Les premières agences d’ethnomarketing françaises

Chapitre 4 : Un essor possible du marketing ethnique en France ?

Section 2 :

Des avancées

I. Les premières agences d’ethnomarketing françaises

Les agences et les médias ethniques progressent en France, preuve que les minorités ethniques commencent à faire entendre leur voix. L’agence Sopi communication, créée en 2003, est la première à s’être lancée dans la démarche du marketing ethnique en France.

Convaincu du réel potentiel économique représenté par les minorités ethniques, l’agence s’est attelée, avec l’accord des intéressés, à établir des bases de données fiables susceptibles de dévoiler les comportements d’achats et les besoins spécifiques des différentes minorités.

Lancée par deux anciens de Publicis, Jean-Christophe Despres et Gilles Sokoudjou, Sopi souhaite adapter le marketing ethnique venu des Etats-Unis aux spécificités françaises et associer progressivement les marques à la réflexion ethnique.

En France, la loi n’interdit pas la création de bases de données comportementales «ethniques», à partir du moment où les intéressés sont d’accord.

Sopi diffuse ainsi ses questionnaires sur Internet et auprès d’un réseau connu de l’agence.

En raison de la très grande sensibilité des questions ethniques en France, l’agence a tout de même placé sa base de données sous le contrôle d’un «comité éthique» et travaille en étroite collaboration avec la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité).

Pour son PDG, Jean- Christophe Despres, le but du marketing ethnique est de «donner plus de représentativité aux minorités ethniques» mais il «ne deviendra une activité substantielle que dans plusieurs années».69

L’agence Sopi a obtenu le Grand Prix TV de la communication solidaire pour la campagne «N’y pense même pas» mettant en scène les chanteurs Lady Sweety et Jacky Brown dans un clip musical contre le sida encourageant le port du préservatif.

Sopi a établi un classement des minorités ethniques (toutes origines confondues) en cinq groupes distincts :

  1. Les «positive thinkers», qui n’ignorent pas la discrimination mais font leur possible pour réussir et se hisser dans les hauts rangs de la société ;
  2. Les «ET ET», qui revendiquent tout autant la culture de leurs parents que celle du pays où ils sont nés ;
  3. Les «Sam’suffit», qui ne veulent pas être considérés comme appartenant à une minorité ethnique ;
  4. Les «révoltés identitaires», qui subissent une forte frustration à l’égard de la société française ;
  5. Les «comme au pays», qui cherchent à consommer ethnique et veulent des produits spécifiques, essentiellement dans l’alimentation et l’habillement.

Selon l’agence, 75% des minorités seraient classés dans le groupe des «comme au pays». Le deuxième groupe le plus présent serait celui des «ET ET», principaux utilisateurs de médias ethniques et plus à même d’être touchés par le marketing ethnique lors des fêtes traditionnelles.

Enfin, le troisième groupe le plus important serait celui des «Sam’suffit», qui n’ont recours aux produits ethniques que pour des besoins spécifiques comme la cosmétique et la coiffure.5

Autre pionnier du marketing en France, l’agence Ak-a, fondée en 2005, s’est spécialisée dans les sondages, les études et le conseil sur les «Afro-Français» (originaires d’Afrique subsaharienne ou des Dom Tom).

La société a ainsi révélé que cette cible, estimée entre 3,5 et 6 millions de personnes, a des besoins particuliers en terme de musique, d’habillement, de cosmétiques, de programmes télévisés ou encore d’alimentation.

L’agence se base également sur Internet et ses relais d’information afin de mieux toucher les minorités ethniques. Selon Didier Mandin, responsable du développement de l’agence, «le secteur est en fort développement depuis fin 2006, car les marques ont compris que ce marché de niche était en fait intéressant.

