Le jeu de hasard, le poker et le consommateur en tant que joueur

Section III :

Les notions clés

A- Le jeu de hasard

1- Définition

Tel que défini par le droit belge à l’article 2, 1° de la loi du 7 mai 1999, un jeu de hasard doit être entendu comme « tout jeu ou pari pour lequel un enjeu de nature quelconque est engagé, ayant pour conséquence soit la perte de l’enjeu par au moins un des joueurs ou des parieurs, soit le gain de quelque nature qu’il soit, au profit d’au moins un des joueurs, parieurs ou organisateurs du jeu ou du pari et pour lequel le hasard est un élément, même accessoire, pour le déroulement du jeu, la détermination du vainqueur ou la fixation du gain »11.

Nous ne nous attarderons pas sur cette définition, assez claire, du jeu de hasard. Tout au plus, nous soulignerons que l’enjeu engagé doit « avoir une valeur patrimoniale susceptible d’être transférée »12 par opposition aux jeux joués gratuitement. En outre, comme le précise la définition donnée par la loi de 1999, le hasard doit faire partie intégrante du jeu en question, même si ce n’est qu’à titre accessoire.13

2- Exclusions

Cette définition souffre des exclusions explicitement et limitativement prévues à l’article 3 : « Ne sont pas des jeux de hasard au sens de la présente loi:

  1. 1. les jeux relatifs à l’exercice des sports, ainsi que les paris engagés à l’occasion de ces jeux;
  2. 2. les jeux offrant au joueur ou au parieur comme seul enjeu le droit de poursuivre le jeu gratuitement et ce, cinq fois au maximum;
  3. 3. les jeux de cartes ou de société pratiqués en dehors des établissements de jeux de hasard de classe I et II, ainsi que les jeux exploités dans des parcs d’attractions ou par des industriels forains à l’occasion de kermesses, de foires commerciales ou autres et en des occasions analogues, ne nécessitant qu’un enjeu très limité et qui ne peuvent procurer, au joueur ou au parieur, qu’un avantage matériel de faible valeur (…) »14.

On le voit, les paris sportifs ne sont pas considérés comme des jeux de hasard au sens de la loi de 1999.15 Nous ne nous pencherons sur ce type de paris que dans le cadre du système français.16

En outre, nous ne traiterons pas, dans le cadre de ce travail, des jeux de loterie qui sont exclus du champ d’application de la loi de 1999.17 Les loteries sont organisées, en Belgique, exclusivement par la Loterie Nationale. Cette dernière jouit d’un monopole en la matière.

Notons, à titre d’information, qu’il est possible d’y jouer sur Internet à l’heure actuelle, et ce depuis le 15 septembre 2009.18 En outre, soulignons que la Loterie Nationale n’est aucunement soumise au contrôle de la Commission des jeux de hasard.

18 Voy. à ce sujet : « C’est le Père Noël de l’Etat (Interview d’Etienne Marique, président de la Commission des jeux de hasard)» in Le Vif l’Express, 19 juin 2009 ; « Internet, poule aux œufs d’or » in Le Vif l’Express, 19 juin 2009 et « https://www.e-lotto.be/Areas/Registration/Template_1_FR/index.html#action=register-customer» pour consulter la procédure d’inscription aux jeux de loterie sur Internet.

11 Art. 2, 1° de la loi du 7 mai 1999.

12 K. ANDRIES, N. CARETTE et N. HOEKX, op.cit., p. 157.

13 Pour une étude très complète sur la définition légale du jeu de hasard en droit belge, et notamment, la notion et la place du hasard dans de tels jeux, Voy. K. ANDRIES, N. CARETTE et N. HOEKX, op.cit.

14 Art. 3 de la loi du 7 mai 1999.

15 Art. 3, 1 de la loi de 1999.

16 Voy. infra. Chapitre 4.

17 Art. 3bis de la loi du 7 mai 1999.

B- Le consommateur en tant que joueur

Nous examinerons ici les différents éléments qui font que le consommateur, en tant que joueur, et plus particulièrement en tant que joueur en ligne, doit être protégé. Pour ce faire, nous mettons en exergue les particularités des jeux en ligne, en ce qu’elles peuvent conduire plus facilement à un comportement addictif.

En effet, les différences fondamentales entre le jeu pratiqué sur Internet et celui pratiqué dans le monde réel fixent, selon nous, la pleine mesure de la protection dont doit bénéficier le consommateur, en tant que joueur.

