Négociation avec les parents, une liberté sous condition

Négociation avec les parents, une liberté sous condition

B. La négociation avec les parents, une liberté sous condition

Si le modèle éducatif a fortement évolué de la transmission au contrat et à la négociation, ceci est d’autant plus vrai à l’adolescence où l’enfant prend une taille plus grande en participant davantage aux décisions familiales. L’adolescent a désormais le droit d’apprendre à être lui-même par l’expression de ses souhaits et de ses goûts.

« A l’adolescence, on devient plus indépendant, on sent qu’on peut faire plus de choses, on peut prendre plus de décisions. Par exemple, mes parents me sollicitent sur les vacances, sur le lieu ». (Axelle, 3ème, 14 ans, Paris)

C’est par les négociations entre parents et enfant que l’adolescent pourra s’autonomiser tout en laissant la possibilité aux parents de le surveiller un peu, de loin, à « bonne distance ».

Les négociations sont généralement menées dans un cadre informel, en « douceur », par essai et erreur ; il s’agit là d’une politique expérimentale. Elles permettent de repérer la juste distance qui ne met pas en péril ni le développement de l’adolescent, ni la relation.

Elles peuvent engendrer des tensions lorsque les deux parties ne parviennent pas à un accord. Les négociations participent au processus d’individualisation des adolescents en les poussant à se définir d’abord en référence à eux-mêmes. Cette forme pédagogique crée les conditions pour que l’intérêt de l’adolescent ne soit pas exclusivement défini par les parents, pour que l’adolescent participe à la formation de sa propre identité. Pour F. De Singly, cela signifie que la 1ère dimension identitaire de l’adolescent ne réside pas dans son origine familiale ou sociale, mais qu’il a droit à la reconnaissance d’identité strictement personnelle.

Le modèle éducatif dans les familles de cadres propose une autorité capable de négocier (de Singly, 2006). La négociation dans la famille requiert la reconnaissance par la partie « supérieure » d’une certaine compétence de l’autre partie, « inférieure », à pouvoir partiellement dire son mot sur les affaires qui la concernent. La zone considérée par les parents où leur légitimité est la plus forte est celle des études.

Les parents imposent ce qui n’est pas négociable, notamment l’investissement scolaire, et négocient ce qui est négociable, le monde personnel du jeune. Pour les adolescents, le fait même de négocier, et parfois même de gagner est un élément qui contribue à souligner leur pouvoir.

C’est au collège que se forge vraiment l’apprentissage à la négociation. Au lycée, le pouvoir prescripteur de l’adolescent explose. Face à des demandes perçues comme outrancières, comment les parents réagissent-ils ? Comment se joue la négociation ?

1. Les arguments et menaces

Nous retrouvons dans les arguments, menaces et stratégies utilisés par ces adolescents nombre de stratégies décrites par D. Desjeux. En effet, il a identifié cinq stratégies qui peuvent être utilisées par l’enfant pour transformer en quelque sorte son pouvoir idéologique en pouvoir économique :

– l’appel à l’expertise et à la rationalité : l’enfant apporte des informations sur le produit, il montre qu’il en connaît les caractéristiques, compare la qualité et le prix de divers produits, ce qui permet notamment de légitimer une demande. En utilisant des arguments pseudo-objectifs, l’enfant plaide mieux sa cause et augmente ses chances de succès. Dans ce cas, les parents acheteurs n’ont pas le sentiment d’avoir cédé mais plutôt d’avoir satisfait une demande presque légitime ;

– le contrat : en échange de l’achat d’un produit, l’enfant accepte le choix de la mère pour d’autres produits, ou il promet qu’il sera sage, qu’il travaillera en classe. Il s’agit d’une négociation constructive où chacun des partenaires fait un geste envers l’autre ;

– le chantage affectif : l’enfant pleure, refuse de communiquer ; il cherche une réaction émotionnelle soit en boudant, soit en menaçant ;

– le stratagème : l’enfant manipule les parents en se comportant par exemple comme un enfant modèle pour les impressionner et influencer leur comportement ;

– la formation d’une coalition : une tierce personne va influencer les parents, soit de façon réelle, soit sous la forme d’une évocation.

