Le crépuscule de la vie juridique, les déclinaisons de la mort

B – Le crépuscule de la vie juridique, les déclinaisons de la mort.

Le corps humain qui n’abrite plus une personne n’est qu’une chose au regard du droit même si la classification de cette chose n’est pas encore bien déterminée. La mort fait sortir la personne de l’existence juridique mais n’accorde au corps qu’une protection liée à la dignité qui lui est due eu égard à sa nature humaine.

De ce fait, certains ont pensé qualifier le corps humain de chose sacrée en exhumant pour les besoins de la cause les catégories de droit romain58, qualification qui ne retire en rien cette chose du commerce; une chose sacrée peut être objet de contrat et vendue.
Dès lors, il convient de déterminer à partir de quel instant précis le défunt passe du statut de personne au statut de chose (1) afin d’envisager le recueil des éléments susceptibles d’emploi (2) thérapeutiques et scientifiques mais aussi à visée mercantile, cet aspect pratique est évoqué pour les sciences mais sans compter sur le goût de quelques-uns uns pour les collections originales d’éléments du corps humain.

1 – La détermination du moment de la mort

De la détermination précise du moment de la mort va découler toute une série de conséquences pour les éléments du ‘corps-objet’ du défunt. La date et l’heure de la mort doivent être reportées sur le registre de l’Etat Civil59, cette mention a pour effet de faire sortir la personne de la scène juridique en tant que sujet de droit, plaçant ainsi son corps sous la protection spécifique des textes relatifs aux personnes défuntes et non plus celle des atteintes à la personne.

La personne peut être reconnue défunte selon deux modalités, le traditionnel arrêt de la fonction hémodynamique et la constatation de la mort encéphalique. Cela étant, certaines situations extrêmes permettent de dire qu’une part des actes de décès résulte d’un commun accord entre les familles et les praticiens, il s’agit de la chute du patient dans un état végétatif chronique dont les conséquences peuvent s’avérer dramatiques en cas de réveil éventuel.

a – La constatation clinique de la mort

Les critères cliniques traditionnels du décès font l’objet de l’article R. 1232-1 du Code Civil.

Ce dernier prévoit que « si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : 1° Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée; 2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral; 3° Absence totale de ventilation spontanée ».
La mort cérébrale est évoquée par l’article R.1232-2 qui dispose que « si la personne, dont le décès est constaté cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique, l’absence de ventilation spontanée est vérifiée par une épreuve d’hypercapnie. De plus, en complément des trois critères cliniques mentionnés à l’article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère irréversible de la destruction encéphalique :
1° Soit à deux électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée d’enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement consigné par le médecin qui en fait l’interprétation;
2° Soit à une angiographie objectivant l’arrêt de la circulation encéphalique et dont le résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait l’interprétation. »
Aux termes de l’article R.1232-3 al. 1 « le procès verbal du constat de la mort (…) est établi sur un document dont un modèle est fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.

». Ainsi, l’encadrement des modalités de constatations de la mort permet de déterminer avec une grande certitude le moment précis de l’heure de décès et, dans le cadre de l’accord du défunt pour le prélèvement d’éléments posthumes, d’être alerté suffisamment tôt pour éviter de laisser périr des éléments indispensables à la survie de tiers.

Cet encadrement procédural a pour but d’affiner la détermination de la mort et de permettre aux équipes médicales de prendre les mesures nécessaires à l’accomplissement, dans de bonnes conditions, du recueil d’éléments souhaités. Ces mesures comprennent la recherche du consentement du défunt par tout moyen, consultation du registre des refus et témoignage de la famille, la recherche des personnes histocompatibles en attente de greffes, l’alerte des équipes de prélèvements et la mise en place du défunt sous respirateur artificiel afin de ralentir le phénomène de dégradation et de conserver les qualités optimales des éléments recueillis.

Deux autres situations peuvent toutefois alerter car elles tendent à favoriser une interprétation utilitariste de la mort en arrangeant la date de la mort en fonction d’un gain pour autrui.

b – la provocation volontaire de la mort pour motifs médicaux

Le pouvoir de décider de la date de la mort d’autrui est qualifié de crime aggravé par les dispositions du code pénal, voire de suicide lorsqu’il s’agit d’orchestrer sa propre mort.

La différence entre les deux actions est la qualification au regard du droit pénal qui punit dans un premier cas et demeure passif dans le second, pourvu qu’il n’y ait pas eu d’assistance au suicide.
Dès lors, même lorsque ce processus s’insère dans une relation médicale et est effectué au regard d’éléments décisionnels objectifs, le droit pénal reste indifférent, il s’agit d’un acte relevant du droit des personnes sanctionné à ce titre sans aménagement possible.

Pourtant, il faut souligner la différence de traitement qui résulte de cette situation d’assistance d’une personne dans l’anticipation du moment de sa mort qu’elle souhaite digne à son égard et à l’égard des autres, et la décision complètement extérieure à la personne en état végétatif chronique d’arrêter le processus de réanimation. Dans le premier cas il s’agit d’un acte de droit pénal, dans le second d’un acte médical alors même que la finalité est la même sauf que la personne n’est pas consentante dans le dernier cas.

Les services de réanimation sont les premiers vers lesquels se tournent les praticiens qui souhaitent savoir si un élément est disponible pour une personne en attente de greffe et le premier endroit dans lequel le personnel est formé à repérer les donneurs potentiels; doit-on qualifier ces services de couloir d’achalandage ou de service médical ? Eu égard aux dépenses liées au temps de placement en réanimation et aux incertitudes médicales sur l’intensité des lésions cérébrales à la sortie de la période de coma, la tentation peut-être forte de préférer le schéma fatal apte à générer le soulagement d’autres personnes en attente de greffe, parfois placées elles-mêmes dans une situation extrême.