Si les jeux de hasard connaissent à l’heure actuelle un succès sans précédent, c’est en grande partie dû au fait de leur introduction sur Internet au milieu des années 90.19 En effet, à côté de l’image classique des salles de jeux et autres casinos enfumés réservés, en principe, à une certaine classe sociale de la population, s’est développé un tout nouveau secteur : celui des jeux de hasard en ligne.

En quoi le fait de pratiquer un jeu de hasard en ligne peut-il être considéré comme différent du fait de pratiquer ce même type d’activité dans un établissement spécialisé? En réalité, les différences sont, dans le fond, assez minimes mais fondamentales dans la forme.

Au fond, les jeux pratiqués « online » sont pour la plupart exactement les mêmes que ceux que proposent les établissements de jeux de hasard tels que les casinos ou les salles de jeux. Les règles du jeu sont identiques, les gains possibles sont semblables (en matière de taux de gains et de cotes), l’addiction qu’ils peuvent engendrer est relativement similaire dans la mesure où un jeu peut conduire à des comportements compulsifs, peu importe le lieu où celui-ci est pratiqué.

Le jeu de hasard, le poker et le consommateur en tant que joueur

Dans la forme cependant, jouer « online » ou en « live » s’avère être complètement différent, et ce, sur base de plusieurs critères.

1- Accessibilité

Contrairement à un casino ou à une salle de jeux « classique », un site Internet (ou un programme installé sur ordinateur depuis ce site Internet) a l’avantage de ne jamais fermer. En effet, les croupiers sont remplacés par des programmes algorithmiques qui garantissent un « hasard fiable ». Ainsi, la grande majorité de sites de jeux en ligne restent ouverts perpétuellement, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Ce phénomène est accentué par le fait que, par définition, Internet permet l’accès à ces sites à des joueurs du monde entier. Il est vrai que dans la plupart des jeux de hasard, le joueur joue contre « la banque » qui n’est autre que l’opérateur de jeux en ligne lui-même. Pour ce type de jeu20, le fait que d’autres joueurs soient présents importe peu.

D’autres jeux, cependant, exigent la présence d’autres joueurs contre qui jouer. Nous songeons particulièrement à l’exemple du poker auquel il est par définition impossible de jouer sans adversaire. Pour ce type de jeux, Internet constitue une ressource de premier choix. En effet, un opérateur de jeux en ligne offre la possibilité de jouer contre des joueurs du monde entier.21

De cette façon, un joueur y trouvera toujours un adversaire à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.

2- Montants des enjeux

Un casino classique proposera des jeux en fixant une mise minimum ainsi qu’une mise maximum. Le principe est identique pour les jeux de hasard proposés sur Internet. Les échelles diffèrent cependant de façon significative. Pour illustrer cet écart, nous prendrons l’exemple du poker.

Lorsqu’un joueur désire jouer au poker dans le monde réel22, il se dirigera vers le cash game23 ou vers les tournois24. L’offre des cash games oscille entre des blinds25 2€-2€, dans lesquels le joueur pourra jouer avec le montant de son choix entre 50€ et 200€, et des blinds 5€-10€, dans lesquels les montants sont fixés entre 200€ et 1000€. Sur demande, des tables plus élevées peuvent néanmoins être ouvertes. En tournoi, le montant des droits d’entrée est très variable ; il peut aller de 40€ à 2000€, parfois davantage encore pour les gros événements.

Sur Internet, l’offre est considérablement plus diversifiée. En effet, en cash game, le joueur trouvera des parties dont les blinds varient entre 0.01$-0.02$ et 500$-1000$. En tournoi, les droits d’entrée sont également très variables puisqu’ils commencent à 0.10$ et vont jusqu’à 5000$. Encore une fois, lors de certains gros événements, ces montants peuvent être dépassés.

La conséquence de ces différences de montants réside dans le caractère accessible des jeux en ligne. En effet, alors que l’on considère traditionnellement les jeux d’argent du monde réel comme destinés à une certaine couche plutôt aisée de la population, le jeu, lorsqu’il est pratiqué en ligne, devient accessible à toutes les bourses.

Le joueur n’a plus nécessairement besoin d’une somme d’argent considérable pour assouvir son envie de jouer. N’importe qui peut, sur Internet, jouer en fonction de ce que ses moyens lui permettent dans des parties dont les enjeux restent limités.

