A la recherche de la jeunesse passée ? Le rapport à la jeunesse

A la recherche de la jeunesse passée ? Le rapport à la jeunesse

2. Le rapport à la jeunesse

La vieillesse rappelait Simone de Beauvoir dans La vieillesse « modifie le rapport de l’individu au temps, donc son rapport au monde et à sa propre histoire ». Avec l’avancée en âge, la période de jeunesse est de plus en plus éloignée temporellement parlant.

Cependant, l’individu a suffisamment de recul pour se replonger dans les souvenirs de jeunesse. Quel rapport à la jeunesse entraîne cette prise de recul sur le passé ? L’avancée en âge fait-elle de la jeunesse une période de vie de plus en plus éloignée ? Ou la période de jeunesse en tant que période clé de l’individu est-elle toujours une réalité de proximité ?

2.1. A la recherche de la jeunesse passée ?

2.1.1. Une jeunesse mise à distance

Avec l’avancée en âge, une distance se crée face à la période de jeunesse. Après l’adolescence, l’autonomisation de l’individu entraîne une distanciation face à l’éducation de jeunesse. Au cours de la socialisation primaire, le cadre familial et scolaire impose des normes, valeurs et rôles sociaux, qui amènent l’individu à intérioriser la réalité sociale.

En dépit du déterminisme de la socialisation primaire engendrant une reproduction sociale, l’individu se distancie face à son éducation de jeunesse dans le cadre d’un processus d’individualisation et d’autonomisation. Ainsi une enquêtée ayant eu une éducation marquée par un mode de vie économe malgré des dispositions financières permettant aisément la consommation, s’est distanciée de ce comportement économe. Arrivée à l’âge adulte, l’achat n’était plus considéré comme une dérive. Cependant, la distanciation face à la jeunesse est également à mettre en perspective avec une distance temporelle de plus en plus grande. Cette dernière réduit ainsi l’intensité des liens de l’individu avec son enfance. La réalité de la vie quotidienne devient alors plus intense :

« Pendant longtemps j’ai été ou par moments nostalgique, ou par moments révoltée quand je voyais les mauvais côtés de ma jeunesse. Mais maintenant je suis plus modérée, je suis plus distanciée donc c’est moins fort dans les deux sens. Je suis moins nostalgique parce que c’est vraiment loin, ou alors c’est que je commence à perdre la mémoire. Et je suis moins révoltée aussi par les points négatifs.

Je suis plus dans le présent, plus tournée vers l’avenir de mes enfants. Je suis moins tournée vers mon enfance, je le sens plus loin qu’il y a 10-20 ans. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

Si dans les représentations collectives la jeunesse apparaît comme un idéal, tous les enquêtés n’ont pas que de bons souvenirs de leur jeunesse en raison de désagréments ayant perturbé cet « âge d’or », ou encore des conditions de vie n’ayant pas permis de profiter de leur jeunesse. Ainsi bien que période clé dans la socialisation de l’individu, la jeunesse n’est pas pour tous une période de vie heureuse :

« j’ai pas de très bons souvenirs, parce que comme j’étais pensionnaire, j’ai pas profité de ma famille. J’étais pensionnaire de 10 ans à 18 ans, et c’est ce que je regrette le plus. J’ai pas de souvenirs de jeunesse en fait. « (Anne, F, 58 ans, institutrice en préretraite)

2.1.2. Représentations de la jeunesse : une jeunesse idéalisée et nostalgique

Certains enquêtés affichent une nostalgie de leur jeunesse en raison des bons souvenirs qui marquent leurs esprits. Mais bien plus qu’un état de nostalgie, l’âge de la jeunesse apparaît idéalisé avec l’avancée en âge. En effet, certains enquêtés affirment percevoir ce qui était de mauvais moments à l’époque comme de bons souvenirs aujourd’hui. La jeunesse est alors présenté comme un âge rempli nécessairement de bons souvenirs :

« J’ai que de bons souvenirs. Même les mauvais sont passés en bons souvenirs. Avec l’âge on relativise par rapport à des choses qui n’étaient pas forcément bonnes à l’époque.

Par exemple, j’ai des souvenirs d’armée qui à l’époque n’étaient pas si bon, et maintenant ça me fait rigoler. Pour moi les souvenirs c’est forcément bon, les mauvais j’oublie. » (Damien, H, 47 ans, fonctionnaire de La Poste)

Cette jeunesse est également marquée par le souvenir de pairs et de l’entourage qui au fur et à mesure qu’avance le vieillissement disparaissent. Le vieillissement de soi correspond donc aussi au vieillissement de l’entourage et à leur mort. La nostalgie des jeunesse n’est pas qu’une nostalgie des bons moments, c’est aussi une nostalgie du temps où tout le monde était réuni :

« Je suis nostalgique de ma jeunesse. Si je vieillis, les autres aussi, et il y a des personnes qui disparaissent. » (Damien, H, 47 ans, fonctionnaire de La Poste)

Dans un contexte de changement social, la période de jeunesse des enquêtés apparaît en décalage face à la vie de la jeune génération d’aujourd’hui. En effet, le changement des mentalités change le visage de la jeunesse.