» Ainsi, il toucherait près de 14 millions de Français d’origine étrangère et se développerait dans quatre secteurs en particulier : la cosmétique, les services financiers, l’agroalimentaire et la téléphonie.70

L’agence Ak-a a ainsi réalisé des campagnes pour des marques comme SoftSheen-Carson (L’Oréal), Nivea, Western Union ou encore Diaspofone (téléphonie). L’agence Le Public Systeme se revendique quant à elle experte en “communauté planning”, en offrant des plans média “identitaires”.

l'agence Ak-aEnfin, autre spécialiste du marketing ethnique, Amarcom, créée en 2003, cible les populations d’origine arabe en France.

En mars 2004, l’agence a même publié un “Guide de la France arabe” afin d’orienter efficacement la communication des annonceurs envers cette cible au fort potentiel.

Cependant, bien qu’elles se développent rapidement, les agences en France sont encore loin d’avoir trouvé l’assise qu’elles ont acquise outre-Atlantique, où les structures de marketing ethnique sont extrêmement nombreuses.

69 » Sopi Communication se voit en précurseur du marketing ethnique», Le Journal du net, 22 octobre 2003, www.journaldunet.com

70 «Ak-a met l’Internet au service du marketing ethnique», Le Journal du net, 6 février 2008, www.journaldunet.com

II. Des campagnes ethniques émergent

Les consommateurs veulent des gens qui leurs ressemblent dans les publicités, et les annonceurs commencent enfin à le comprendre.

Les principaux marchés touchés par le marketing ethnique sont le secteur de l’agroalimentaire, la téléphonie, le secteur financier, l’automobile et les cosmétiques.

A- Le marché des produits Halal en pleine expansion

Les musulmans représentent en France la deuxième plus grande communauté religieuse, soit 5 millions de personnes, et dépensent 30% de leur budget en alimentaire, contre 14% pour les consommateurs non-musulmans.71

Par ailleurs, 81,5% des femmes originaires du Maghreb considèrent que le caractère halal des plats/aliments est un élément décisif dans leur choix de nourriture. 71

Le marché de l’alimentation halal, qui signifie «autorisé» ou «licite» est ainsi florissant, même s’il a peu fait l’objet de statistiques en France.

Selon l’agence de marketing ethnique Solis, le marché du halal est une niche en plein essor, estimée à plus de 5,5 milliards d’euros en 2010, un chiffre encore meilleur que le bio (estimé à 3,04 milliards d’euros).72

Ainsi voit-on l’apparition de tous types de produits estampillés halal – du champagne sans alcool au foie gras, en passant par les bonbons – qui connaissent un vif succès.

La fête du Ramadan constitue ainsi une opportunité considérable d’augmenter les ventes de produits halal et constitue même dans certains cas un «second noël» pour les supermarchés. 73

De grandes enseignes comme Auchan, Leclerc, Carrefour, Super U, Cora ou Casino se sont clairement positionnés sur ce marché prometteur, en proposant tout une gamme de produits liés à la période du Ramadan.

La tendance est similaire chez les voisins européens comme la Grande-Bretagne avec des chaînes comme Tesco et Sainsbury’s ou la Belgique notamment chez Carrefour Belgium. Sur le plan européen, le marché du halal est estimé à environ 150 milliards de dollars, avec une croissance de 10 à 15% !

Mais le marché n’est plus seulement un marché saisonnier, et les produits halal sont de plus en plus disponibles dans les hypermarchés français.

“Auparavant, une enseigne nationale n’avait souvent qu’un seul fournisseur halal, mais ce n’est plus suffisant aujourd’hui” affirme Serge Barraud, commercial chez Corico.

Cette entreprise familiale, spécialisée dans la dinde, a développé depuis trente ans la marque Medina Halal, qui lui permet de réaliser 40% de son chiffre d’affaires, soit 45 millions d’euros en 2005. La marque Duc réalise quant à elle plus de 10% de ses ventes avec ses gammes halal.

