Les tendances institutionnelles de la mutualité

§2- Les tendances institutionnelles de la mutualité
Lorsque l’on étudie le mutualisme plus attentivement, se révèlent diverses tendances en contradiction avec une nature que nous avons précédemment qualifiée de contractuelle. En effet, il apparaît que le mutualisme présente certaines des caractéristiques de l’institution telle que définie par le Doyen HAURIOU. Pour ce qui est de la nature même de la mutualité, il convient donc de se poser la question de l’éventualité d’un caractère institutionnel. De plus, dans les relations que la mutualité noue avec d’autres acteurs et en particulier l’Etat, la certitude d’un processus d’institutionnalisation se dégage. Il semblerait donc, au vu de ces divers éléments, que la nature du mutualisme ne soit pas purement contractuelle mais également institutionnelle.
A- L’éventualité d’une nature institutionnelle
Rappelons le, selon Maurice HAURIOU, une institution peut être définie de la manière suivante : « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de cette idée, un pouvoir s’organise qui lui procure des organes ; d’autre part, entre les membres du groupe social intéressé à la réalisation de cette idée, il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures ». Afin de déterminer l’éventualité de tendances institutionnelles dans la nature même de la mutualité, il convient de rechercher au sein de celle-ci la présence des trois éléments essentiels à la nature institutionnelle : une idée directrice, un pouvoir organisé et des manifestations de communion.
Nous l’avons dit à propos du syndicalisme, l’idée directrice renvoie à l’objet du groupement en question. Il convient donc de rechercher l’objet de la mutualité. Celui-ci s’exprime au travers de l’article L111-1 du Code de la mutualité. Au terme de ce texte, l’objet des groupements mutualistes apparaît comme étant une « action de prévoyance, de solidarité et d’entraide […] afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie ». Ici réside l’idée directrice de la mutualité : elle cherche à réaliser le bien-être de ses membres.
Le second élément caractéristique de l’institution est un pouvoir organisé. Cette condition semble être remplie dans les instances mutualistes. En effet, au sein des mutuelles, deux organes organisent, chacun à son niveau, la vie du groupement en vue de la réalisation de l’idée directrice.
Le premier de ces organes est l’Assemblée générale116. Composée par l’ensemble des membres de la structure mutualiste, elle vote les statuts, la loi fondamentale du groupement. Elle est l’organe suprême du groupement mutualiste. Fonctionnant suivant le principe « un homme, une voix », elle est le lieu privilégié de l’expression de l’impératif de démocratie présidant au fonctionnement du mutualisme.
Le second organe est le Conseil d’administration117. Ses membres sont élus au sein de l’Assemblée générale et par celle-ci. Toutes les modalités les concernant (nombre, indemnité éventuelle, durée du mandat…) sont fixées par les statuts. Le Conseil d’administration détermine les orientations de l’organisme et veille à leur application. Il respecte lui-même l’exigence d’organisation puisqu’il a à sa tête un président et peut être divisé en différentes composantes. A titre d’illustration, le Conseil d’administration de la FNMF est divisé en deux organes : d’un coté, le bureau et de l’autre, le comité exécutif.
Il apparaît donc que le mutualisme comporte bel et bien « un pouvoir » organisé « qui lui procure des organes », second élément nécessaire à toute institution.
Le dernier élément caractéristique de la nature institutionnelle sont les manifestations de communion. Au sein de la mutualité, cet élément est difficilement identifiable. Au contraire du syndicalisme, il n’y a pas nécessairement de lien professionnel favorisant une cohésion naturelle entre les membres. Si manifestations de communion il doit y avoir, celles-ci ne seront pas spontanées mais interviendront postérieurement à la rédaction des statuts. En cela, nous rejoignons la conception contractuelle. Il semblerait donc que le dernier élément nécessaire à la reconnaissance de la nature institutionnelle du mutualisme fasse défaut.
La mutualité ne présente que deux des trois éléments essentiels à toute institution : une idée directrice et un pouvoir organisé. Au vu de ces constatations, il apparaît impossible d’affirmer que la mutualité présente une nature institutionnelle. Toutefois, force est de constater qu’elle en est très proche. Il y a donc dans la nature même du mutualisme de réelles tendances institutionnelles. Mais il ne s’agit que de tendances. Le doute n’est plus possible lorsque l’on s’intéresse aux relations que la mutualité entretient avec les autres acteurs et plus particulièrement l’Etat. A ce niveau, un processus d’institutionnalisation peut être identifié avec certitude.
B- La certitude d’un processus d’institutionnalisation
Rappelons, à titre liminaire, que le processus d’institutionnalisation renvoie à l’incorporation d’une entité dans une institution. Un tel processus peut être identifié dans les relations que noue la mutualité et l’Etat.
