Les tribus, une juxtaposition de styles hétéroclites

Les tribus, une juxtaposition de styles hétéroclites

3. Les tribus, une juxtaposition de styles hétéroclites, source d’affirmation

Aujourd’hui, il n’est plus question d’une mode, mais d’une pluralité de modes qui obéissent à un ensemble de processus compliqués : la sensibilité propre des créateurs, assurément, mais aussi les aspirations diverses venant de la rue et finissant par se constituer en autant de modes qui marquent l’appartenance à tel groupe ou à telle tribu. Le résultat en est celui de la « multiplication et la fragmentation des canons du paraître, de la juxtaposition des styles les plus hétéroclites » .

S’il y a tant de modes ou de styles différents, c’est qu’il y a beaucoup de groupes d’appartenance ou de tribus. La théorie de Maffesoli repose sur « un paradoxe essentiel : le va et vient constant qui s’établit entre la massification croissante et le développement de micro-groupes » qu’il appelle tribus.

Animés par un fort désir de lien social et la volonté d’affirmer leur moi, les adolescents montrent leur appartenance à leur groupe de pairs, en se démarquant pour mieux s’intégrer au groupe. C’est la différence des choix d’une tribu à l’autre et leur ressemblance à l’intérieur d’une même tribu qui nous incite à considérer le comportement de l’adolescent consommateur comme un phénomène tribal.

Les tribus sont des instruments de l’affirmation individuelle : ce n’est plus les normes collectives qui s’imposent à l’adolescent, c’est l’adolescent qui y adhère délibérément par volonté privée de s’assimiler à telle ou telle tribu, par goût individualiste d’afficher une différence, par désir de communication privilégiée avec un groupe social restreint. Ces tribus se constituent autour d’affinités culturelles, notamment musicales (rap, teckno, métal, Tokio Hotel…) ou sportives (skate, sport de glisse), ou encore autour d’une communauté d’intérêt (icônes réelles ou virtuelles).

Ces tribus constituent une autre forme de lien social, qui transcende l’individu et l’intègrent dans un ensemble. La consommation des produits de glisse (skate, roller, snowboard, tous revendiqués par David), par exemple, répond souvent à la logique de la stratégie d’assimilation qui tend à renforcer le sentiment d’appartenance de l’adolescent à un groupe, celui des skaters, sensé contribuer fortement à définir la façon dont il se perçoit et dont il est perçu. Le skater jouit d’une image d’anti-conventionnel et d’un sens naturel du défi.

Le skate n’est pas seulement un sport, c’est aussi un style de vie. Les jeunes skaters arpentent les rues à la recherche de figures. Leur univers fascine les cinéastes réalisateurs comme Gus Van Sant dont le film Panaroid Park est sorti l’an dernier et a été primé au Festival de Cannes. Au sein de chaque tribu, fonctionnent certains codes, certaines règles, des symboles, des représentations, plus généralement un système d’inter-reconnaissance.

Les membres de ces tribus ne se connaissent pas nécessairement, mais en revanche, ils se reconnaissent au travers de leur parure vestimentaire, de leur façade et ils peuvent s’appuyer sur une solidarité. Distinction ou conformité ? La conformité n’est pas l’égalisation des statuts, mais le fait d’avoir en commun le même code, de partager les mêmes signes, style vestimentaire, langage, expressions, qui les font différent tous ensemble, de tel autre tribu ou groupe.

« Il n’y a pas d’autres rappeurs au collège. Il y en a plus au lycée, 4-5, je les connais tous. La plupart, ils sont en terminale, je les connais par mon frère, ils sont venus à la maison. Nous avons en commun avec le rap, le même style vestimentaire. Parfois, il y a les mêmes expressions, mais ça dépend après. En dehors du lycée, je ne les vois pas. Au lycée, ceux qui sont amis se regroupent ». (Vincent, 3ème, 15 ans, Neuilly)

Jean-Pierre Loisel, directeur du département consommation au CREDOC l’explique: «l’adolescence est une période troublée, où l’on se détache de la famille sans vraiment la quitter, on a besoin de se retrouver en tribus. Celles-ci se fédèrent autour de gestes, de langages et de marques».

La marque pour mieux se démarquer des autres , mais surtout un style: le style Rasta, le style Glisse, le style Lolita, le style Gothique… il existe pas moins de 18 tribus répertoriées par le CREDOC. Certaines tribus font montre d’une grande théâtralité vestimentaire et leurs membres affichent de façon ostentatoire leur appartenance. La théâtralité instaure et conforte la communauté.