Les problèmes de société comme la violence, la drogue ou la précarité amènent également les enquêtés à percevoir le vécu de leur propre jeunesse comme une époque révolue, celle du bon temps et d’une société meilleure.

Ainsi en dépit des progrès technologique, des innovations qui améliorent les conditions de vie des individus des temps modernes, ces sont les problèmes de la société actuelle qui sont mis en avant. Mais c’est surtout parce que la jeunesse est naïveté et fragilité que les difficultés sociales sont décriées comme un danger pour la jeunesse :

« Je dirais que c’était mieux que maintenant d’une manière générale. Il n’y avait pas tout ce qu’on voit maintenant, il n’y avait pas tant de violence, il n’y avait pas la drogue, l’alcool on le voyait moins que maintenant. C’est vrai que maintenant ça fait peur pour les petits enfants. Je trouve qu’on était mieux avant. On n’avait pas tout ce que les jeunes avaient maintenant, on n’avait peut-être pas les télés et les ordinateurs, mais il y avait moins de risques, moins de violence. » (Suzanne, F, 59 ans, assistante maternelle)

Les souvenirs de jeunesse restent donc bien présents dans l’esprit des enquêtés. La nostalgie est d’autant plus présente que c’est une époque révolue. Le caractère révolu de cette période est d’ailleurs accentué par l’arrivée des signes physiques de vieillissement qui amènent une prise de conscience de ce processus :

« Quand on se revoit avec mes amis, on ne parle que de souvenirs. Avec mes copains, ce qui m’importe c’est que quand on se revoit on se dit qu’on faisait tout ça avant, et maintenant on se dit c’est triste. Dans le fond je pense qu’en vieillissant tu vis un peu sur ton passé. Quand tu revois les photos, tu vois comment tu étais !» (Sophie, F, 60 ans, nurse)

Certains recherchent même à renouer des liens avec ce passé révolu. Grâce à des sites Internet permettant de rechercher des anciens pairs d’enfance, certains reprennent contact et renouent les liens qu’ils ont entretenus avec leurs camarades de classe. Pour comprendre ce comportement de retour vers le passé, il faut prendre en compte le poids de la socialisation primaire qui est fondamental pour la construction identitaire.

Le temps de l’enfance est le temps de l’intériorisation de la réalité sociale, des premières expériences que l’individu partage avec ses pairs, ou ses « autrui significatifs » pour employer le terme de P. Berger et T. Luckmann dans La construction sociale de la réalité35 . Les souvenirs de jeunesse marquent donc encore le présent car les relations avec les pairs et les expériences du passé font partie de l’identité individuelle :

« Il y a un site qui s’appelle les copains d’avant, je me suis inscrit et je retrouve des copains du lycée, et on a pris contact. » (Damien, H, 47 ans, fonctionnaire de La Poste)

Finalement, l’âge de la jeunesse constitue pour certains leur meilleure période de vie. L’absence de responsabilité, le contexte de découverte de la vie marque l’esprit des individus. Cependant la jeunesse n’est pas l’unique période marquante dans la vie des individus. D’autres périodes de l’accomplissement de soi restent des périodes clé de leur vie.

2.1.3. La nostalgie avant tout des périodes d’accomplissement de soi

La période adulte est une période clé dans la construction de la vie sociale des individus. En effet au cours de cette période, l’individu est intégré dans la vie professionnelle est sociale. Il construit également sa famille.

Le mariage et la naissance des enfants apparaissent d’ailleurs comme des rites de passage vers cette période de bonheur. C’est donc une période clé dans la vie de l’individu, mais aussi dans sa construction identitaire. La multiplication des rôles sociaux au cours de la socialisation secondaire est alors source d’accomplissement de soi. Parce que l’individu a un statut social, professionnel et familial, le sentiment d’utilité, donne sens à sa vie :

« Ma meilleure période, ça a été à 30 ans. Alors justement là je ne sais pas si c’est un conditionnement parce que j’ai toujours entendu ma mère dire que 30 ans c’était le bel âge, et comme par hasard à moi aussi ça a été la période la plus heureuse.

