La jeunesse aujourd’hui, une redéfinition de la jeunesse

La jeunesse aujourd’hui, une redéfinition de la jeunesse

2.2. La jeunesse aujourd’hui

Il semblerait que l’accès à la vie adulte reste, de nos jours, plus tardif et plus ardu. Pour obtenir ce statut, il faut avoir un emploi, un logement indépendant, vivre en couple et éventuellement fonder une famille.

Le problème de cette définition1 réside dans le fait que ces étapes ne sont pas toutes franchies au même âge et dans un ordre établi. De plus, les seuils délimitant ces étapes semblent de plus en plus se distinguer.

Il n’est plus si simple de passer de l’âge de l’enfant à celui de la jeunesse et ensuite de celui-ci à l’âge adulte.

Des statuts intermédiaires se créent comme des emplois temporaires, une vie solitaire, une vie en couple hors mariage, une vie en couple sans enfants.

Le grand responsable de ce recul de l’âge d’entrée dans la vie adulte reste le prolongement de la scolarité, qui entraîne automatiquement des retombées sur l’âge de franchissement des autres étapes.

Si on considère l’âge médian de fin d’études, on s’aperçoit que pour les jeunes nés en 1963, il était entre 18 et 19 ans, pour ceux nés en 1971, il atteint les 21 ans.

Et c’est la génération de 1968 qui semble à l’origine de cette prolongation scolaire, qui se situe entre 19 et 21 ans.

Il est certain que ce phénomène est lié à une volonté politique d’une scolarisation de masse et d’un accès plus large au baccalauréat, pour une tranche d’âge donnée.

A ceci s’ajoutent les conséquences du chômage des jeunes à la recherche d’un premier emploi. La conjoncture défavorable n’a fait qu’augmenter ces effets depuis les années 1980.

L’accès à un emploi stable a été brutalement retardé et amplifié par la montée du chômage.

Si on considère les seuils familiaux, on constate que la prolongation des études a des conséquences plus ou moins directes. Certains jeunes vivent en couple, hors du milieu familial, avant d’avoir terminé leurs études.

Pourtant, dans la plupart des cas, le jeune vit en semi-autonomie résidentielle. L’étudiant habite dans une ville universitaire souvent éloignée du domicile parental et rentre dans sa famille le week-end.

Pourtant, le jeune retarde l’entrée dans un logement indépendant, ce qui entraîne une vie de couple plus tardive et une vie solitaire accentuée. Parallèlement, le mariage connaît un recul important.

Malgré le retard mis à franchir ces étapes, les jeunes accèdent en majorité aux statuts qui définissent l’âge adulte, de façon plus lente, mais sans le remettre en cause fondamentalement20.

Lorsque le jeune quitte le milieu familial, celui-ci continue à l’aider surtout la première année. Si le départ n’est pas dû aux études, l’aide reste plus modeste.

Par contre, les étudiants reçoivent l’appui de la famille sous forme d’une mensualité régulière. Le volume de l’aide dépend alors des possibilités financières des parents.

Ainsi, les enfants d’ouvriers et d’employés sont peu nombreux à partir continuer leurs études ailleurs.

Dans tous les cas, les filles sont beaucoup plus aidées et protégées que les garçons, ces derniers devant être capables de «se débrouiller » seuls.

Pourtant, ce départ reste progressif. Etudiant, on rentre chez soi le week-end. Certains reviennent s’installer chez leurs parents après un premier départ. En fait, plus le départ est précoce moins il revêt un caractère définitif.

Ceux qui partent pour un emploi reviennent moins. Enfin, le retour est rare dans le cas d’un conflit.

Lorsque la réinstallation est durable, elle fait souvent suite à un échec. Le domicile familial prend alors l’aspect d’un refuge. Plus le départ est précoce, plus le risque d’échec est élevé et donc plus le retour fréquent.

Les filles restent les plus nombreuses à revenir après un échec. Mais, le retour chez les parents ne se présente pas toujours comme un échec.

En effet, pour un plus grand nombre, il est signe de la fin des études et est considérée comme un passage normal avant l’entrée dans la vie21.

