Conception de l’action civile centrée sur la victime d’infraction

Conception de l’action civile centrée sur la victime d’infraction

Section 2

Une conception de l’action civile centrée sur la victime d’infraction

345. Il peut paraître a priori logique que l’action civile soit conçue autour de la personne de la victime de l’infraction540. En effet, cette action est avant tout l’action en réparation du dommage découlant de l’infraction.

Or, la mesure de l’action en réparation est l’étendue du dommage subi par la victime et non la gravité de la faute de l’auteur. Contrairement à l’action publique, qui est centrée sur la culpabilité et la personnalité du délinquant, l’action civile s’intéresse au dommage et donc à la victime.

346. En outre, si l’on prend en considération l’aspect vindicatif de l’action civile, qui a été distingué de son aspect indemnitaire, cela nous mène encore à la victime. C’est la victime qui a vocation à disposer d’un droit de vengeance lorsque celui-ci est reconnu.

L’action civile s’oppose ici encore à l’action publique en ce que le fondement du droit de poursuivre est différent. Le droit à la vengeance de la victime, d’essence privée, s’oppose à la défense de l’intérêt général en vertu de laquelle le ministère public a le droit, et même le devoir, de poursuivre l’auteur de l’infraction.

Ce droit à la vengeance ne peut être reconnu qu’à la victime et s’il est considéré comme objet possible de l’action civile, alors cette action doit être abordée en considération du titulaire de la prérogative vindicative.

347. La jurisprudence et la doctrine s’accordent à reconnaître l’objet indemnitaire de l’action civile, ainsi que l’existence d’un droit de poursuite distinct du droit de réparation.La discussion concernant ce droit de poursuite porte sur l’inclusion ou l’exclusion de l’objet vindicatif de l’action civile541.

Dans la mesure où le droit à indemnisation et le droit de poursuite sont reconnus à la victime de l’infraction, il n’est pas surprenant que l’action civile soit classiquement examinée à l’aune de cette victime (§ 1), même si cette conception apparaît pourtant dépassée et inadaptée aujourd’hui (§ 2).

345 Crim. 9 février 1994, Bull. n° 59, RCA 1994 comm. 404 et chron. 38 par Ph. Conte (Où la Cour de cassation entérine une comédie judiciaire), RCA hors série déc. 1998, n° 41.

346 Ph. Conte : chron. préc.

347 Crim. 26 septembre 1996, Bull. n° 332, RGDA 1997 p. 276 note J. Beauchard, RCA 1997 comm. 8; Crim. 4 avril 2007, n° 06-81286; Crim. 27 juin 2007, n° 06-81397; Crim. 14 novembre 2007, n° 06-88538, Bull. n° 278, RCA 2008 comm. 9. Cf. également un rejet implicite du moyen : Crim. 15 mai 2007, n° 06-81254.

§1. Exposé de la conception : une action civile appréciée à l’aune de la victime

348. Les discussions autour de l’action civile exercée devant le juge répressif concernent pour l’essentiel la recevabilité de cette action devant ce juge.

Il s’agit en effet du problème qui a visiblement le plus préoccupé le législateur, la jurisprudence et la doctrine, lesquels ont tendance à envisager l’action civile selon sa recevabilité devant le juge pénal.

En témoignent les études consacrées à la nature de l’action civile, qui déterminent cette nature en fonction des contours de l’action civile telle qu’elle est déclarée recevable par les textes et la jurisprudence542.

348 J. Beauchard : note sous Crim. 26 septembre 1996, RGDA 1997 p. 278.

Or, la recevabilité de l’action civile est appréciée selon un critère conçu pour la victime (A.). La conséquence logique est que seule la victime pouvant remplir ce critère, les autres personnes ne peuvent en principe exercer l’action civile devant le juge répressif, sauf dérogation légale (B.).

A. L’appréciation de la recevabilité de l’action civile selon un critère conçu pour la victime

349. La compétence du juge répressif pour connaître de l’action civile étant exceptionnelle543, la recevabilité de cette action est admise de manière restrictive par la jurisprudence544. Cette recevabilité est traditionnellement appréciée en la personne du demandeur.

Or, que l’on considère l’objet indemnitaire ou l’objet vindicatif de l’action civile, le demandeur est la victime. C’est donc à travers la victime que va être appréciée la recevabilité de l’action civile, qu’elle soit exercée dans un but indemnitaire (1°) ou vindicatif (2°).

349 Crim. 22 janvier 2008, n° 07-82555, Dr. pén. avril 2008 comm. 58 note A. Maron, RCA mai 2008 comm. 181.

1°. L’appréciation dans le cadre de l’objet indemnitaire

350. Caractère personnel du dommage. L’article 2 du Code de procédure pénale prévoit que « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». Un dommage actuel, certain et direct est classiquement exigée en droit de la réparation, même devant le juge civil.

