Exercice de l’action civile devant les juridictions répressives

Exercice de l’action civile devant les juridictions répressives

2°. La nécessité de déclencher l’action publique

257. Rappel de la règle de l’exercice de l’action civile conjointement à l’action publique. La manifestation la plus évidente du caractère accessoire de l’action civile devant le juge répressif serait le fait que l’exercice de l’action civile devant ce juge est en principe subordonné au déclenchement de l’action publique relative aux mêmes faits401.

L’idée que le juge répressif doive, pour connaître de l’action civile, être saisi de l’action publique relative aux mêmes faits est conforme à la conception selon laquelle le juge pénal a pour mission première de trancher des litiges concernant l’ordre public.

Il est vrai que le juge répressif peut difficilement être saisi de la seule action civile sans être considéré comme un « juge civil bis »402.

258. Expression de la règle. Cette règle a pu être exprimée de manière trompeuse, notamment en jurisprudence. Ainsi l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a mentionné, dans un attendu de principe, « le droit d’exercer l’action civile devant les juridictions répressives, dont l’un des effets éventuels est la mise en mouvement de l’action publique »403.

Des auteurs ont même relevé qu’il n’était pas satisfaisant de dire que l’action civile « met en mouvement l’action publique » et préfèrent considérer que « l’exercice de l’action civile prend accessoirement la valeur d’une sorte de plainte »404.

Voilà qui tend paradoxalement à présenter l’action publique comme l’accessoire de l’action civile, la mise en mouvement de l’action publique n’étant que la conséquence de l’exercice de l’action civile405.

Or, tel n’est visiblement pas le cas. Etant admis que le juge répressif ne peut connaître de l’action civile que s’il est saisi ou a été saisi de l’action publique, la conséquence logique est que celui qui veut saisir le juge répressif de son action en indemnisation doit le saisir au préalable ou en même temps de l’action publique.

Le fait que le juge répressif ne puisse être saisi de l’action civile que s’il est ou a été saisi de l’action publique accrédite plutôt l’idée que l’action civile est l’accessoire de l’action publique.

259. Caractère accessoire de la compétence civile plus que de l’action civile. Toutefois, à bien y regarder, ce n’est pas à proprement parler l’action civile qui est accessoire à l’action publique, mais plutôt la compétence des juridictions pénales en matière civile qui est accessoire à leur compétence pénale406.

Quoi qu’il en soit, le principe du déclenchement préalable de l’action publique doit faire face aux démonstrations de plus en plus nombreuses et significatives de l’indépendance de l’action civile. Le prétendu caractère accessoire de l’action civile en est affaibli d’autant.

260. Désolidarisation des prescriptions des actions civile et pénale. Les prescriptions des actions civile et pénale ont été désolidarisées par la loi du 23 décembre 1980 modifiant l’article 10 du Code de procédure pénale, qui prévoit désormais que « l’action civile se prescrit selon les règles du Code civil ». Cette dissociation des prescriptions marque l’indépendance de l’action civile.

Toutefois, le texte précise que « l’action civile ne peut plus être exercée devant la juridiction répressive après l’expiration du délai de prescription de l’action publique », ce qui maintient une identité de prescription des deux actions devant le juge pénal407.

D’ailleurs, tout acte de poursuite et d’instruction accompli dans le délai de prescription de l’action publique interrompt la prescription de l’action civile exercée devant la juridiction répressive, non seulement à l’encontre de tous les participants à l’infraction mais encore à l’égard de leurs commettants, civilement responsables408. L’action civile exercée devant le juge répressif resterait de ce point de vue l’accessoire de l’action publique.

Cependant, on peut ne voir dans cette règle que le corollaire de l’impossibilité pour le juge pénal de connaître de l’action civile s’il n’est pas saisi de l’action publique. Lorsque l’action publique ne peut être exercée pour cause de prescription, il paraît logique que le juge pénal ne puisse être saisi de la seule action civile409.