Parallèlement, les jeunes restent très ouverts sur le monde. Celui-ci fait partie de leur culture qui leur permet d’être reconnus. L’acceptation des différences est importante. La musique reste un exemple parfait.

Les différences que l’on rencontre s’apprivoisent.

Un mouvement d’homogénéisation se créé dans les valeurs, les goûts et les références. Une même chanson passera au travers des cultures et des ondes, pour déclencher un enthousiasme commun.

Et c’est au travers de ce mouvement qui traverse les cultures à l’échelle de la planète, qu’il faut déchiffrer les effets de la mondialisation sur la formation des identités individuelles et collectives.

Les jeunes doivent alors se créer des repères plus complexes qu’autrefois, car composés de signes de reconnaissance de plus en plus divers.

Les jeunes sont porteurs d’une conscience morale forte, qui entraîne une grande sensibilité à des problèmes de société.

La réalité du monde leur fournit de quoi construire des référents identitaires complexes à déchiffrer22.

Ainsi, le jeune subit une mutation jusque dans sa définition. Ceux qui présentent des formations scolaires courtes subissent un allongement forcé de l’adolescence.

La famille offre ici une protection essentielle, face à une précarité professionnelle pouvant conduire à une exclusion sociale.

Dans le cas du report des engagements familiaux, même si les jeunes disposent des moyens nécessaires pour s’installer, ils ne le font pas immédiatement.

On peut alors s’interroger sur les raisons plus profondes qui sont mises en œuvre lors de la socialisation. Ne serions-nous pas passés d’un «modèle de l’identification » à un «modèle de l’expérimentation » ?23

L’identification se retrouve dans la société du XIXe siècle, tout en restant présente dans certains secteurs de la société actuelle. Son principe est basé sur la transmission d’une génération à l’autre, avec identification au statut et au rôle paternel.

La prolongation scolaire, la transformation des structures socioprofessionnelles et les aspirations à la mobilité sociale remettent en cause ce modèle.

Un écart se forme entre le groupe d’appartenance et le groupe de référence, le jeune doit trouver, hors du cadre familial, les éléments lui permettant de construire ses identités et ses valeurs.

L’expérimentation permet alors de laisser une place à divers agents de socialisation.

Les acteurs assemblent les divers apports reçus en fonction de leurs parcours de vie. La définition de soi se construit donc plus qu’elle n’est héritée.

Et c’est l’ensemble du parcours de l’acteur, fait d’essais et d’erreurs, qui lui permet de parvenir à une définition de soi, à la fois satisfaisante sur le plan de la «self- esteem » et crédible aux yeux des acteurs institutionnels.

C’est cette phase d’expérimentation de plus en plus longue, qui explique le prolongement de la jeunesse et sa formation comme un nouvel âge de la vie24.

Ainsi, ce concept de l’expérimentation semble bien être à la base d’une redéfinition de la jeunesse.

Ne plus s’identifier au père pour devenir adulte, c’est aussi trouver de nouvelles normes comme celle d’acteur de sa propre vie. La jeunesse doit mettre en œuvre elle-même des solutions aux crises qu’elle traverse.

Et c’est cette mutation de «l’état de jeune » qui va servir de support à ma recherche future.

Découvrir et comprendre la nouvelle position de la jeunesse au travers de ses actes et de ses inventions pour s’insérer dans la société reste, pour moi, primordial dans une étude sur la jeunesse et dans une envie de saisir la nouvelle société qu’ils construisent malgré les discours pessimistes de leurs aînés.

Il faut aussi considérer en matière de norme d’âge face à l’entrée dans la vie adulte, la norme de précocité, existant dans les années cinquante, transformée en norme de retardement de nos jours.

Nous sommes dans une société où tout nous pousse à rester jeune le plus longtemps possible. Les relations intergénérationnelles ont changé. D’un modèle autoritaire, nous sommes passés à un modèle libéral.

La cohabitation est plus simple, car elle respecte l’espace privé de chacun.

Les jeunes qui s’installent, s’ils vivent seuls, ne sont pas pour autant solitaires. Ils développent des sociabilités intenses.

Là encore, on prolonge un mode de vie hors des obligations familiales basées sur une sociabilité amicale25.