Donc je sais pas si c’est un conditionnement inconscient ou si c’est vraiment le plus bel âge pour la femme, je sais pas. […]Je pense que j’étais moins naïve qu’à 20 ans, parce que à 20 ans j’étais une vraie nunuche. Et à 30 ans j’étais une femme, j’étais une maman, j’étais mariée, je travaillais, j’étais aimée, j’avais un enfant. Je me réalisais quoi, j’avais un métier. J’étais jolie, la glace me renvoyait une belle image. 30 ans c’était très bien. » (Claudine, F, 60 ans, médiatrice familiale)

D’autres considèrent que le temps présent constitue leur meilleure période de vie. En effet, le départ des enfants, ou encore la stabilité professionnelle et familiale qui structure leur vie, conforte la liberté individuelle.

Bien que la jeunesse ait des rêves, les capacités de les réaliser sont limitées. Mais avec l’avancée en âge, certaines contraintes comme les contraintes économiques s’affranchissent. Ainsi, l’accroissement du budget, le gain de temps libre avec le départ des enfants du domicile sont des dispositions structurelles qui donnent à l’individu un sentiment de liberté :

« Question de liberté, c’est maintenant. Je fais ce que je veux, je vais où je veux. A l’époque j’avais de la liberté, mais je ne pouvais pas. Il y avait les enfants, il y avait la maison. Tu avais envie, mais tu ne pouvais pas.

C’est comme les jeunes maintenant. Ils ont envie de plein de choses, et moi à l’époque c’était pareil. J’avais envie de plein de trucs, de sortir, de danser, mais je ne pouvais pas, j’avais les enfants. Il n’y avait pas de sous, et il y avait le crédit de la maison. Mais maintenant je suis libre. La maison elle est payée, je vis mieux quand même, et j’ai plus de liberté. » (Françoise, F, 55 ans, manutentionnaire en intérim)

A priori jeunesse et vieillesse sont deux périodes de vie bien distinctes. Pourtant, des similitudes apparaissent. Certains enquêtés considèrent leur jeunesse et le temps présent comme leurs deux meilleures périodes de vie parce qu’elles sont toutes deux une ouverture au monde. La période de jeunesse en tant que temps de la socialisation primaire constitue une période de découverte du monde et de la réalité sociale.

De même, avec l’avancée en âge et une perspective temporelle qui se raccourcit, l’individu désir davantage découvrir le monde qui l’entoure. L’accroissement des pratiques de voyage pour certains caractérise d’ailleurs cette ouverture au monde. Le temps présent est finalement une période d’accomplissement de soi, car le fruit du travail mené jusqu’ici est récolté, car les moyens disponibles permettent la concrétisation du temps venu de profiter de la vie :

« Les meilleures périodes de ma vie c’est maintenant. Et je dirais une autre période, l’adolescence. L’adolescence parce que j’ai eu une enfance pas très marrante, et l’adolescence a été une libération, j’ai découvert des tas de choses.

C’est le début de la médecine, c’est les copains les copines, la rencontre avec ma femme. C’est une ouverture. Et maintenant c’est une des meilleures périodes parce que je récolte le fruit de toutes ces années de travail. Au fond j’ai l’impression qu’il y a des choses qui sont maintenant encore plus possibles qu’avant. Maintenant c’est une ouverture au monde, justement avec les voyages.

C’est une ouverture financière parce que je viens d’un milieu modeste, je n’avais pas de fric et maintenant on peut vivre. C’est une ouverture intellectuelle parce que on arrive à savoir un certain nombre de choses. Donc l’adolescence et maintenant c’est l’ouverture, c’est une ouverture supplémentaire. » (Rémi, H, 54 ans, psychiatre)

35 BERGER, P., LUCKMANN, T., La construction sociale de la réalité, Paris, Armand Colin, 1996 deuxième éd.

Finalement la jeunesse n’est pas pour tous une période appréhendée avec nostalgie, en tant que meilleure période de vie. L’âge adulte, temps de la construction de soi, ainsi que le présent, temps de la récolte des fruits des actions menées par les individus, sont également des périodes clé. Cependant les similitudes entre jeunesse et la période de vie 45-60 ans, amènent à se demander quand finit la jeunesse. Est-ce une période bien délimitée du cycle de vie ? Ou bien peut-on l’appréhender comme une façon d’être au monde ?

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Les 45-60 ans : âges de transition
Université 🏫: Université Paris Descartes - Faculté des Sciences Humaines et Sociales Sorbonne
Auteur·trice·s 🎓:
Charlotte Feuillafée

Charlotte Feuillafée
Année de soutenance 📅: Master 2, Magistère de sciences sociales appliquées à l’interculturel - Juin 2008
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