261. Multiplication des exceptions au principe d’exercice conjoint des actions civile et publique. Le principe selon lequel le juge répressif ne peut connaître de l’action civile que s’il est saisi de l’action publique subit de plus en plus d’exceptions.

L’évolution du droit positif va dans le sens d’une indépendance de l’action civile par rapport à l’action publique, y compris devant le juge répressif.

D’une part, la victime peut mettre en mouvement l’action publique sans pour autant présenter une demande d’indemnité. Toutefois, à notre avis il ne s’agit dès lors plus de l’exercice de l’action civile devant le juge répressif.

En effet, par hypothèse la demande d’indemnisation n’est pas portée devant le juge pénal410. D’autre part, l’action civile peut être portée devant le juge pénal alors que celui-ci n’est pas ou plus saisi de l’action publique.

Le déclenchement de l’action publique est en principe une condition nécessaire de l’exercice de l’action civile devant le juge répressif, mais également une condition suffisante et le juge pénal peut être amené à connaître de l’action civile alors qu’il n’est plus saisi de l’action publique. Parfois, cette condition n’est même pas nécessaire.

262. L’exercice de l’action civile devant le juge répressif qui n’est plus saisi de l’action publique. Le principe restant que le juge répressif doit être saisi de l’action publique pour connaître de l’action civile, les cas dans lesquels il sera saisi de la seule action civile seront ceux où cette dernière survit à l’action publique éteinte devant le juge répressif.

Ceci peut se produire lorsque le prévenu décède, ou à l’occasion de l’exercice des voies de recours, ou lorsque la compétence du juge répressif est prorogée après un acquittement ou une relaxe.

263. Décès du prévenu. Le décès du prévenu éteint l’action publique, ainsi que le prévoit l’article 6 du Code de procédure pénale. Cependant, cette extinction de l’action publique ne signifie pas que le juge répressif doive se dessaisir des intérêts civils et renvoyer l’action civile au juge civil.

Il se produit en effet une « cristallisation des compétences »411 au jour où a été franchie l’étape d’un premier jugement sur le fond. Si le prévenu décède avant qu’un jugement sur le fond ait été rendu, l’action civile doit être portée devant le juge civil412.

Si au contraire le décès intervient après qu’un jugement sur le fond a été rendu, la juridiction saisie reste compétente, qu’elle soit civile ou pénale.

Les juridictions de jugement régulièrement saisies des poursuites avant l’extinction de l’action publique demeurent compétentes pour statuer sur l’action civile413. Il en résulte que le juge répressif peut connaître de l’action civile sans être saisi de l’action publique concernant le responsable.

264. Prescription de l’action publique. La prescription de l’action publique entraîne l’extinction de cette action. Cependant, la Cour de cassation estime que le juge répressif qui prononce une relaxe en constatant la prescription de l’action publique demeure compétent pour statuer sur l’action civile414.

265. Exercice des voies de recours. L’exercice des voies de recours peut être l’occasion de voir les juridictions répressives saisies de l’action civile uniquement. Que ce soit sur appel ou sur pourvoi en cassation, « l’accessoire survit parfois à un principal épuisé »415.

En application de l’effet dévolutif de l’appel lié à la qualité de l’appelant416, la Chambre des appels correctionnels peut n’être saisie que de l’action civile lorsque seul le civilement responsable et/ou la partie civile interjettent appel.

Faute d’appel d’une partie à l’action publique, cette action est éteinte par la décision pénale devenue définitive et la Cour d’appel n’est saisie que de l’action civile.

Bien que ce cas de survie de l’action civile à l’action publique devant le juge répressif puisse paraître constituer une entorse aux règles de compétence de ce juge, l’exercice des voies de recours sur les seuls intérêts civils doit être considéré dans la lignée de la liberté d’option offerte pour l’exercice de l’action civile417. Comme en matière d’appel, il se peut que seul le volet civil du dossier soit frappé de pourvoi418.