3- Sociabilité

Sans entrer dans les détails d’une étude sociologique poussée, une différence fondamentale entre le jeu pratiqué sur Internet et celui pratiqué dans le monde réel tient à ce que le jeu en ligne peut très vite être une cause d’isolement pour le joueur. En effet, le joueur en ligne est seul devant son écran lorsqu’il s’adonne au jeu. Les rapports sociaux aussi limités soient-ils, se nouant dans un établissement du monde réel, se perdent totalement lorsque le jeu est pratiqué devant un écran.

Ce phénomène peut également influencer le rapport à l’argent du joueur. Il va de soi que la présence d’autres joueurs et la matérialisation de l’argent sous forme de jetons peuvent avoir pour conséquence une sorte de contrôle social sur le joueur.

Celui-ci est conscient du fait que d’autres joueurs le regardent et que les jetons qu’il a devant lui représentent de l’argent réel qu’il lui suffit d’échanger à la caisse. À l’inverse, sur Internet, le joueur est seul maître de ses propres émotions et peut plus facilement, en quelques clics, perdre toute notion raisonnable de l’argent qu’il joue.

4- Fréquence de jeu

Enfin, par nature, le jeu pratiqué sur Internet est de manière générale beaucoup plus rapide que le jeu du monde réel. Un programme informatique fait son travail bien plus rapidement qu’un croupier de casino. Pour illustrer ceci, nous nous penchons à nouveau sur l’exemple du poker. Dans le monde réel, à une table de cash game de neuf joueurs, il est distribué en moyenne 25 mains par heure.

Chaque jouer doit en effet prendre le temps de regarder ses cartes, de miser ses jetons alors que le croupier devra compter ceux-ci et mélanger les cartes entre chaque donne. Sur Internet, il est distribué environ 85 mains par heure sur une même table de cash game à neuf joueurs.

Chaque joueur a en effet ses cartes visibles immédiatement, les mises se font en un simple clic, et c’est un algorithme aléatoire qui « mélange » les cartes de façon quasi-instantanée. En outre, le poker pratiqué sur Internet donne la possibilité aux joueurs de jouer plusieurs tables en même temps.26

Certains joueurs jouent six, dix, quinze, parfois jusqu’à vingt-quatre tables simultanément. Ainsi, alors qu’un joueur en ligne peut jouer mille mains par heure, il faudra cinq jours de huit heures à un joueur live pour arriver au même nombre de mains. On comprend assez facilement que la vitesse à laquelle un joueur peut être atteint d’addiction au jeu est toute différente.

19 F. DANINOS, « Histoire du poker : le dernier avatar du rêve américain », Tallandier, Paris, 2010, pp. 213 et s. ; Concernant le poker plus précisément, le boom du poker en ligne et l’engouement qu’il connaît aujourd’hui date de 2003, année durant laquelle un joueur amateur qualifié sur Internet, Chris Moneymaker, gagne les championnats du monde.

20 À titre d’exemples parmi de nombreux autres : Blackjack, roulette, machines à sous, craps.

21 Sous réserve de la législation en vigueur dans le pays du joueur concerné. Nous y reviendrons.

22 Nous prendrons ici en considération ce qui est valable dans les casinos belges. Bien entendu, certains grands casinos, à Las Vegas ou Macau par exemple, disposent de moyens plus importants et peuvent proposer une offre plus large.

23 Partie de poker dans laquelle les participants amènent de l’argent à la table qui se manifeste sous forme de jetons. Chaque joueur joue avec son argent et peut quitter la partie quand il le désire.

24 Le tournoi de poker consiste en ce que chaque participant paye un droit d’entrée identique et reçoit un nombre de jetons identique. Les joueurs s’éliminent entre eux en cours de partie et les gagnants (un pourcentage du nombre de participants) remportent chacun un pourcentage de la cagnotte (« prize pool »).

25 Les blinds sont les mises obligatoires que doivent miser certains joueurs, à chaque tour, avant de recevoir leurs cartes. Elles ont pour objectif de donner un enjeu à chaque coup disputé.

26 Le fait de jouer plusieurs parties simultanément est appelé « multitabling » dans le jargon pokeristique.

C- Le poker, entre hasard et adresse

1- Le poker sous l’angle de la notion de hasard

Nous avons défini le jeu de hasard, au regard de la loi belge de 1999, comme un jeu d’argent dont l’issue est déterminée, même partiellement, par le hasard. Le fait que le hasard ou la notion de chance existe pour déterminer le vainqueur semble donc être l’élément clé permettant de qualifier un jeu comme étant un jeu de « hasard ». Bien entendu, tous les jeux de hasard ne laissent pas la même place à la chance. Ainsi, il nous semble cohérent de souligner le fait que parmi ces jeux, une gradation du degré hasard peut être raisonnablement effectuée.