La spécificité de l’action en réparation devant le juge répressif réside en ce que le dommage direct doit avoir été personnellement subi par le demandeur.

Et l’on se demande bien qui, sinon la victime, peut prétendre répondre à cette exigence. Il s’agit à l’évidence d’une condition de recevabilité de l’action civile taillée sur mesure pour la victime.

351. Victime d’un préjudice corporel ou matériel. Il n’y a guère de difficulté à identifier la victime d’un préjudice corporel ou d’un dommage matériel. S’agissant des préjudices corporels, les personnes morales ne peuvent en alléguer car elles sont des êtres juridiques désincarnés.

La victime d’un préjudice corporel sera la personne physique dont l’intégrité physique aura été atteinte. Le caractère personnel du dommage étant établi, c’est le lien direct avec l’infraction qui va devoir être examiné.

S’agissant des dommages matériels, il suffit d’identifier les personnes dont le patrimoine est directement atteint par l’infraction. Ces victimes peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales.

Dans la mesure où le patrimoine d’une personne morale est distinct, cette personne peut demander réparation des atteintes portées à ses intérêts propres545.

352. Victime d’un préjudice moral. La question du préjudice moral est plus délicate et conduit à suivre une distinction entre personnes physiques et personnes morales.

En effet, il ne fait guère de doute que les personnes physiques peuvent subir personnellement un préjudice moral découlant de l’infraction, mais cela est plus discutable pour une personne morale.

On peut d’abord douter qu’une personne morale ait « physiquement » la possibilité d’éprouver un tel préjudice546. Ensuite, on peut se demander si elle subit bien personnellement le préjudice moral qu’elle allègue.

353. A cet égard, il convient de rappeler que les personnes morales ne peuvent, comme les personnes physiques d’ailleurs, défendre que leurs intérêts propres.

La Cour de cassation a affirmé que les personnes morales ne peuvent agir pour la défense des intérêts collectifs qu’elles prétendent représenter qu’à la condition de justifier d’une autorisation législative spéciale à cette fin547.

Lorsque la personne morale n’a pas une telle habilitation légale à agir et invoque un préjudice moral, la recevabilité de son action n’est admise que strictement par les juges répressifs.

Le plus souvent, l’action civile de la personne morale est rejetée au motif que l’intérêt invoqué se confond avec les intérêts individuels des membres du groupe que la personne morale prétend défendre548.

350 Ch. Freyria : art. préc., n° 1.

351 Articles L 127-1 et s. du Code des assurances.

352 Ch. Freyria : art. préc., n° 2; G. Chesné : L’assureur et le procès pénal, RSC 1965 p. 297.

353 Toutefois, posant une présomption simple selon laquelle les assureurs n’avaient pas des intérêts contraires à ceux des prévenus dès lors que cela n’était ni établi, ni même allégué : Crim. 18 septembre 2007, n° 06-88038.

Il est également très fréquent que le juge répressif déclare irrecevable l’action civile d’une personne morale au motif que l’intérêt allégué se confond avec celui de la société, que seul le ministère public est habilité à défendre549.

La concurrence entre une personne morale et le ministère public concernant la défense de l’intérêt général relève moins de l’action civile à fins indemnitaires que de l’action civile à objet vindicatif.

2°. L’appréciation dans le cadre de l’objet vindicatif

354. Caractère humain de la vengeance. Comme son nom l’indique, l’aspect vindicatif de l’action civile trouve son fondement dans le droit à vengeance de la victime de l’infraction.

Développant l’idée que l’action civile intentée devant les juridictions criminelles a une coloration répressive certaine en ce qu’elle représente le droit à la vengeance, Monsieur Granier s’est hâté de préciser que la vengeance est un sentiment humain, qui ne peut être ressenti que par une personne physique : « la vengeance suppose l’homme »550.

La recevabilité de l’action civile est donc, plus encore dans son aspect vindicatif que dans son aspect indemnitaire, centrée sur la victime, et même plus précisément sur la victime personne physique.

Selon cette conception, l’action civile vindicative devrait être réservée à la victime personne physique, car elle seule est en mesure d’éprouver un désir de vengeance. Toutefois, les victimes personnes morales sont également admises en droit positif à exercer une telle action civile purement vindicative551.

355. C’est pour une raison de cet ordre que les syndicats, associations ou autres groupements défendant les intérêts d’un groupe d’individus se sont vu refuser par la jurisprudence le droit d’exercer l’action civile devant le juge répressif.