2 – Les ressources inestimables des cadavres.

Il est communément acquis que, par principe, les cadavres sont les premiers donneurs d’éléments du corps humain. Cependant, ils sont aussi le foyer de ressources insoupçonnables pour quelques collectionneurs originaux et qui tend à prendre de l’ampleur dans la conjoncture actuelle.

a –Les prélèvements posthumes

Le prélèvement posthume d’éléments du corps humain est la règle dans les législations européennes et pour les textes internationaux. Les principes qui encadrent la légalité de ces prélèvements sont communs aux donneurs vivants et aux défunts, le donneur doit avoir consenti au prélèvement.

Or, pour tenter d’endiguer la pénurie de certains éléments, nombreuses législations consacrent la règle de la présomption de consentement60 alors que d’autres systèmes préfèrent le recours systématique au consentement exprès61. En pratique, le système de présomption de consentement au don est rarement appliqué dans la mesure où les politiques de santé publiques antérieures postulaient le recueil systématique du consentement, les praticiens étant restés sur l’ancien système en grande partie pour rallier l’otique de l’opinion publique à la pratique de la greffe qui a trop pâtie du retentissement de certains débordements malheureux en terme de prélèvement non autorisés62.

b –Les recherches médicales et le don du corps à la science

Le défaut de cadavre, pour les facultés de médecine ou pour les besoins de la recherche ou de l’industrie, hors l’industrie biomédicale, en fait un objet de valeur inestimable. Le don du corps à la science est légal, la volonté doit être exprimée dans le testament et la personne doit envoyer une lettre attestant de sa volonté de faire don de son corps à la science auprès de l’hôpital de son choix, chargé de recueillir le corps après le décès et de procéder à son inhumation une fois que l’utilité de ce dernier n’est plus avérée.

En outre, l’expérience américaine recèle de nombreuses situations de recherche de cadavres pour diverses industries. Certaines personnes sont chargées de recueillir le consentement de la famille pour le don d’éléments ou du corps à une structure factice pour ensuite revendre l’objet de leur délit auprès des plus offrants tels que les industries de cosmétiques ou pharmacologiques.

Sans compter sur l’expérience allemande consistant en la recherche du moindre coût et visant à substituer aux mannequins destinés aux crash-tests, dans les laboratoires sponsorisés par les industries automobiles63, des cadavres. Le cadavre est donc une source d’innombrables et inestimables applications.

c – Le marché officiel aux éléments.

De la même manière il est possible de se procurer, moyennant contrepartie financière, des éléments tels que des têtes décapitées, des squelettes64… Eléments qui sont mis en vente libre et qui font l’objet d’une publicité à ce titre.

Les éléments du corps humain, principalement issus de cadavres, font depuis longtemps l’objet de collections privées et de marchés aux antiquités. Ces collections d’érudits ont acquis au cours du temps une valeur inestimable et sont dorénavant revendues à prix fort.

Désormais, les collections privées sont convoitées pour une application qu’elles n’avaient pas jusque là, au regard des éléments récemment extrait du corps et pouvant être l’objet de brevetabilité. La course au décryptage du génome humain a eu pour conséquence d’insuffler une dimension nouvelle aux anciennes collections en en faisant une source d’accès facile à du matériel humain, mais une source onéreuse.

Au même titre que ces collections, les banques privées de matériels humains se sont développées de façon sauvage. Eu égard au caractère patrimonial qu’elles tendent à conférer aux éléments du corps humain et aux risques que cela peut engendrer pour la sécurité des personnes, le droit s’est attaché à rattraper ce phénomène afin de l’encadrer en affirmant le principe de non commercialisation des éléments du corps humain.
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56 MATHIEU (B.), « De la difficulté d’appréhender l’emploi des embryons humains en termes de droits fondamentaux », Rev.Trim. dr.h. n° 54, 2003, p.400-401.
57 Ibid; CCNE, Avis n° 72, Réflexions sur l’extension du diagnostic préimplantatoire, 4 juillet 2002.
58 LABBEE (X.), « Le corps humain, objet de propriété divine ? », Politéia n° 3, Dossier constitutionnel, 2003
59 Code Civil., Art. 78 et Art.79.
60 France, Hongrie, Slovaquie, Pologne, République Tchèque, Norvège
61 Espagne, Italie, Royaume-Uni
62 Un médecin autorisé à prélever certains organes sur le corps d’un jeune garçon a prélevé plus que ce que l’autorisation parentale lui permettait, l’évènement du jeudi, 20 mai 1992.
63 Un cadavre frais coûte quelques centaines de dollars alors qu’un mannequin vaut près de 2000 marks.
64 LABBEE (X.), « Le corps humain, objet de propriété divine ? », Politéia n° 3, Dossier constitutionnel, 2003, note 8.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La vénalité des éléments du corps humain
Université 🏫: Université DE Lille 2 – Droit et santé Ecole Doctorale n° 74 - Faculté des sciences juridiques, politiques et sociale
Auteur·trice·s 🎓:
LAPORTE Sylvie

LAPORTE Sylvie
Année de soutenance 📅: Mémoire réalisé en vue de l’obtention du MASTER droit - Filière recherche, mention droit médical 2003-2008
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