La régulation du marché français des jeux en ligne

Les nouvelles règlementations des jeux en ligne – Chapitre 4 :
Nous nous pencherons, dans ce chapitre, sur deux mouvements législatifs récents en particulier.
Dans un premier temps, nous examinerons le processus d’ouverture du marché des jeux en ligne français. Le marché français, tel que régulé, nous intéresse non seulement parce qu’il s’agit de nos voisins territoriaux directs, mais aussi et surtout parce que le processus législatif en la matière y est arrivé à maturation. Comprenons-nous bien, loin de nous l’idée de dire que le nouveau cadre législatif français en la matière est sans faille et ne devra en aucun cas être corrigé. Du point de vue du « planning » cependant, son entrée en vigueur et sa mise en place dans les faits nous permettent d’avoir une position de recul non- négligeable.
Dans un second temps, nous traiterons de la nouvelle législation belge, initiée par le secrétaire d’Etat Carl Devlies. Malgré le fait que la nouvelle loi ne soit, à l’heure actuelle, pas entrée en vigueur, nous en examinerons les différents aspects.
Section I : La régulation et l’ouverture à la concurrence du marché français des jeux en ligne
A- Historique et objectifs
Le 5 mars 2009, Eric Woerth, ministre du budget, annonçait que « le marché des jeux et paris en ligne serait ouvert à la concurrence à partir du 1er janvier 2010 »45. Au vu de la situation des jeux en ligne sur le sol français, une mise en place rapide de la régulation du marché était grandement souhaitée. En outre, l’opportunité commandait que le cadre légal soit bel et bien d’application lors de l’ouverture de la coupe du monde de football en Afrique du Sud, et ce afin de permettre aux joueurs français de parier à cette occasion dans le cadre légal établi.
Au vu de la dynamique importante d’Internet et d’une pression certaine de la part des instances communautaires, la loi française relative à l’ouverture, à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux de hasard en ligne a finalement été adoptée le 6 avril 2010, non sans avoir fait l’objet de débats mouvementés.46
Eu égard aux nombreuses décisions issues des instances communautaires, le législateur a jugé bon d’affirmer la prévalence du droit national sur le droit communautaire en ce qui concerne les jeux de hasard.47 L’article 1er de la nouvelle loi française s’exprime en ces termes : « Les jeux d’argent et de hasard ne sont ni un commerce ordinaire, ni un service ordinaire ; dans le respect du principe de subsidiarité, ils font l’objet d’un encadrement strict au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique et de protection de la santé et des mineurs ».48 Le principe de reconnaissance mutuelle en la matière49 est mis à l’écart par le législateur français qui considère celui-ci comme incapable de répondre de manière adéquate aux objectifs poursuivis par la réglementation.
Ces objectifs justifient l’intervention de l’Etat qui consiste à encadrer l’offre des jeux et contrôler l’exploitation de ceux-ci. L’article 3 de la nouvelle loi, en son paragraphe 1er, fixe les objectifs en question. Il s’agit de :
« -prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs (l’ordre social) ;
-assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu (l’ordre éthique) ;
-prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (l’ordre public) ;
-veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeux afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées (l’ordre sportif) »50.
Notons que le texte de la loi contient une clause de révision à 18 mois, en son article 69. Le Gouvernement ainsi que le Parlement rédigeront un rapport dans ce délai avec leurs propositions d’ « adaptations nécessaires ». À moyen terme, le texte de la loi n’est donc pas destiné à rester figé.
B- Champ d’application
1- Cadre général
Dès l’abord, il incombe de souligner que l’ouverture du marché français à la concurrence ne concerne que les jeux d’argent et de hasard en ligne. La réglementation relative aux mêmes jeux dans le monde réel reste inchangée. Le « online » et le « offline » sont donc légalement scindés puisque seuls les jeux proposés via le réseau informatique Internet tombent dans le champ d’application de la nouvelle loi. Contrairement au législateur belge51, le législateur français a quant à lui « pris soin de neutraliser tout point de contact entre le jeu en dur et le jeu en ligne »52.
Seuls certains jeux et paris sont concernés par la nouvelle réglementation. Il en résulte que l’offre légale qui en découle est nettement moins diversifiée que l’offre illégale ayant cours avant régulation, cette même offre illégale à laquelle les joueurs belges ont encore accès à l’heure actuelle. L’offre légale française, telle que circonscrite par la nouvelle loi englobe les paris hippiques, les paris sportifs et le poker.53 Concernant les paris, « les paris à la côte et le live betting » sont autorisés, ainsi que les paris mutuels.54 Le seul jeu de casino donnant lieu à l’ouverture à la concurrence est le poker, les autres jeux de hasard dits « de casino » restent interdits en ligne.
Le législateur français prend soin de définir le jeu de hasard, à l’article 2 de la loi, comme étant « un jeu payant où le hasard prédomine sur l’habileté et les combinaisons de l’intelligence pour l’obtention du gain »55. Soulignons à ce propos que le législateur français a voulu ouvrir le marché des jeux et paris en ligne mais seulement dans la mesure où ceux-ci font appel à un certain savoir-faire des joueurs.56 Il s’agit là, à notre sens, d’une position innovante qui conduit à ce que « les jeux de pur hasard, reposant exclusivement sur un tirage au sort ou une opération assimilée, réputés comme étant les plus addictifs, sont pour l’instant exclus du champ de l’ouverture »57. C’est ainsi que les jeux de casinos, autres que le poker58, n’entrent pas dans le champ d’application de la nouvelle réglementation et restent donc soumis à l’interdiction, pour ce qui est de l’aspect « online ». Du reste, ces derniers restent offerts dans les casinos physiques, tout comme les loteries restent proposées exclusivement par la Française des Jeux (FDJ).