La Chambre criminelle Cour de cassation n’est alors saisie que de l’action civile tandis que l’action publique est éteinte. Non seulement la juridiction répressive ne connaît que de l’action civile, mais en plus elle peut, malgré l’autorité de la chose jugée de ce qui a été tranché sur l’action publique, prendre un parti différent sur l’existence de l’infraction afin de statuer sur les intérêts civils419.

266. Lorsqu’une cassation est assortie d’un renvoi relatif uniquement aux intérêts civils, la juridiction compétente est une juridiction répressive, et non une juridiction civile comme cela aurait pu être envisagé.

L’article 609 du Code de procédure pénale impose le renvoi du procès et des parties « devant une juridiction de même ordre et degré que celle qui a rendu la décision annulée ».

Les juridictions civiles appartiennent à l’ordre judiciaire comme les juridictions pénales et il serait conforme à la lettre de l’article 609 de renvoyer l’affaire devant une juridiction civile de même degré que la juridiction pénale qui a rendu la décision annulée.

Cette solution n’a pas été retenue par la jurisprudence, qui renvoie les affaires à des juridictions de même degré dans l’ordre judiciaire répressif. Les mêmes raisons que celles invoquées pour l’appel justifieraient aussi la compétence des juridictions pénales sur des questions pourtant purement civiles420.

267. Avant la réforme des cours d’assises, le dernier alinéa de l’article 610 du Code de procédure pénale prévoyait qu’en matière criminelle, lorsque l’arrêt d’assises était annulé seulement du chef des intérêts civils, l’affaire était renvoyée devant un tribunal civil.

Une loi du 30 décembre 2000 faisant suite à l’introduction du double degré de juridiction en matière criminelle a modifié le texte et impose désormais le renvoi devant une cour d’appel autre que celle dans le ressort de laquelle siège la cour d’assises qui a rendu l’arrêt annulé du seul chef des intérêts civils.

L’affaire n’est donc pas renvoyée devant une cour d’assises. Cependant, si elle n’est plus dirigée vers le Tribunal de grande instance, il n’est pas précisé si c’est une chambre civile ou une chambre des appels correctionnels qui doit connaître de l’action civile.

Dans la mesure où l’affaire était renvoyée devant un tribunal civil selon la version antérieure du texte et où seuls des intérêts civils sont concernés, il serait logique que la compétence revienne désormais à une chambre civile de la cour d’appel de renvoi.

268. Examen de l’action civile après relaxe ou acquittement. Le législateur a institué un autre cas dans lequel le juge répressif reste saisi de l’action civile alors qu’il ne connaît plus de l’action publique.

La juridiction pénale peut en effet statuer sur l’action civile et accorder une indemnisation à la victime après la relaxe du prévenu421 ou l’acquittement de l’accusé422.

Cette faculté révèle bien l’autonomie de l’action civile, qui peut être examinée par le juge pénal nonobstant le dessaisissement de l’action publique qu’impliquent la relaxe ou l’acquittement423.

269. L’exercice de l’action civile devant le juge répressif qui n’a pas été saisi de l’action publique. Toutes les hypothèses qui viennent d’être évoquées concernent des cas dans lesquels le juge répressif est saisi de la seule action civile, mais après avoir été saisi de l’action publique.

Le législateur est allé encore plus loin en instaurant une compétence civile du tribunal correctionnel alors qu’il n’a même pas été saisi de l’action publique, celle-ci ayant été réglée par le recours à un mode alternatif de traitement des infractions.

Ainsi, l’article 41-2 alinéa 9 du Code de procédure pénale donne compétence au tribunal correctionnel pour connaître de la demande d’indemnisation de la victime alors que l’action publique est éteinte par l’exécution de la composition pénale424.

De même, dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, si la victime n’a pu se constituer partie civile devant le juge chargé d’homologuer l’accord sur la peine, l’article 495-13 alinéa 2 Code de procédure pénale lui permet de saisir le tribunal correctionnel de la seule action civile.

Dans ces deux cas, le juge pénal a bien été saisi de l’action publique, sur laquelle il a statué par le jugement d’homologation de la composition pénale ou de l’accord conclu entre l’auteur des faits et le parquet. Cependant, le tribunal correctionnel est saisi distinctement du juge de l’homologation425.