Comment alors redéfinir la jeunesse ? Une distinction par l’âge ne peut être qu’arbitraire, en effet, fixer des seuils ne peut avoir qu’une fonction de classification sans réelle légitimation.

Comment peut-on être sûr aujourd’hui qu’une tranche possède une certaine homogénéité de pratiques sociales, d’attitudes et de goûts ?

Car enfin, la jeunesse n’est-elle pas un âge de la vie qui se joue, à la fois dans le passage de l’école au travail, mais aussi de la famille d’origine à celle que le jeune va lui-même fonder ?

Aujourd’hui, le prolongement des études et l’allongement du passage de l’école au travail, sont deux phénomènes qui contribuent à un accès tardif au statut d’adulte.

Si on considère l’évolution des mœurs, avec une vie en couple retardée, même pour les jeunes occupant un emploi, la vie familiale est alors différée.

Les formes de cette jeunesse prolongée sont différentes selon les catégories de jeunes et le motif du report.

Les jeunes ayant une formation courte reste plus longtemps chez leurs parents, alors que les jeunes suivant des cycles de formation longue ont des vies partiellement ou complètement extérieures à la famille, disposant d’un logement et rentrant à la maison le week end.

Ces différences au sein de la jeunesse sont importantes, car si l’allongement vécu par les uns est le résultat d’une exclusion du marché du travail, les autres profitent de cette période de tâtonnements pour faire coïncider leurs projets avec un statut social et professionnel.

L’écart entre les générations est lui aussi touché par cet allongement bien que compensé par une solidarité familiale.

Mais qu’en est-il du terme adolescent ? L’adolescence est un mot qui a été inventé par les psychologues au début du siècle26. Ici, on considérait cet âge de la vie dans une perspective d’investigation scientifique.

Cette conception était à la fois psychologique et physiologique.

« C’est la phase de la vie qui débute avec l’apparition de la fonction génitale et se termine avec la fin de la réorganisation de la personnalité qui suit la maturation sexuelle.

L’ensemble de cette période est analysé comme une période de crise ».

Depuis une vingtaine d’années adolescence psychologique et adolescence sociale divergent, la première étant de plus en plus précoce, alors que la seconde est de plus en plus tardive.

De nouvelles façons de catégoriser cette période de la vie apparaissent donc : post-adolescence, jeunesse, pour définir des séquences nouvelles qui n’appartiennent plus à la définition psychologique de l’adolescence, sans entrer pour autant dans les cadres de la définition sociologique de l’âge adulte27.

On peut dire que, d’une certaine façon, le temps de la jeunesse est une étape dans la préparation à la vie adulte.

On apprend alors les règles de la société en les transgressant ou en les remettant en cause. C’est le temps des sociabilités juvéniles, de l’appropriation d’une certaine culture avec une affectivité exacerbée.

C’est aussi le moment où l’on se forme, normalement, à un métier, où on entrevoit un possible avenir hors de la famille d’origine.

Pourtant, si cette description semble englober la jeunesse dans une certaine homogénéité, il me semble important de préciser, de nouveau, que ceci n’est qu’une illusion. En effet, on peut ici aussi parler de catégories. Parmi celles-ci, on trouve la catégorie des exclus.

Ils sont souvent dans des espaces péri- urbains, appartenant à un monde désorganisé et dépourvu de repères normatifs clairs. Leurs problèmes personnels restent le témoignage de l’intériorisation de cette désorganisation.

Le jeune a le sentiment de vivre dans un monde défait, imprévisible et hostile28.

« La galère » est aussi l’exclusion vécue au travers des difficultés économiques, des blocages scolaires et institutionnels conduisant le jeune à la constatation d’une absence d’avenir personnel.

On rencontre alors deux types de jeunes : ceux qui deviennent déviants et agressifs, ceux qui intériorisent l’aliénation coupable et malheureuse de l’échec.

En découle une rage face à l’absence de mouvement social et de conscience de classe. La domination est alors vécue avec violence et interdit la formation d’une sous culture stabilisée dans la marginalité juvénile.

