Innovations cumulatives, Hold-up et Anti-communaux

Innovations cumulatives, Hold-up et Anti-communaux

Chapitre 2 – Innovations cumulatives, Hold-up et Anti-communaux 

Aujourd’hui, de nombreuses innovations sont basées sur – ou directement liées à – d’autres innovations; elles sont dites « cumulatives ». Certes, les inventeurs ont toujours innové « en pyramide », en se basant sur ce qui existait déjà, mais, aujourd’hui, cette situation est exacerbée. Qu’en est-il lorsque le niveau inférieur est protégé par un brevet ?

Il existe deux types d’innovations cumulatives : dans le cas d’innovations séquentielles, une première innovation mène à de nombreuses innovations de deuxième génération. Dans le cas d’innovations complémentaires, une innovation de seconde génération requiert l’utilisation d’un certain nombre d’innovations de première génération. Tantôt un input unique génère de nombreux outputs différents, tantôt de nombreux inputs sont nécessaires à la création d’un unique output.

Dans la pratique, il existe de nombreuses situations « mixtes » dans lesquelles plusieurs inputs sont combinés et peuvent mener à plusieurs outputs. Ainsi, la présente distinction n’a d’autre but que d’identifier les problèmes que génèrent respectivement ces deux types d’innovations cumulatives.

Les innovations séquentielles engendrent – ou peuvent engendrer – un problème de hold-up. Si l’innovateur de première génération est titulaire d’un brevet, il dispose en effet d’un véritable droit de hold-up sur les innovations en aval. Les conséquences sur l’innovation sont assez évidentes : si l’innovateur de seconde génération ne peut obtenir un profit suffisant, soit parce que le premier innovateur se voit attribuer une part proportionnellement plus importante des rentes, soit parce que ce dernier dispose d’un véritable droit, au sens juridique, sur les innovations subséquentes, les incitants à la recherche du second en seront diminués.

Dans le cas d’innovations complémentaires, le problème est sensiblement différent. Ici, l’innovateur de seconde génération fait face à ce que C. Shapiro appelle un patent thicket, « un dense réseau de droits de propriété intellectuelle qui se chevauchent et à travers duquel une entreprise doit se frayer un chemin pour parvenir à commercialiser une nouvelle technologie »30.

Un certain nombre d’innovateurs de première génération sont chacun titulaires d’un brevet et disposent donc, chacun, d’un monopole temporaire d’exploitation; comme l’a montré Cournot31, une série de monopoleurs indépendants, produisant chacun un produit différent, fixera un prix plus élevé qu’un unique monopoleur produisant des produits complémentaires.

Ceci est la conséquence du fait qu’un unique monopoleur internalise la complémentarité entre les produits, contrairement à une série de monopoleurs qui ignorent, chacun, l’effet positif qu’aurait une diminution de leur propre prix sur la demande des produits des autres monopoleurs : il y a multiple marginalisation due à un manque de coordination.

Pour un innovateur de seconde génération, le fait de négocier et d’acquérir des licences d’exploitation auprès de tous les inventeurs de première génération s’avère souvent difficile et coûteux. Il arrive parfois que les coûts de transaction – le montant agrégé des demandes de royalties des inventeurs de première génération augmenté des coûts de recherche de l’inventeur de seconde génération – soient tellement élevés qu’il n’est plus profitable pour un innovateur de développer son invention.

Le bien-être global en est diminué : y perdent non seulement les titulaires de brevets et l’innovateur de seconde génération mais aussi les consommateurs. M. Heller désigne cette situation comme la tragédie des anti-communaux32.

29 F. LÉVÊQUE et Y. MÉNIÈRE, The economics of Patents and Copyrights, The Berkeley Electronic Press, 2004, p. 7.

30 Traduction libre de C. SHAPIRO, « Navigating the Patent Thicket: Cross Licenses, Patent Pools, and Standard Setting », in Innovation Policy and the Economy (sous la dir. de A. B. JAFFE, J. LERNER et S. STERN), Volume 1, Cambridge, MIT Press, 2001, p. 120.

31 A.-A. COURNOT, Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses, Paris, Hachette, 1838.

32 M. HELLER, « The tragedy of the anticommons: Property in the transition from Marx to markets », Harvard Law Review, 1998, vol. 111, pp. 621-688.

Ceci montre qu’une coordination, qu’une collusion, entre les titulaires de brevets est socialement désirable : celle-ci peut s’opérer par le biais de patent pools, par exemple, ou d’accords de licences croisées. Dans le premier cas, les titulaires de brevets mettent en commun leurs brevets respectifs et des licences d’exploitation sont accordées sur l’ensemble du package. Dans le second, les parties s’autorisent mutuellement à utiliser chacune le brevet de l’autre.

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