Critiques sur réglementations de la protection du consommateur-joueur

Chapitre 5 :

Un regard critique sur les nouvelles réglementations sous l’angle de la protection du consommateur

Les nouvelles réglementations en matière de jeux en ligne viennent, en Belgique et en France, combler un vide juridique et ainsi donner un cadre légal à un domaine qui ne cesse de croître. Une intervention législative en la matière était, par conséquent, indispensable. Nous apportons ici, un regard critique sur certains éléments déterminés des nouvelles législations belges et françaises, particulièrement sous l’angle de la protection du consommateur.

Tout d’abord, nous pouvons sans doute regretter qu’à l’ère d’Internet, synonyme d’ouverture sur le monde, les nouvelles législations ont pour résultat de cloisonner les joueurs d’un territoire national entre eux. En effet, les jeux en ligne, du moins ceux qui opposent les joueurs entre eux, trouvaient une grande partie de leur intérêt dans le fait de pouvoir jouer contre des adversaires du monde entier et ainsi de pouvoir réunir un nombre conséquent de joueurs pour l’organisation d’événements de grande envergure. On regrette ainsi l’absence d’harmonisation, au moins européenne, en la matière même si nous sommes conscients de la difficulté qu’une telle solution entrainerait d’un point de vue fiscal.

L’instrument de ce cloisonnement réside, en France, dans la mise en place des sites en « .fr ». Le législateur justifie cette mesure par trois arguments.160 Tout d’abord, les sites agréés permettent d’identifier les joueurs et ainsi de garantir à ceux-ci qu’ils ne jouent pas contre un « robot » qui prendrait ses décisions uniquement sur base des probabilités mathématiques. En outre, le contrôle des sites agréés permettrait d’empêcher la collusion entre joueurs et ainsi de pouvoir garantir un jeu équitable et sûr. Enfin, le cloisonnement des joueurs français entre eux mettrait un frein aux opérations de blanchiment d’argent. Aucun de ces arguments ne nous semble pleinement satisfaisant.

L’identification du joueur sur le site de jeux en ligne se fait lors de l’inscription à celui- ci. Cette procédure d’identification existe sur la quasi-totalité de jeux en ligne, que ceux-ci soient agréés ou non. Une fois l’identification terminée, le risque de voir le joueur faire jouer un robot à sa place existe, peu importe la nationalité du joueur. Le fait que le site soit en « .fr » ou en « .com » n’a, à notre sens, aucune incidence sur la possibilité de faire jouer un robot à la place du joueur.

La collusion entre joueurs est en effet un phénomène non-négligeable. Le fait de cloisonner des joueurs d’une même nationalité entre eux n’en atténue certainement pas le risque. L’effet inverse est néanmoins possible puisque d’une part, tous les joueurs parleront la même langue et, d’autre part, la possibilité de croiser un adversaire que le joueur connait ne peut être qu’accrue par le rétrécissement du nombre de joueurs. En outre, notons que les sites de jeux en ligne, agréés ou non, se dotent la plupart du temps d’un service de sécurité chargé d’investiguer sur ce type de collusions. Ainsi, sur la plupart des sites en « .com », il est interdit depuis longtemps pour des joueurs connectés sous la même adresse IP, de jouer à la même table.

En ce qui concerne le blanchiment d’argent, cet argument nous semble, encore une fois, non-fondé. Il nous semble difficilement admissible que le fait de blanchir de l’argent via des jeux qui sont, par définition, à espérance de gain négative soit une voie de prédilection pour les criminels. En outre, en ce qui concerne le poker organisé sous la forme de tournois, le risque de blanchiment d’argent nous paraît inexistant. Eric Haber, dans son étude approfondie sur la nouvelle loi française, soutient que ce risque « n’est pas même théorique »161. S’agissant des parties de « cash game », le risque, bien qu’existant, est faible vu la détermination des principaux sites de jeux en ligne de mettre en place des contrôles adéquats visant à détecter de telles pratiques. Quoiqu’il en soit, « un tel risque de transfert de fonds entre joueurs existe, quelle que soit la nationalité ou la provenance des joueurs, sur tout site, titulaire ou non de l’agrément »162.

Concernant le champ d’application des nouvelles lois belges et françaises, une différence de taille doit être soulignée. Le législateur français a jugé préférable d’interdire la pratique des jeux de casino en ligne, autres que le poker. Il considère en effet les jeux de pur hasard comme potentiellement plus addictifs et veut donc, par cette interdiction, protéger le joueur de ses propres démons. Le législateur belge n’a quant à lui fait aucune distinction de la sorte. Tous les jeux de hasard pourront être exploités sur Internet dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi belge. Il sera ainsi possible pour un joueur belge de jouer légalement à la roulette ou aux machines à sous en ligne. Seul l’avenir nous dira quelles seront les conséquences de cette pratique pour un joueur. À ce sujet, nous sommes cependant empreints de scepticisme.