Notons que la fiscalité mise en place par la loi française conduit à une taxation, par l’Etat français, de 7,5% pour les paris sportifs et hippiques et de 2% pour le poker qui est considéré comme potentiellement moins addictif que les paris.59
2- Les paris hippiques
Concernant les paris hippiques, ils prennent exclusivement la forme de paris mutuels dans le cadre desquels, par définition, l’opérateur joue un rôle neutre. En effet, « dans un pari à forme mutuelle, l’opérateur joue un rôle d’intermédiaire qui centralise les enjeux des parieurs, réunis dans une même masse et enregistrés avant le déroulement de l’épreuve ; il procède aux répartitions parmi les gagnants au prorata de leurs mises après déduction des prélèvements légaux et de la marge qui lui revient »60. De cette façon, la cote des chevaux est déterminée, non pas par l’opérateur lui-même, mais bien par la façon dont les parieurs ont misé. L’opérateur reste par conséquent totalement désintéressé du résultat de la course puisque son profit n’en sera aucunement affecté.
3- Les paris sportifs
S’agissant des paris sportifs61, ceux-ci doivent, de façon générale, respecter l’éthique sportive. Ainsi les paris sportifs proposés en ligne doivent nécessairement porter sur une compétition qui entre dans les catégories désignées par l’ARJEL et seulement sur les types de résultats et phases de jeu autorisés par cette dernière. Les fédérations sportives concernées doivent être consultées.62 Selon la nouvelle réglementation, les paris sportifs peuvent prendre la forme soit de paris mutuels63, soit de paris à la cote. Ce dernier type de pari « oppose les parieurs à l’organisateur qui définit avant l’épreuve une cote en fonction des chances de victoire qu’il prévoit »64. Le gain ou la perte du parieur est donc quantitativement déterminé à l’avance. Contrairement aux paris mutuels, le résultat des paris à la cote importe significativement pour l’opérateur puisque chaque pari est contracté entre lui et le parieur.
4- Le poker en tant que jeu de casino
L’ouverture des jeux en ligne concerne certains jeux de casinos. Trois points doivent ici être soulevés pour circonscrire le champ d’application de la loi française. D’abord, il en va exclusivement des jeux de cercle (jeux de cartes) à l’exclusion des jeux traditionnels de casino. Ensuite, l’ouverture ne concerne que les jeux dits de « répartition » opposant des joueurs entre eux et non pas un joueur à la « banque », l’opérateur. Enfin, le jeu doit non seulement reposer sur le hasard mais également sur le savoir-faire du joueur de façon à ce que ce dernier puisse adopter une stratégie permettant de modifier son espérance de gain.65
Il découle de ces trois conditions que seul le poker, parmi les jeux de casino, sera légalement proposé en ligne en France. De façon plus précise, seules deux variantes du poker sont concernées : le Texas Hold’em ainsi que le Omaha.66
Lire le mémoire complet ==> (La protection du consommateur face aux jeux d’argent et de hasard sur Internet)
Mémoire – Europe, concurrence et consommation
Deuxième année du Master en droit – Université Catholique de Louvain
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45 M. ESCANDE, « La procédure d’ouverture du secteur des jeux et paris sur Internet a officiellement débuté », 6 mars 2009, in http://www.droit-technologie.org/actuality-1212/la-procedure-d-ouverture-du-secteur-des- jeux-et-paris-sur-internet-a-o.html.
46 E. HABER, op. cit., p. 1.
47 Ibid.
48 Il semble qu’il faille par conséquent considérer la réglementation en matière de jeux de hasard comme une mesure de police étant, par nature, de la compétence des Etats membres et non de celle du droit communautaire (Voy. E. HABER, op. cit., pp. 1-2).
49 Le principe de reconnaissance mutuelle, dans le cadre présent, consiste pour un Etat membre à tenir compte des formalités accomplies par un opérateur en terme de licence, dans un autre Etat membre.
50 Article 3, I, de la loi française du 12 mai 2010 cit. in E. HABER, op. cit., p. 1.
51 Voy. infra et plus particulièrement, en ce qui concerne la nouvelle législation belge relative aux jeux d’argent et de hasard en ligne, le Chapitre 4, Section II, point E.
52 E. HABER, op. cit., p. 2.
53 Ibid.
54 M. ESCANDE, op. cit.
55 Art. 2 de la loi du 12 mai 2010.
56 Voy. à ce propos l’article 3, II, de la loi du 12 mai 2010.
57 E. HABER, op. cit., p. 3.
58 Pour un examen plus approfondi concernant le poker mis en rapport avec les notions de hasard et d’adresse, Voy. supra. Chapitre 1er, Section III, Point C.
59 Voy. P. PELLETIER, « Jeux d’argent et de hasard en ligne : la nouvelle règlementation », Paris, 18 février 2010, www.ulys.net.
60 E. HABER, op. cit., p. 3.
61 Les paris sportifs constituent une branche importante du domaine des jeux d’argent et de hasard en ligne. Ceux-ci étant cependant exclus de la définition belge actuelle des jeux de hasard donnée par la loi de 1999, nous ne nous livrerons ici qu’à un examen sommaire les concernant.
62 E. HABER, op. cit., p. 3.
63 Voy. supra.
66 E. HABER, op. cit., p. 4.
 

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du consommateur face aux jeux d’argent et de hasard sur Internet
Université 🏫: Université Catholique de Louvain - Deuxième année du Master en droit
Auteur·trice·s 🎓:
Grégoire Pierre

Grégoire Pierre
Année de soutenance 📅: Mémoire - Europe, concurrence et consommation - 2009-2010
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