Les relations entre la mutualité et le pouvoir politique ont pendant longtemps été ambiguës. Le XIXe siècle a montré la volonté de l’Etat de garder l’entraide propre aux mutualistes en rejetant l’idée d’un contre-pouvoir118. L’avènement de la Sécurité sociale balaie cette conception et semble écarter la mutualité. « Après avoir été quasiment « tétanisée » par l’existence de la Sécurité sociale, la répartition des rôles s’est éclaircie »119. La mutualité est entrée dans un véritable processus d’institutionnalisation par incorporation à l’appareil étatique.
Ce processus d’incorporation est en premier lieu identifiable dans le fait que la mutualité participe au service public de la Sécurité sociale. La Sécurité sociale présente des origines mutualistes. En raison de son caractère obligatoire, elle s’est progressivement détachée de cette histoire mutualiste. Pour autant, elle n’en continue pas moins à associer le mutualisme au service public qu’elle gère120. La mutualité participe de façon, directe à la gestion des structures administratives de l’assurance maladie. Cette participation renvoie à différents aspects. On peut tout d’abord citer la représentation au sein des diverses caisses du régime général. A ce titre, la mutualité bénéficie d’un droit de présenter des candidats aux élections des conseils d’administrations de ces caisses et ce, au même titre que les organisations syndicales. La loi du 17 décembre 1982121 a attribué d’office deux sièges d’administrateurs à la mutualité au sein de la caisse nationale d’assurance maladie et au sein des caisses primaires. Au niveau régional, un siège leur est également accordé d’office. Ainsi, la mutualité se trouve réellement impliquée dans la gestion des caisses du régime général. La participation de la mutualité au service public de la Sécurité sociale prend aussi le visage d’une intégration dans les structures des caisses primaires ainsi que celui d’une intervention dans la gestion des régimes d’assurance maladie des travailleurs non salariés.
Le processus d’institutionnalisation a été poursuivi par le Code de la mutualité. En effet, celui-ci met en place un Conseil supérieur de la mutualité, présidé par le ministre chargé de la mutualité122. Il s’agit d’une instance consultative auprès du gouvernement. Il est saisi par ce d
ernier pour avis sur tout projet de texte relatif au fonctionnement des organismes mutualistes. Il peut également faire des suggestions et proposer des modifications dans tous les domaines concernant la mutualité. De plus, ce conseil gère pour le compte de l’Etat le fonds national de solidarité et d’actions mutualistes. Les membres de ce conseil sont élus par les comités régionaux de coordination de la mutualité, eux aussi incorporés à l’appareil étatique puisque placés auprès du préfet de région123.
La mutualité présente véritablement un caractère hybride. Le contrat mutualiste étant légalement reconnu, il est impossible de nier un aspect contractuel dans la nature de la mutualité. Cependant, dans cette nature même, des tendances institutionnelles viennent semer le doute quant à un caractère purement contractuel. Ce doute devient certitude à l’examen des rapports existant entre le mutualisme et l’Etat. Engagée dans un processus d’institutionnalisation, la mutualité ne peut être exclusive de tout aspect institutionnel. Cependant, est-ce véritablement étonnant ? Selon Georges RENARD, le contractuel tend inexorablement vers l’institutionnel124. Ce glissement est dans l’ordre des choses. Ainsi, le caractère hybride peut être analysé en une période transitoire entre son état contractuel, dont le contrat mutualiste serait l’un des derniers vestiges, et son état institutionnel, dont son rôle dans l’appareil étatique serait le premier indice. En tout état de cause, il est à l’heure actuelle impossible d’affirmer que la mutualité est de nature contractuelle ou, à l’inverse, de nature institutionnelle. Cette situation n’est pas sans ambiguïté, tout comme les relations existant entre syndicalisme et mutualité, celles-ci révélant une réelle complexité.
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Syndicalisme et Mutualité
Mémoire de DEA de Droit Social – Université Lille 2-Droit et santé
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales
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115 SAINT-JOURS (Y.), op.cit., p.176.
116 Art L114-6 à L 114-15 C.mut.
117 Art L114-16 à L114-20 C.mut.
119Id., p.62.
120 SAINT-JOURS (Y.), op.cit., p.252.
121 Loi du 17 décembre 1982 relative à la composition des conseils d’administration des organismes du régime général de Sécurité sociale, JO n°294 du 18 décembre 1982, p.3779.
122 Art L 411-1 à L 411-3 C.mut.
123 Art L 412-1 C.mut.
124 RENARD (G.), op.cit., p.365.

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