Pour Laurent Dupuy, directeur général de Haudecoeur, “on ose maintenant parler de catalogue Ramadan. Personne ne veut se priver de ce chiffre d’affaires”.65

Son entreprise, grâce à sa marque de produits orientaux nommée Samia, atteint un chiffre d’affaires de plus de 80 millions d’euros. Même les grandes chaines de produits alimentaires se mettent à créer leurs gammes de produits halal.

En septembre 2009, Casino créa ainsi Wassila, première marque de distributeur halal, proposant de la charcuterie, des plats cuisinés traiteurs et des surgelés. «Le marché se porte tellement bien qu’il attire de nouveaux acteurs, susceptibles de faire de l’ombre au secteur traditionnel» (…)

«Les enseignes de la grande distribution se lancent elles aussi à l’assaut d’un marché prometteur, en pleine expansion. «74

En effet, le Halal séduit désormais de plus en plus de jeunes. Et les industriels proposent aujourd’hui des produits plus élaborés, avec une communication plus intense, afin de séduire cette nouvelle génération de consommateurs.

La viande reste le produit auquel les musulmans de France attachent la plus grande importance au niveau de la labellisation Halal. 99,3% des acheteurs de Halal originaires du Maghreb achètent de la viande halal ; 70% de la charcuterie ; 22,9% des plats cuisinés; 16,1% du bouillon cube; 12,7% des soupes ; 10,9% des bonbons ; 9,4% des sauces à base de tomate et 3% des petits pots pour bébés.74

Le Halal passe peu à peu d’un marché viande à un marché beaucoup plus sophistiqué. La marque Maggi, qui s’est elle aussi lancé dans le Halal, et a même doté son entreprise d’un département ethnique, a par exemple lancé de nombreux plats cuisinés certifiés Halal, comme le hachis parmentier ou encore les cannellonis.

Pour célébrer ses 20 ans, le numéro deux de la charcuterie Halal, Isla Délice, offrait à ses clients des gratuités sur ses produits phares, comme ses lardons de poulet.

La marque développe de plus en plus ses campagnes marketing pour courtiser les musulmans de France.

Campagne publicitaire Isla Délice

Campagne publicitaire Isla Délice

La marque Zakia, qui avait sponsorisé Un dîner presque parfait sur M6 fin 2008, a même décidé de lancer un spot télévisé pour les produits halal, une première en France.

L’engouement médiatique autour de la campagne TV de Zakia Halal, au sortir de l’été, a-t-elle réveillé les annonceurs ? » Le halal existait en France bien avant cette campagne ! Cela va néanmoins les pousser à se différencier, à aborder la question marketing de manière un peu plus sophistiquée et à assumer un peu plus de faire du halal. «71

Reste que les quelques campagnes existantes ont toutes pour point commun un traitement qui reprend, dans la forme, les codes du » low-cost «.

» Les annonceurs estiment qu’il s’agit d’un marché de niche et, de fait, mettent moins d’argent «, avance J.-C. Despres. La route est encore longue.

La récente polémique quant à l’ouverture de restaurants Quick Halal montre à quel point le sujet est sensible.

Début 2010, l’enseigne de restauration rapide française Quick décide de vendre uniquement de la viande certifiée Halal dans huit de ses 362 points de vente, situés dans des lieux à forte population musulmane. Plusieurs personnalités politiques avaient vivement critiqué la mesure, qualifié de “communautariste” et “discriminatoire”.

Mais malgré la controverse suscitée dans les médias et l’opinion publique, Quick a décidé d’étendre la mesure à 22 de ses restaurants. L’expérience a en effet été très concluante pour la chaîne de restauration, qui a doublé son chiffre d’affaires.

C’est donc la logique économique qui prend le dessus, et le marché du Halal devrait attirer de nombreuses autres enseignes de la restauration en France.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Le marketing ethnique made in USA est-il transposable au modèle républicain français ?
Université 🏫: Institut d’études politiques IEP de Toulouse
Auteur·trice·s 🎓:
Mlle Soraya Thonier

Mlle Soraya Thonier
Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche - 2025
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