« Plus tellement de chals (de toute façon, le vêtement de Marque, on le reconnaît) ;

Y a pas de gothique, mais certains ont un look trash, cela passe plus inaperçu au lycée qu ‘au collège où on s’observait à la loupe et où le comportement correspondait aussi au groupe d’amis. « (Mathilde,1ère, 16 ans, Asnières)

Pour Michel Fize, dans un monde dominé par l’argent, on est d’abord ce que l’on a. C’est bien l’argent qui permet d’être, qui fournit une identité. « J’assure » où comment faire montre de son capital économique.

L’appartenance à certaines tribus nécessite d’avoir des ressources élevées ou de se servir de moyens détournés (le « bizness »). Ainsi, le témoignage de l’adolescent rappeur a souligné le prix des marques fétiches des rappeurs et la déception du recours aux contrefaçons qui est facilement repérable par les initiés. La tribu la plus fondée sur l’argent est celle des chals ou des freshers qui sévit dans les milieux favorisés. Maffesoli a montré combien chaque tribu crée ses propres signes (vêtements, accessoires), ses rituels réservés aux initiés pour ancrer le groupe.

Ainsi, les lieux de la parlerie et plus généralement de la convivialité comme les bars, cafés et boites font « sortir de soi », et par là créent cette aura spécifique qui sert de ciment au tribalisme . Chaque tribu dicte ses codes : musiques à écouter, jeux et sports à pratiquer, émissions de télévision à regarder.

« C’est l’argent qui façonne les groupes. Les Freshers sont blindés (riches), ils ont toutes les Marques, les trucs derniers cris. Sinon, c’est une question d’éducation. Les vêtements reflètent l’éducation.

Les Freshers vont en boîte, aux Planches, ils sont orange avec leur fond de teint ou des UV, ils mettent du crayon, ils veulent être parfaits. Ils vont dans les cafés les plus chers : le café de l’homme et la Rotonde ou la Gare, ce sont des chals, ils portent des doudounes avec fourrure, et ils sont en Vespa, ils sont équipés des derniers téléphones : Iphone ou Motorola. Ils ne sont pas tellement évolués. Les vrais mecs, c’est rock, ils sont dans des groupes ». (Laetitia, 2nde, 16 ans, Paris 16)

Dernière tribu en date, celle des tecktoniks, créée autour d’une musique et d’une pratique de démonstration de danse, a souvent été citée, autant au collège qu’au lycée.

« Il n’y a pas de gothiques, pas de fashion victimes. Y a de la tecktonik. La tecktonik, c’est devenu un phénomène depuis un an. Maintenant, ça fait stylé. Dans ma classe, y a une accro, elle s’habille en truc rose fluo et noir, un pantalon slim, des Converse. On l’appelle le Stabylo. » (Dan, 2nde, 15 ans, 93 Gagny)

François Dubet montre au travers des discussions entreprises dans les lycées qu’il n’y a pas de corrélation forte et visible entre les styles et looks choisis et les études menées. Les styles sont sociaux, ils relèvent de la fortune des familles et plus encore d’une myriade de choix extérieurs à la scène scolaire : les babas, les minettes, l’uniforme du jean, celui du survêtement.

Le style adopté par chacun sera un élément déterminant de son cercle d’amis au collège. Le propre de la tribu, c’est qu’en accentuant ce qui est proche (personnes et lieux), elle a tendance à se refermer sur soi. M.Maffesoli fait le lien avec la métaphore de la porte de G.Simmel. Ainsi à l’intérieur même du collège, on trouve une série de clans, les regroupements amicaux se font dans un périmètre bien précis.

Le groupe pour sa sécurité, façonne son environnement naturel et social, et dans le même temps force, de facto, d’autres groupes à se constituer en tant que tels. Ces groupes se forment très vite après la rentrée par affinité et mimétisme, ils bougent assez peu au collège d’après les entretiens réalisés.

Lipovetski G., L’empire de l’éphémère, Gallimard, 1987, p146.

Maffesoli M., Le temps des tribus, Meridiens Klinsieck, 1988, p 41

Dubet F., Les lycéens, François Dubet. Points, 1991, p 248

Pour Maffesoli, le coefficient d’appartenance n’est pas absolu, et chacun peut participer à une multiplicité de groupes, tout en investissant dans chacun une part non négligeable de soi.

Participant à une multiplicité de tribus, qui elles-même se situent les unes par rapport aux autres, chaque personne pourra vivre sa pluralité intrinsèque. Ceci peut être rapproché de l’approche multi-dimensionnelle de l’individu développée par F. de Singly. Ses différents masques s’ordonnent d’une manière plus ou moins conflictuelle et s’ajustent avec les autres masques qui l’environnent.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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