En effet, lorsque hasard et adresse s’entremêlent, il n’est pas toujours évident de faire prédominer l’un sur l’autre.

Le poker, pratiqué sous sa forme la plus connue à l’heure actuelle qu’est le Hold’em No Limit, est un jeu dans lequel la distribution des cartes privatives et communes est due au hasard. En effet, nul ne peut savoir à l’avance quelles cartes il recevra ni quelles cartes seront abattues sur la table. En ce sens, le poker doit bel et bien être considéré comme un jeu de hasard.

Une stratégie s’est cependant développée autour de ce jeu. En effet, alors que la plupart des jeux de hasard offre au joueur la possibilité d’opérer un choix binaire (action A ou action B) ou ternaire (action A, action B ou action C), le poker présente la caractéristique de laisser au joueur un éventail beaucoup plus large de choix possibles. Sans entrer dans les détails d’une stratégie de jeu complexe, nous pouvons illustrer ce présupposé par la notion de relance utilisée dans une partie.

La relance consiste à sur-miser la mise d’un adversaire. C’est le joueur qui relance qui définit le montant de celle-ci. Ainsi, un joueur avisé pourra facilement ajuster la taille de ses relances en fonction de ses connaissances des mathématiques et des probabilités.

De cette façon, il fera payer un certain prix à son adversaire et s’assurera que le coup, joué de cette façon, s’avère être rentable sur le long terme. Il lui suffira de jouer un nombre assez important de parties pour que le hasard prenne de moins en moins de place dans ses résultats. De cette façon, le hasard perdra de son importance au fur et à mesure des parties et le joueur pourra évaluer ses gains sur base de son savoir-faire.

Nous pourrions en quelque sorte considérer le poker comme un jeu de hasard sur le court terme et comme un jeu d’adresse sur le long terme.27

2- Le joueur de poker professionnel

Un joueur professionnel de poker ne nie pas la place importante qu’occupe le hasard dans le poker. Il accepte le « facteur chance » et en connaît parfaitement les effets. Il est conscient du fait que la chance peut, à relativement court terme, influencer lourdement ses résultats. Il va cependant mettre en pratique certains principes qui lui permettront d’atténuer ce facteur chance28 sur le long terme.

A titre d’exemple, il va s’imposer une gestion rigoureuse de son capital dédié au poker. Ce principe est communément appelé, dans le milieu pokeristique, la « gestion de Bankroll ».29 En vertu de cette gestion attentive de son capital, le joueur ne misera jamais plus d’un certain pourcentage de son capital30 dans la même partie afin de se préserver des éventuels mauvais coups.

Il va également se documenter sur les stratégies gagnantes liées au jeu en question et étudier les probabilités, parfois jusqu’à un stade très poussé.

27 Voy. not. à ce sujet A. ABRAHAMS et A. MANASTERSKI, « Cour d’Appel de Versailles : Patrick Partouche relaxé ; Par contre, le poker en ligne est mis sur la touche » in http://www.droit-technologie.org/actuality-1218/cour-d-appel-de-versailles-patrick-partouche-relaxe-par-contre-le.html
28 Ce facteur chance pouvant donner lieu à des variations plus ou moins grandes dans les résultats d’un joueur professionnel est appelé « la variance ».

29 Voy. pour une étude complète à ce sujet M. BEVAND, « Poker : passer pro », Fantaisium, Condé-sur-Noireau, 2007
30 Généralement entre 1% et 5% du total de son capital.

En définitive, nous pourrions nous essayer à donner la définition du joueur de poker professionnel suivante : « Un joueur qui, grâce à ses connaissances acquises du jeu, dispose d’un avantage plus ou moins important sur ses adversaires et qui, par la gestion parcimonieuse de son capital, vise le long terme pour atténuer le facteur chance et faire en sorte que l’avantage dont il dispose se manifeste en terme de gains réguliers».

Notons qu’il existe à l’heure actuelle de nombreux joueurs de poker professionnels, tant sur Internet que dans les parties du monde réel. Aux quatre coins du monde, des joueurs passionnés ont fait du poker leur activité principale et vivent, parfois très bien, des ains procurés par le jeu.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du consommateur face aux jeux d’argent et de hasard sur Internet
Université 🏫: Université Catholique de Louvain - Deuxième année du Master en droit
Auteur·trice·s 🎓:
Grégoire Pierre

Grégoire Pierre
Année de soutenance 📅: Mémoire - Europe, concurrence et consommation - 2009-2010
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