Une justice sinistrée : démocratie en danger

Une justice sinistrée démocratie en danger

§ 6 – Une justice sinistrée : démocratie en danger.

L’ouvrage des sénateurs Hubert HAENEL et Jean ARTHUIS, publié en 1991 sous ce titre «Justice sinistrée : démocratie en danger» avait donné lieu à une préface de Jean Denis BREDIN, Avocat et Professeur à l’Université de Paris I.

La qualité de cette préface tient à l’analyse du malaise empruntant à la fois aux mentalités et à l’histoire des motivations profondes, plus ou moins avouées, et à une synthèse dont les politiciens n’ont, semble-t-il jusqu’à ce jour, pas voulu entendre parler.

Pourtant, une fois de plus, mieux vaut rependre les propres termes de l’académicien, ce qui dispense de tout autre commentaire;

«La France, on l’a dit, a hérité d’une longue tradition qui se méfie d’une justice forte et qui se satisfait de juges subalternes.

Cette tradition a peut-être eu ses justifications, dans un monde différent, mais elle est devenue néfaste, redoutable, dans une société où les rapports sociaux ne cessent, ne cesseront de se compliquer, de devenir davantage conflictuels, une société où l’Etat ne peut plus prétendre assumer toutes les tâches, où le «tout politique» est une tragique illusion, que partout l’histoire paraît dénoncer.

Le pouvoir politique, en démocratie a tort d’imaginer qu’une justice forte le dérangerait.

Elle lui serait au contraire fort utile, et il n’est pas besoin de regarder longtemps autour de nous pour voir comment le pouvoir politique eut tiré profit depuis quelques années de l’existence d’une justice libre, forte et considérée.

La vieille tradition d’une justice subsidiaire est soumise et devenue absurde en cette fin du second millénaire.

Elle est pourtant celle qu’entretient notre vieille mentalité, qui se méfie des juges, celle que gardent chez nous l’exécutif et le législatif à travers toutes ces tendances.

Sommes-nous, comme le croyait TOCQUEVILLE, seulement capable de révolutions et incapable de réformes ?

Le temps est court, en tout cas, qui nous reste pour entreprendre cette vaste réforme de notre justice ici proposée.

Dans quelques années, le «sinistre» sera accompli, il sera trop tard.

Dans l’introduction même de leur ouvrage, les sénateurs entrent d’emblée dans le sujet en affirmant :

«Accablant verdict que celui de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui condamne la France, le 24 octobre 1989, pour dépassement du «délai raisonnable d’instance».

Le renvoi, en bas de page, donnera à sourire à plus d’un avocats puisqu’il est précisé :

«Il est vrai que dans cette affaire l’instance avait duré 7 ans, 4 ans devant le Tribunal Administratif et 3 ans en appel devant le Conseil d’Etat.»

«Le nombre des dossiers qui malheureusement subissent l’usure du temps et dont la durée des procédures est en moyenne au départ très largement de 7 ans, est tel que la France est effectivement confrontée à un véritable déni de justice.»

A fortiori lorsqu’il s’agit d’instances pénales :

  • Soit parce qu’elles concernent la sécurité et la liberté des personnes,
  • Soit parce qu’elles concernent la survie des entreprises au travers des dirigeants dont la responsabilité ou la culpabilité est en cause.

En réalité, l’enterrement des procédures c’est l’enterrement de la démocratie dont seul bien entendu est susceptible de profiter un système de type mafieux.

L’ouvrage des sénateurs s’appuie sur des enquêtes ainsi que sur des sondages est un véritable réquisitoire même s’il demeure dans la forme comme sur le fond tout à fait pondéré.

Cependant, en conclusion et sous le titre «Les Juges : des redéfinitions drastiques» Hubert HAENEL et Jean ARTHUIS envisagent des réformes qui sont élémentaires mais qui permettent également d’apprécier à quel point ils ont pris la véritable mesure des enjeux sociaux, économiques et politiques :

  • Qu’il s’agisse du mode de rémunération des magistrats qui doit être détaché de la grille judiciaire de la fonction publique,
  • Qu’il s’agisse d’une rémunération qui doit être substantiellement revalorisée,
  • Qu’il s’agisse de la formation des magistrats et de leur statut.

Cet ouvrage ne devait pas passer inaperçu s’agissant d’aborder un sujet aussi grave et aussi important que celui de la mondialisation et de la place de l’avocat, lequel, encore une fois, ne peut exister qu’en fonction de la place de l’institution judiciaire elle-même sur l’échiquier des institutions de la République.

L’ouvrage des sénateurs Hubert HAENEL et Jean ARTHUIS venait rejoindre de façon plus officielle, avec une démarche sans doute moins polémique, les nombreux ouvrages consacrés à ce malaise, qu’il s’agisse des ouvrages des magistrats Thierry JEAN-PIERRE, Didier GALLOT, ainsi que des ouvrages également consacrés à la sécurité et à la police sans laquelle, le Juge n’est rien.

Lorsque Jean-Pierre PIERRE-BLOCH et André SANTINI évoquent dans leur livre «Sécurité Enjeu Public n°1», ils tirent une sonnette d’alarme.

Une justice sinistrée démocratie en danger

Lorsque le Commissaire Charles PELLEGRINI écrit «Demain la guerre civile», il constate la gravité d’une situation qui conduit des policiers tout simplement à avoir peur de vivre dans la hantise de représailles tant à leur encontre qu’à l’encontre de leur famille.