Plus récemment encore, la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 a introduit un nouveau cas, lorsque la chambre de l’instruction rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale en application de l’article 706-126 du Code de procédure pénale.

Si la partie civile en fait la demande, la chambre de l’instruction renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel compétent pour qu’il prononce sur la responsabilité civile de la personne, conformément à l’article 489-2 du Code civil, et statue sur les demandes de dommages et intérêts.

270. Ces évolutions législatives conduisent au constat que la situation dans laquelle la juridiction pénale est saisie de la seule action civile est « en voie de généralisation »426.

Elles sont le marqueur d’une évolution de l’exercice de l’action civile devant le juge répressif. Pour la première fois, le juge répressif peut être saisi de la seule action civile, alors que l’action publique a été éteinte avant même d’être portée devant la juridiction pénale.

257 Loi n° 2007-1774 du 17 décembre 2007 modifiant en ce sens l’article L 124-3 du Code des assurances.

258 Civ. 28 mars 1939, RGAT 1939 p. 286 note M. Picard, D 1939.1.68 note M. Picard.

259 Cf. toutefois une jurisprudence critiquable estimant, en cas de paiement indu de l’indemnité d’assurance par l’assureur de responsabilité civile, que le bénéficiaire n’est pas le tiers victime mais l’assuré responsable : Civ. 2ème 26 avril 2007, n° 06-12225, Bull. n° 106, RGDA2007 p. 588 note J. Kullmann; Civ. 1ère 10 juin 1992, n° 90-19717, RGAT 1992 p. 519 note J. Kullmann; Civ. 1ère 12 mai 1987, n° 85-11387, Bull. n° 146, RTD Civ. 1988 p. 348 obs. J. Mestre.

260 Cf. infra n° 428 et 580.

261 G. Chesné : L’assureur et le procès pénal, RSC 1965 pp. 283 à 336; R. Michel : De l’intervention des compagnies d’assurances devant les tribunaux répressifs en matière d’accidents, JCP 1964, I, 1881; J.-Ch. Landormy : De la représentation de l’assureur devant les juridictions répressives, Gaz.Pal. 1976, 2, doctr. p. 685. Cf. également les Travaux de la Conférence sur l’Assurance automobile, RGAT 1964 pp. 212 et 283.

262 Cf. supra n° 85 et s. et 122 et s., et infra n° 361 et s., 376 et s. et 563 et s.

263 Ph. Alessandra : L’intervention de l’assureur au procès pénal, Economica 1989, p. 35 et s.

264 Cf. infra n° 1278.

265 Cf. infra n° 1287.

269 Crim. 6 juin 1990, n° 89-83348, Bull. n° 226, RGAT 1990 p. 846 note F. Chapuisat, RCA 1990 comm. 266 et chron. 15 par H. Groutel; Civ. 2ème 12 décembre 2002, RCA 2003 comm. 66 note H. Groutel; Civ. 2ème 22 janvier 2004, n° 01-11655, RCA 2004 comm. 138; Crim. 29 mars 2006, n° 05-82515, RGDA 2006 p. 933 note Landel.

270 Civ. 2ème 15 mars 2001 (2 esp.), RCA 2001 comm. 186 note H. Groutel.

Il s’agit là d’une exception notable au principe selon lequel le juge répressif ne peut être saisi de l’action civile que s’il a également été saisi de l’action publique.

Il faut y voir l’illustration de ce que le fondement de la compétence du juge répressif ne dépend pas de la nature de l’action exercée devant lui (action civile ou action publique), mais de la qualification pénale des faits.

Une règle reste en effet sans exception : le juge répressif ne peut être saisi de l’action civile relative à des faits, indépendamment ou non de l’action publique, que si ces faits revêtent la qualification d’infraction.

Mais cette condition nécessaire est suffisante : le juge pénal peut connaître de l’action civile concernant des infractions qui ne peuvent plus être poursuivies pénalement.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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