La publicité pour les jeux d’argent et de hasard en ligne est un autre élément qu’il nous semble opportun de souligner. Le fait pour le législateur français d’autoriser celle-ci, tout en l’encadrant, nous semble aller à l’encontre de l’objectif de protection du joueur. Bien qu’il s’agisse d’un choix politique raisonné, il est indéniable que la publicité pour les jeux en ligne a un impact important sur l’addiction de certains joueurs fragiles.163 En outre, quant à l’encadrement de la publicité en question, on ne peut que regretter qu’aucune restriction en termes de volume publicitaire ou de plages horaire de diffusion n’ait été fixée.164 Notons également que l’éradication de la publicité des sites de jeux en ligne illégaux est vraisemblablement une utopie. En effet, cette publicité existe depuis longtemps et trouve à s’exprimer via des sites Internet basés à l’étranger, par exemple. L’Internet restant un outil qui, par définition, dépasse les frontières, il semble très difficile, voire impossible de lutter efficacement contre cette forme de publicité illégale.

Tant en France qu’en Belgique, les limites d’âge à la pratique des jeux en ligne ne font que confirmer les règles en vigueur pour les jeux de hasard pratiqués dans le monde réel. En ce qui concerne l’interdiction du paiement par carte de crédit ailleurs que dans les casinos, mesure prise par le législateur belge, il est vrai qu’elle permet d’empêcher un mineur d’âge d’utiliser la carte de crédit d’un majeur pour contourner les règles, par exemple. En outre, cette mesure peut être appréciée comme un moyen de lutter contre le surendettement du joueur accro.

La mesure prise par le législateur belge consistant à rendre possible l’exclusion d’un joueur par les membres de sa famille nous semble constituer une avancée significative.165
En effet, la famille d’un joueur peut parfois subir de plein fouet les conséquences de l’addiction de celui-ci. Le législateur, par cette mesure, tient compte de cette réalité et y apporte une réponse adéquate.

Quoiqu’il en soit, il nous semble que cette nouvelle vague de législation en matière de jeux en ligne répond de manière peu efficace aux problèmes de jeux excessifs et d’addiction pourtant fortement mis en avant. Nous sommes à ce propos en accord avec Eric Haber et considérons que, tant en Belgique qu’en France, « en matière de lutte contre l’addiction, la montagne de colloques, débats, rapports (qui tous faisaient une large place au phénomène addictif) a accouché d’une souris »166.

Conclusion

Légiférer sur les jeux d’argent et de hasard en ligne était une nécessité. En effet, un tel marché en pleine expansion ne pouvait être passé sous silence par le législateur. En Belgique comme en France, c’est aujourd’hui chose faite, puisqu’une loi vient finalement encadrer le phénomène des jeux en ligne. En Belgique plus qu’en France cependant, nous sommes à un stade précaire de l’avancement du système. En effet, la loi belge n’entrera en vigueur que le 1er janvier 2011 et des arrêtés royaux réglant certains points clés doivent encore être pris dans les mois à venir.

Il nous apparaît primordial que le système belge qui sera mis en place reste cohérent face à la spécificité de l’Internet-même. En effet, la territorialité de la loi, les différentes techniques informatiques permettant de contourner le système et les difficultés pratiques propres à la mise en œuvre du processus administratif et judiciaire de répression, sont tant d’éléments qui peuvent, dans les faits, affaiblir l’efficacité du système légal. Si ce dernier va directement à l’encontre des spécificités-mêmes du jeu, tel que pratiqué sur Internet, le risque est de voir le joueur déserter son écran.

160 Voy. E. HABER, op. cit., p. 7.
161 E. HABER, op. cit., p. 7.
162 Ibid.
163 Voy. « C dans l’air (émission télévisée) : du pain et des jeux », http://www.france5.fr/c-dans-l-air/index-fr.php?page=resume&id_rubrique=1485, 15 juillet 2010 not. L’intervention d’un psychologue spécialiste des comportements addictifs.
165 Art. 54, tel que modifié par la loi belge du 10 janvier 2010.

Il convient dès lors de s’interroger sur le fait de savoir si un joueur qui payait des commissions très faibles et fréquentait des sites de jeux dont l’affluence pouvait atteindre des sommets sera toujours disposé à jouer alors même que l’offre légale est beaucoup moins attractive. En d’autres termes, partir du principe que le joueur est prêt à jouer à tout prix, constitue selon nous un postulat erroné. Le risque est non seulement de voir ses joueurs abandonner les salles de jeux virtuelles mais également de voir se développer un important marché illégal de jeux en ligne parallèle. Seul l’avenir nous dira si nos craintes à ce sujet étaient fondées.

Enfin, il nous semble que les avancements des nouvelles législations, tant belges que françaises, en termes de protection du consommateur en tant que joueur, sont un échec.

De ce point de vue, les avancées sont rares et semblent insuffisantes à justifier l’intervention législative en la matière. Les préoccupations fiscales et les enjeux financiers que représente le marché des jeux en ligne ont vraisemblablement un poids beaucoup plus important dans la balance.

Le joueur en paiera-t-il le prix fort ? La question reste ouverte.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La protection du consommateur face aux jeux d’argent et de hasard sur Internet
Université 🏫: Université Catholique de Louvain - Deuxième année du Master en droit
Auteur·trice·s 🎓:
Grégoire Pierre

Grégoire Pierre
Année de soutenance 📅: Mémoire - Europe, concurrence et consommation - 2009-2010
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