Ces livres existent, ils ont été publiés il y a une dizaine d’années, et ils ont été lus.

Ils annonçaient une situation qui allait s’aggraver de jour en jour et qui est parfaitement décrite dans le «QUE SAIS-JE : VIOLENCES et INSECURITES URBAINES » d’Alain BAUER et Xavier RAUFER.

Là encore, la mondialisation et l’interdépendance des relations politiques et économiques ne cessent de confronter les expériences américaines avec les expériences européennes, tant pour ce qui concerne l’approche de la criminalité que pour ce qui concerne les réformes institutionnelles qui s’imposent.

Au niveau européen, l’Italie a très souvent préfiguré cette évolution de nos institutions confrontées à la dure réalité mafieuse puisqu’elle a coûté, depuis plus de 20 ans, un nombre considérable de vies humaines et notamment dans le camp des juges et des policiers.

A ce titre, il est intéressant de s’attarder sur les journaux italiens puisque la Presse quotidienne et hebdomadaire, depuis plusieurs années, révèle les assassinats commis par la mafia et la progression dans l’horreur puisque ni les enfants ni les femmes ne sont épargnés.

Les représailles à l’encontre des enfants ont notamment justifié la collaboration de certains repentis même si effectivement ce sont les familles de ces repentis qui ont ensuite donné l’occasion à la mafia de transgresser les règles élémentaires, celles d’une autre époque, qui voulaient que l’on ne touche pas à un enfant ou à une femme.

Dans un tel contexte, c’est encore l’Italie qui donne l’exemple de ce qu’il en coûte à un homme, en l’occurrence un magistrat, d’oser affronter la corruption du monde politique et industriel.

Face à ce pouvoir mafieux, face à cette puissance financière qui n’existe que par le crime, lorsqu’un tel homme commet lui-même une faute, il apparaissait en effet pour le moins sordide de l’accabler voire de l’humilier en jetant un voile pudique sur les exactions et les crimes de ceux qu’il poursuit.

Cette aventure survenue au Juge DI PIETRO a ainsi justifié un article d’humeur de Giorgio BOCCA dans le n°1 de l’ESPRESSO du 9 janvier 1997.

Le titre de cet article, lui-même éloquent :

«Et maintenant DI PIETRO est le danger public n°1»

C’est encore en Italie qu’il faut rechercher illustration de ce que peut-être une justice sinistrée en empruntant au juge Giovanni FALCONE l’anecdote suivante :

«Un de mes collègues de ROME, pour sa part, va un jour de 1980, trouver le fameux Franck COPPOLA, qui vient d’être arrêté et le provoque : Signor COPPOLA, qu’est-ce que la mafia ?

Le vieux COPPOLA, qui en avait vu d’autres, réfléchit un moment et lui dit : Monsieur le Juge, il y a trois Magistrats qui actuellement veulent devenir Procureur de la République.

L’un est très intelligent, le second très appuyé par les parties au Gouvernement, et le troisième est un imbécile.

Lequel sera choisi ?

L’imbécile. C’est cela la mafia…».

EPILOGUE

Confronter la démocratie aux organisations criminelles de type mafieux, permet d’affirmer que la peine de mort n’a pas été abolie.

Il existe de nombreux moyens de désarmer les citoyens d’une démocratie, non seulement en les privant des armes mais également et surtout en entretenant une désinformation qui occulte une réalité effectivement difficilement soutenable.

En outre, l’éducation, la conscience morale donnent aux citoyens des scrupules dont ne s’embarrassent absolument pas ceux qui ont choisi de rejoindre ces organisations criminelles.

Cette absence de scrupules donne, sans contexte, une longueur d’avance, c’est pourquoi nos institutions ne sont pas adaptées à cette lutte.

En outre, la puissance financière dont disposent ces organisations criminelles les dispense, dans la plupart des cas, d’avoir recours à cette violence toujours présente, puisqu’il suffit d’acheter et, par conséquent, de corrompre pour installer son pouvoir.

L’entreprise peut être manifestement l’un des moyens d’expression de ce pouvoir, puisqu’elle permet de se fondre dans le tissu économique mondial en offrant toutes les apparences de la légalité.

Tant que les démocraties n’auront pas mis en place des institutions favorisant l’intelligence, c’est-à-dire la prise en considération de toutes les informations afin d’anticiper sur l’événement, les organisations criminelles auront toujours une longueur d’avance.

Au surplus, il faut accepter d’en payer le prix en considérant que ce prix est dérisoire au regard des conséquences financières désastreuses qu’engendre toute forme de pouvoir d’origine criminelle.

Quant à l’Avocat, son indépendance et son efficacité vont dépendre des pressions dont il peut être l’objet.

La pression la moins évidente est celle de sa conscience, celle que tout le monde reconnaît est économique.

Le juste équilibre entre la qualité de la prestation et sa rémunération peut être effectivement compromis par la nécessité de couvrir des charges toujours plus importantes avant de percevoir le moindre bénéfice.

Tout ce qui peut compromettre l’indépendance de l’Avocat porte atteinte à l’essence même de sa profession.

Peut-être la mondialisation permettra-t-elle, après avoir confronté l’entreprise à la société civile, de mieux définir ce que doit être et ce que ne doit pas être la profession d’Avocat.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Avocat face à 2 mondialisations : les entreprises et les Mafias
Université 🏫: Université PANTHEON ASSAS - PARIS II
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire pour le diplôme d’Université Analyse des Menaces Criminelles Contemporaines - 1999 – 2000
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