La galère est donc un système ouvert dans lequel le jeune circule jusqu’à épuisement, destruction ou sortie grâce à l’intervention extérieure de l’institution.

Le sujet est alors éclaté, dispersé, incapable de tenir une position cohérente, l’éclatement de la galère étant intériorisé.

Ainsi la jeunesse semble bien avoir pris une place dans la société, qui reste pourtant variable, selon la position sociale que l’on occupe et dont on est issu, place qu’il reste intéressant de mieux connaître et surtout de mieux comprendre.

On peut donc considérer la jeunesse comme un groupe social qui développe des valeurs, des goûts culturels propres et qui échappe au processus d’institutionnalisation traditionnel.

On comprend bien, ici, l’importance d’une étude sur cet âge de la vie.

D’où l’intérêt d’une recherche qui va nous permettre de repérer cette jeunesse au travers de ses activités et de ses envies, afin de comprendre ses revendications et surtout de saisir ses compétences, qu’elle tente d’exploiter pour s’insérer, mais que l’adulte a du mal à repérer, voire reconnaître comme une construction vers un nouvel avenir.

Car enfin, la jeunesse reste une sorte de mini-société sans droits, sans statuts, différente de la société adulte. L’origine de cette différence est peut-être à chercher du côté des peurs de l’adolescent qui échappe à l’institution.

Du coup, on a tendance à le considérer systématiquement en danger, donc dangereux. D’où cette envie tenace d’institutionnaliser l’adolescence pour un meilleur contrôle.

L’adolescent pratique une sociabilité des pairs. Cette notion de regroupement est très forte durant cette période. L’adolescent essaie de se dégager d’un temps de contrainte comme le temps familial, scolaire, etc.

Il essaie donc d’échapper à l’aliénation de sa vie quotidienne. Face à un horizon problématique, il s’échappe pour mieux se reconstruire ailleurs.

Il se caractérise aussi par une conception très large du «culturel » qu’il assimile à ses modes de vie.

En fait, le temps libre des adolescents est aujourd’hui un véritable mode de vie. Et si on prend l’exemple du rappeur, il reste rappeur tout au long de la journée. Lorsqu’il n’exprime pas son art, il est facilement identifiable par sa façon de parler, de bouger, de s’habiller, etc.

Il existe donc une société adulte et une société adolescente. Celle-ci existe parce que nous sommes dans une société duale : « ceux qui sont dedans, ceux qui sont dehors »29.

L’exclusion de cette classe d’âge a entraîné l’émergence d’une société adolescente.

Celle-ci est constituée de plusieurs petites communautés flexibles et éphémères (basketteurs, tagueurs, rappeurs, rollers, etc.), très éloignées des communautés groupales que l’on rencontrait autrefois.

Pourtant, des ponts existent entre elles. Ces communautés se distinguent par des caractères qui leur sont propres : langage, vêtements, valeurs, etc.

C’est en fait une forme de lieu communautaire, et c’est peut-être ce qui fait peur.

Dans les années soixante, Margaret Mead, ethnologue, parle d’un phénomène nouveau, «le fossé des générations »30. Pendant vingt ans on va refuser d’en tenir compte, pourtant, il apparaît comme la preuve d’une crise des processus de socialisation traditionnels.

Alors, que transmettent les familles ? La réponse reste floue. Aujourd’hui les adolescents apprennent une autre société, faite d’autres valeurs et d’autres principes.

Ceci entraîne un décalage entre les réalités des adultes et celles des adolescents.

Et même si les jeunes semblent avoir choisi cette pratique en liberté, on peut quelquefois remarquer un regret face au manque d’arbitrage et de règles31.

Car si cet âge de la vie est reconnu, il devient automatiquement un sujet d’interrogation et surtout d’intervention sociale.

La question juvénile doit être traitée par l’intermédiaire de mouvements de jeunesse, en lien avec la mise en place d’une politique de la jeunesse, destinée à organiser cet âge nouveau de la vie.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La jeunesse et le rap, Socio-ethnographie d’un espace intermédiaire
Université 🏫: Université Paris X - UFR SPSE - Département des Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Alain VULBEAU

Alain VULBEAU
Année de soutenance 📅: 1999-2000
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