De quels arguments usent les adolescents ? Pour faire adopter leurs choix par leurs parents, les jeunes savent utiliser l’argument efficace : « l’importance de ne pas être dépassé ». Ils se disent même prêts à participer aux frais.

Selon l’enquête de l’Union des familles, les parents, à 62%, révèlent les préférences de leur jeune pour telle ou telle marque : «j’accepte de temps en temps pour qu’il soit dans le coup» expliqueraient 59% des mères interrogées. Les adolescents peuvent donc, en usant d’habiles arguments liés à leur bonne intégration au groupe, inciter leurs parents à acheter des vêtements et des chaussures de marque.

D’autres arguments plus rationnels comme le manque (toutes les chaussures sont usées), le fort usage envisagé.

« Je disais que je vais le porter souvent, ne t’inquiète pas. Mais je n’ai pas toujours gain de cause. »  (Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

Jouant sur l’émotionnel, d’autres adolescents pratiquent l’usure ou le chantage affectif avec des pleurs ou avec la comparaison avec la fratrie en réclamant l’égalité de traitement.

« Je sais déjà ce qu’elle aime. Si elle déteste et que j’adore, il faut que je sorte toute l’artillerie, je vais même jusqu’à pleurer, faut que j’insiste. Sinon, j’en parle tout le temps, à la fin, elle cède, ça marche. Les arguments que j’utilise aussi : la comparaison avec Audrey et Mathilde. » (Laetitia, 2nde, 16 ans, Paris 16)

De leur côté, les parents usent souvent de l’argument coût qui est souvent accepté parce que intériorisé par les adolescents ou le nombre d’achats déjà effectués, soit le budget global.

« J’ai eu ne forte résistance de la part de tes parents pour un blouson de cuir, je n’ai pas réussi à l’avoir. La négociation a duré 2mn, sur place, dans la boutique. Que t’ont-ils dit ? Tu en as déjà. Je n’ai pas eu de revenir à la charge, c’était cher. On est passé à autre chose. » (Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

L’autre argument utilisé par les parents est que le vêtement ne convient pas au physique de l’adolescent. Ils peuvent ainsi aller jusqu’à le convaincre de rapporter le vêtement en boutique.

« Quelquefois, ils me disent quand ça ne me va pas. Soit je garde quand même, soit … Une fois, j’avais acheté un jean slim, je n’étais pas très sûre de moi, c’était le début des slims. « Bof, bof ». Ils étaient réticents pour le slim au début, celui que j’avais acheté et qui ne m’allait pas super bien. Je suis allée le rendre. » (Axelle, 3ème, 14 ans, Paris)

Les interviews illustrent souvent la recherche de la modération pour éviter le conflit. En réalité, la culture de la négociation consiste à éviter le conflit ouvert ou la rupture au maximum en allant le plus loin possible sans provoquer de clash.

de Singly F., La cause de l’enfant, p7-10

Desjeux D., « la Place de la prescription de l’enfant dans le comportement d’achat alimentaire des parents», in Economie et gestion agro-alimentaire, n°19 avril 1991

Source Enquête Union des Familles, 2004, auprès de 539 collégiens et 472 parents

« Maman intervient, elle peut dire que c’est moche, que ça me rend grosse, elle valide. J’insiste pas souvent. On achète pas systématiquement, on va dans une autre boutique.» (Salomé,3ème, 15 ans, Neuilly)

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
Modes vestimentaires chez les adolescents
Université 🏫: Université Paris-Descartes – Paris V - Faculté des sciences humaines et sociales
Auteur·trice·s 🎓:

Année de soutenance 📅: Mémoire de recherche Master 2 - JUIN 2008
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