Eclatement de la notion d’action civile selon l’identité du demandeur

Eclatement de la notion d’action civile selon l’identité du demandeur

B. Une conception inadaptée : l’impossibilité de rendre compte de l’action civile dans sa globalité

379. Nous avons déjà évoqué séparément l’incapacité de la théorie dualiste de l’action civile à tenir compte d’une action civile dénuée d’objet vindicatif596, ainsi que l’incapacité de la théorie unitaire à rendre compte du droit positif597.

Ces incapacités démontrent par elles- mêmes le caractère insatisfaisant du critère d’analyse de l’action civile tiré de l’inclusion ou de l’exclusion de son aspect répressif.

380. Or, le caractère inapproprié de ce critère est encore plus flagrant lorsque l’on considère une action civile mettant en présence deux catégories de parties : d’une part celles qui sont concernées par l’objet répressif du procès et d’autre part celles qui ne sont intéressées que par l’aspect indemnitaire. La victime et le prévenu peuvent être intéressés par les deux aspects, civil et répressif.

379 Lyon 4 juin 1937, RGAT 1937 p. 970 note A. Besson.

380 A. Besson, note sous Lyon 4 juin 1937, RGAT 1937 p. 976.

Mais d’autres demandeurs ou défendeurs à l’action civile ne peuvent être concernés que par l’aspect indemnitaire. Il est donc réducteur d’analyser l’action civile à travers la victime, car cette action implique d’autres parties, que ce soit en demande ou en défense.

La multiplicité des demandeurs à l’action civile et la variété de leurs prérogatives conduit à se demander s’il n’existe pas en fait plusieurs actions civiles, ou si la notion civile n’a pas subi un éclatement (1°). En outre, c’est négliger les défendeurs que chercher à déterminer la nature de l’action uniquement en considération de la personne du demandeur (2°).

1°. L’éclatement de la notion d’action civile selon l’identité du demandeur

381. Ainsi que nous avons pu l’observer, la question de la nature de l’action civile est déjà redoutablement épineuse alors même que l’on ne considère que son expression première, à savoir l’action civile de la victime.

En effet, même pour la seule action civile de la victime, la controverse est vive s’agissant de déterminer s’il s’agit d’une action mixte, à la fois civile et répressive, ou bien d’une action de nature unique et purement civile598.

382. La difficulté ne peut que s’aggraver si l’on prend en compte le fait que la victime n’est désormais plus la seule personne à pouvoir exercer l’action civile, et que les personnes habilitées à exercer les droits de la partie civile peuvent le faire selon des régimes différents de celui de l’action de la victime.

Si l’on analyse l’action civile selon son demandeur, ce qui a été fait jusqu’à présent en la personne de la victime, la pluralité de demandeurs conduit à retenir une pluralité d’actions civiles selon l’identité du demandeur de chaque action.

Dès 1957, l’Avocat général Granier relevait une évolution de la notion de partie civile et du fondement de son action : « en effet, suivant la qualité de la partie civile en cause, le fondement de l’action civile sera différent »599.

383. L’étude de l’action civile de la victime a permis de distinguer deux prérogatives reconnues au demandeur. La première, dont il n’est pas discuté qu’elle relève de l’action civile, est la faculté de demander réparation du préjudice subi (articles 2 et 3 du Code de procédure pénale).

La seconde est le droit de poursuivre pénalement, qui s’exprime principalement par la faculté de déclencher l’action publique (article 1er alinéa 2 du Code de procédure pénale) et dont il est contesté qu’elle soit inclue dans l’action civile.

Tels sont les « droits de la partie civile » que certaines personnes, qui ne remplissent pas les conditions de l’article 2 du Code de procédure pénale, sont parfois autorisées à exercer en vertu de textes spéciaux.

Toutefois, ces demandeurs à l’action civile ne peuvent pas toujours exercer les deux prérogatives habituellement reconnues à la partie civile. En outre, les droits reconnus à ces demandeurs présentent souvent des contours différents de ceux de la victime.