Ne pouvant justifier d’un préjudice personnel et direct, ils ne peuvent non plus exciper d’un droit à vengeance, même au nom du groupe dont l’intérêt serait lésé par l’infraction.

Ils ne remplissent donc pas les conditions de l’article 2 du Code de procédure pénale et la jurisprudence répressive déclare en conséquence leur action civile irrecevable en l’absence d’un texte spécial d’habilitation.

356. Référence aux droits de la victime pour justifier l’action d’autres personnes. Les textes octroyant à certains groupements l’habilitation légale les autorisant à exercer l’action civile devant le juge répressif trahissent encore la conception de l’action civile centrée sur la victime.

En effet, c’est au rang de victime que ces dispositions élèvent les associations visées lorsqu’elles leur permettent d’exercer « les droits reconnus à la partie civile »552. La victime reste même maîtresse de l’action civile dans les cas où son accord est nécessaire pour que l’association puisse l’exercer553.

357. Si l’on considère au surplus que les groupements ou associations, qui défendent un intérêt collectif, ne justifient en conséquence que difficilement d’un préjudice propre justifiant une action civile indemnitaire, on en vient à se demander quelle peut être la justification de leur action civile devant le juge répressif554.

A cet égard, il a souvent été reproché aux groupements et associations de prétendre défendre un intérêt collectif, c’est-à-dire l’intérêt du groupe qu’ils représentent555, voire l’intérêt général dont le ministère public est le gardien556.

La personne qui prétend défendre non pas un intérêt propre mais un intérêt collectif devient un « doublet » du ministère public.

C’est une pseudo action publique qu’elle exerce et non une véritable action civile, ce qui amène Monsieur Granier à désigner une « action civile fictice »557 et Monsieur Larguier à dénoncer une lourde menace sur l’action du ministère public558.

358. Un auteur s’est demandé si, en raison de leur mission de défense des intérêts collectifs visés dans leurs statuts, les groupements n’éprouvaient pas précisément un préjudice personnel et direct chaque fois qu’une infraction portait atteinte à ces intérêts généraux qu’ils sont chargés de défendre559.

Nous retrouvons une conception centrée sur la victime. Toutefois, en ne se posant pas la question, la Chambre criminelle montre que c’est moins la question du préjudice personnel et direct de l’association qui l’intéresse, que celle du pouvoir de déclencher la poursuite pénale560.

Au contraire, le législateur a parfois expressément privé certaines associations du droit de poursuivre, car elles ne peuvent venir devant le juge répressif que pour corroborer l’action publique qui a été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée561.

359. Conclusion. Le critère de la recevabilité de l’action civile devant le juge répressif ayant été défini en considération de la victime, il en découle que sauf dérogation légale, seule une personne ayant la qualité de victime est recevable à exercer l’action civile devant le juge répressif. C’est la conséquence logique du fait que cette personne doive remplir les mêmes critères que la victime.

Civ. 1ère 23 septembre 2003, RGDA 2003 p785 note J. Kullmann, RCA 2003 comm. 329 note H. Groutel; Civ. 1ère 21 octobre 2003, RGDA 2004 p. 174 note M. Bruschi.

354 Ch. Freyria : art. préc., n° 5 à 10.

355 Ch. Freyria : art. préc., n° 15.

356 Article L 113-17 du Code des assurances.

357 Ch. Freyria : art. préc., n° 13; G. Chesné : art. préc., p. 299.

358 Paris (4ème Ch.) 5 juin 1930, RGAT 1930 p. 1094 note M. Picard.

359 Douai 1er février 1932, RGAT 1933 p. 149 (déchéance sanctionnant l’assuré qui a volontairement comparu); Req. 18 février 1936, RGAT 1936 p. 578 note M. Picard, DH 1936 p. 236, S 1936,1,150 (rejet du pourvoi contre Bastia 26 février 1935, RGAT 1935 p. 824 note M. Picard).

C’est pourquoi de nombreux auteurs insistent, s’agissant de la recevabilité de l’action civile, sur la qualité de victime562.

C’est cette qualité qui permet de distinguer, parmi les personnes qui auraient un intérêt à agir devant le juge répressif, celles qui sont recevables à le faire. Il en résulte que sauf autorisation légale expresse, sont évincées les personnes qui n’ont pas la qualité de victime de l’infraction.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’intervention de l’assureur au procès pénal
Université 🏫: Université Nancy 2 Faculté de Droit - Ecole Doctorale Sciences Juridiques
Auteur·trice·s 🎓:
Monsieur Romain SCHULZ

Monsieur Romain SCHULZ
Année de soutenance 📅: THESE en vue de l’obtention du Doctorat en Droit - le 18 novembre 2009
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