Code des assurances).

En Belgique également, la réforme du régime de responsabilité civile en matière d’accidents automobiles et l’assurance obligatoire sont liées. Cf. R. Piret : La loi belge du 1er juillet 1956 sur l’assurance obligatoire de la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, RTD Com. 1956 p. 623 (spéc. n° 2).

65 Ce qui suppose d’une part qu’il y ait un responsable et d’autre part que celui-ci soit bien assuré…

66 Ce qui suppose toutefois que l’assurance stipule le versement de prestations indemnitaires permettant une subrogation.

67 G. Viney : op. cit., n° 28-1 et 28-4.

68 Par exemple l’assurance dommage ouvrage que doit souscrire le maître de l’ouvrage (article L 242-1 du Code des assurances).

69 Par exemple la garantie des risques de catastrophes naturelles qui doit être ajoutée aux contrats garantissant les dommages d’incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France (articles L 125-1 et s. du Code des assurances), ou encore la garantie des risques de catastrophes technologiques (articles L 128-1 et s. du Code des assurances).

70 B. S. Markesinis : La perversion des notions de responsabilité civile délictuelle par la pratique de l’assurance, RIDC 1983 p. 306.

71 M. Picard et A. Besson, op. cit. t. 1, n° 3. b., p. 6 et s.

72 G. Viney : op. cit., n° 28.

73 H. Cousy : La fin de l’assurance ? Considérations sur le domaine propre de l’assurance privée et ses frontières, Mélanges Lambert, Dalloz 2002 p. 111, spéc. n° 13 s; J. Moret-Bailly : Assurance, assurance- maladie et Etat : qui doit payer pour les fautes de médecins ?, RCA 2004 Alertes 11.

74 Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur : op. cit. n° 21.

75 Id.

76 Sur des perspectives d’articulation de l’assurance et des fonds de garanties afin d’assurer l’indemnisation des victimes, voir par exemple G. Viney, op. cit. n° 44 et s. et 61 et s.; L. Mayaux : L’assureur est-il un garant ?, Mélanges Lambert, Dalloz 2002 p. 281, n° 45.

77 Lorsque le responsable des dommages est inconnu, lorsqu’il n’est pas assuré, ou lorque l’assureur du responsable est totalement ou partiellement insolvable (article L 421-1 du Code des assurances).

78 Articles L 422-1 et R 422-4 du Code des assurances.

79 G. Viney, op. cit. n° 28-3.

80 FFSA : L’assurance française en 2008, rapport annuel, disponible sur le site www.ffsa.fr, rubrique « l’assurance française ».

81 G. Chesné : L’assureur et le procès pénal, RSC 1965 pp. 290-291.

82 Ce parc était passé de 4 700 000 véhicules en 1952 à environ 14 351 000 véhicules en 1960.

83 Selon les statistiques du ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr. Cette proportion tend à rester stable. Cf. les statistiques de ces dernières années, infra n° 859.

84 Cf. supra n° 30.

85 Loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 : J.O. 9 juillet 1983, p. 2185; D 1983 lég. p. 351, Gaz. pal. 1983.2, lég. p. 513, RGAT 1983 p. 400. Les articles 6 à 11 de la loi ont inséré dans le Code pénal des articles 388-1 à 388-3 et 385-1 et 385-2, et ont modifié les articles 497, 509, 515 et 533 du même Code.

Abréviations

AJ Pénal Actualité juridique pénal (Dalloz)
ALD Actualité Législative Dalloz
A.N. Assemblée Nationale
art. article
Ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassation
Assur. fr. Assurance française
B.O. Bulletin officiel
Bull. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
C. assises Cour d’assises
C. assur. Code des assurances
CA Cour d’appel
CE Conseil d’Etat
CEDH Cour européenne des droits de l’homme
Ch. Chambre
Ch. mixte Chambre mixte de la Cour de cassation
Chron. Chronique
Circ. min. just. Circulaire du Ministère de la Justice
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation
coll. collection
Com. Chambre sociale de la Cour de cassation
Comm. Commentaire
comp. comparer
concl. conclusions
Cons. Const. Conseil constitutionnel
CPC Code de procédure civile
CPP Code de procédure pénale
Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
D Recueil Dalloz
déb. Débats
Defrénois Répertoire du notariat Defrénois
Dev. et soc. Déviance et société
DH Dalloz hebdomadaire
DP Dalloz périodique
Dr. mar. Fr. Droit maritime français
Dr. pénal Droit pénalégal. également
esp. espèce
ex. exemple
fasc. fascicule
Gaz. pal. Gazette du palais
IR Informations rapides (Recueil Dalloz)
J.O. Journal officiel
JCP Juris-classeur périodique, édition générale
JCP E Juris-classeur périodique, édition entreprise
not. notamment
obs. observations
op. cit. ouvrage cité
P.U.(F.) Presses universitaires (de France)
préc. précité
rapp. rapprocher
RCA Responsabilité civile et assurances
Rép. civ. Répertoire civil Dalloz
Rép. pén. Répertoire pénal Dalloz
Req. Chambre des requêtes de la Cour de cassation
Rev. pénit. Dr. pén. Revue pénitentiaire et de droit pénal
RGAT Revue générale des assurances terrestres
RGDA Revue générale de droit des assurances
RSC Revue de sciences criminelles et de droit pénal comparé
RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil
RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial
S Recueil Sirey
s. suivants
Somm. Sommaires
Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation
t. tome
T. corr. Tribunal correctionnel
T. pol. Tribunal de police
TGI Tribunal de grande instance
th. thèse
v° mot

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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