384. Certaines personnes sont autorisées à exercer l’action en indemnisation devant le juge répressif, mais ne disposent pas des prérogatives pénales accordées à la victime.

Tel est le cas des assureurs, des caisses de Sécurité sociale, du Fonds d’indemnisation des victimes d’infractions, de l’Etat et de certaines collectivités publiques et d’établissements publics600. L’action civile de ces personnes se distingue de celle de la victime car contrairement à cette dernière, il n’est pas contesté qu’elle soit dénuée de caractère répressif.

385. Certains demandeurs à l’action civile, dont l’action revêt un caractère répressif, ne peuvent pour autant pas exercer les mêmes prérogatives que la victime, notamment en ce qui concerne la mise en mouvement de l’action publique.

Des associations sont purement et simplement privées de la possibilité de déclencher l’action publique, leur action civile étant subordonnée à la mise en mouvement de l’action publique par le ministère public ou la partie lésée601.

Le rôle répressif de ces demandeurs est donc très circonscrit, puisqu’ils ne peuvent que corroborer la poursuite. Pour d’autres, l’exercice de l’action civile n’est possible qu’avec l’accord de la victime602.

386. L’action en indemnisation de certains demandeurs à l’action civile diffère de celle de la victime. En application de l’article 2 du Code de procédure pénale, la victime ne peut demander réparation que de son dommage personnel directement causé par l’infraction.

Pour certains demandeurs, les textes dérogeant à cet article 2 autorisent l’action civile fondée sur un préjudice collectif et/ou indirect.

Il en va ainsi des syndicats professionnels603, des institutions intervenant dans le domaine de la protection de l’environnement et des associations de protection de l’environnement604, des associations de défense des intérêts des consommateurs605.

381 G. Chesné : art. préc., p. 305.

382 G. Chesné : art. préc., p. 306; Ch. Freyria : art. préc., n° 16 in fine, 17, 23 à 26; L. Sicot et H. Margeat : art. préc.

383 Ph. Alessandra : L’intervention de l’assureur au procès pénal, Economica 1989, p. 47 et s.

384 Voir notamment l’ouvrage paru sous la direction de G. Stefani : Quelques aspects de l’autonomie du droit pénal, Dalloz 1956; F. Alt-Maes : L’autonomie du droit pénal, mythe ou réalité d’aujourd’hui ou de demain ?, RSC 1987 p. 347

385 B. Bouloc : Procédure pénale, 21ème éd. Dalloz 2008, n° 161 et 162; Ph. Conte et P. Maistre du Chambon : Procédure pénale, 4ème éd. 2002 A. Colin, n° 138 et 190; S. Guinchard et J. Buisson : Procédure pénale, Litec 5ème éd. 2009, n° 971 et 1016 (et le libellé de la section 2); J. Pradel : Procédure pénale, Cujas 14ème éd., n° 286; F. Fourment : Procédure pénale, Paradigme 10ème éd. 2009-2010, n° 271 et 402; F. Desportes et L. Lazerges-Cousquer : Traité de procédure pénale, Economica collection Corpus droit privé, 2009, n° 1349; G. Viney : Introduction à la responsabilité, in Traité de Droit civil, sous la direction de J. Ghestin, 3ème éd. LGDJ 2008, n° 80; Ph. Bonfils : L’action civile. Essai sur la nature juridique d’une institution, thèse, P.U. Aix- Marseille 2000, n° 397. Comp. l’affirmation selon laquelle le jugement de l’action civile est considéré comme l’accessoire du jugement de l’action publique lorsque le juge répressif est saisi en même temps des deux actions : B. Bouloc, op. cit. n° 310.

386 Ph. Bonfils : th. préc., n° 23 et 24.

387 G. Chesné : L’assureur et le procès pénal, RSC1965, n° 1 p. 286.

387. Les demandeurs à l’action civile autres que la victime n’exercent donc pas exactement les droits reconnus à la partie civile. L’action civile de chacun de ces demandeurs présente des contours et un contenu différents, ce qui invite à considérer que l’action civile n’est pas unique, mais protéiforme et varie selon l’identité du demandeur à l’action.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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