La structuration des produits bancaires islamiques – France

La structuration des produits bancaires islamiques – France

Section 2 – Des ajustements fiscaux en partie effectués

Lorsque Madame le Ministre Christine Lagarde parle de « frottements fiscaux », elle met en avant le fait que les financements islamiques sont plus coûteux d’un point de vue fiscal que ne le sont les financements conventionnels. Si la finance islamique doit connaître un véritable essor en France, il est évident que des aménagements fiscaux sont nécessaires, à l’instar de ce que la place financière de Londres a déjà effectué.

Il a été constaté par un certain nombre d’observateurs que les difficultés tiennent aux surcoûts engendrés par la structuration des produits islamiques face au contexte fiscal français (§ 1). Après avoir relevé les constats et les propositions émises pour résoudre ces frottements, l’administration fiscale en a tiré les conséquences et dégagée un certain nombre de solutions (§ 2).

Une Instruction fiscale de février 2009 a permis des avancées non négligeables concernant la murabaha et les soukouk. Très récemment, fin août 2010, d’autres Instructions sont venues compléter l’harmonisation si attendue sur le plan fiscal. On peut affirmer aujourd’hui que la fiscalité française est prête à accueillir les banques islamiques et leurs techniques de financements.

§ 1 – Les difficultés liées aux surcoûts lors de la structuration des produits islamiques

Lors de la table ronde organisée le 19 juin 2008, il avait été observé que sur le plan fiscal, le recours aux formules de la murabaha et de l’ijira est très désavantageux fiscalement47. Elles reposent sur une double mutation rendant les opérations passibles d’une double taxation. Une même opération financée dans le cadre de la finance conventionnelle subirait une seule imposition d’où un prix de revient inférieur facturé au client. Du fait du double transfert de propriété, les opérations vont entrainer des charges fiscales lors de chaque transfert, ainsi que des droits de mutation et des émoluments du notaire. A cela s’ajoute l’impôt sur la plus-value éventuelle du bien entre le moment de la première transaction et celui de la deuxième.

Le coût fiscal de la finance islamique est donc assez élevé. La plupart des opérations de finance islamique impliquant une double mutation de propriété (notamment, l’ijara ou la murabaha), elles engendrent un doublement des charges. Il a été relevé que lors de chaque cession, les droits d’enregistrement ont atteint les 4,89% ; la taxe sur la publicité foncière équivalait à 0,615% + 0,10% correspondant au salaire du conservateur ; et les émoluments du notaire à 0,825% négociable au delà de 80.000 Euros48.

La formule de la murabaha permet aux particuliers d’accéder à la propriété d’un bien immobilier. Elle suppose l’achat par la banque du bien avant de le revendre à son client. Le bien immobilier fait donc l’objet d’une double transaction d’où des frais supplémentaires supportés par le client49. En effet, les honoraires du notaire, la taxe notariale et les droits d’enregistrement sont exigibles une première fois lors de l’acquisition du bien par la banque et une deuxième fois lors de sa revente au client. En plus de ces frais et taxes, le client supporte la marge bénéficiaire de la banque.

S’agissant des opérations d’ijira, la banque finance dans ce cas pour le client un bien meuble ou immeuble. Le client s’engage, en vertu du contrat, à payer des mensualités sur un compte d’investissement qui lui permettra d’acquérir le bien.

Il y a également en la matière, une double transaction donc potentiellement une double perception des droits de mutation et de taxe sur la valeur ajoutée. Les mensualités calculées en tenant compte du prix d’acquisition et de la marge bénéficiaire de la banque supportent la taxe sur la valeur ajoutée. L’application de la TVA aux mensualités exigibles dans ce cas, alourdit considérablement le prix dès lors que cette taxe ne s’applique pas seulement à la marge bénéficiaire.

Les administrations fiscales des États, dont la législation n’est pas adaptée à la finance islamique, considèrent une telle opération comme une transaction commerciale d’où l’application d’un taux supérieur à celui applicable aux opérations bancaires.

Les soukouk, produits obligataire islamique, sont des titres négociables qui matérialisent l’engagement d’un emprunteur envers un préteur, qui, en contrepartie, met les fonds à sa disposition. Cet engagement est consacré par un contrat d’émission qui définit les caractéristiques de l’emprunt, les modalités de remboursement des fonds et le mode de rémunération du prêteur. A la différence des obligations classiques, les soukouk n’ont pas de taux d’intérêts mais rapportent à celui qui y souscrit une part de bénéfices générés par les actifs financés.

Les obligations islamiques ne sont donc pas des titres de dette, mais des titres de propriété de l’actif financé. Ces titres permettent de percevoir des paiements réguliers et de recouvrer le capital investi. A titre d’exemple, le Pakistan a émis un emprunt sous la forme d’un soukouk afin de financer la construction d’une autoroute.

Les droits de péage ont servi à garantir les remboursements des emprunts. Le développement des produits islamiques obligataire est conditionné par la fiscalité applicable en la matière. Du fait de la rémunération sous forme de partage des profits et des pertes dans toutes les opérations réalisées sous cette forme, telle que l’émission de soukouk, la rémunération versée par la banque est considérée comme un dividende et non comme une charge financière déductible fiscalement50.

L’Angleterre, soucieuse de devenir un centre mondial de la finance islamique, a aligné les règles d’émission de soukouk sur celles des obligations conventionnelles. C’est ainsi que les exemptions fiscales dont bénéficient les sociétés émettant des bons de trésor ont été élargies aux obligations islamiques.

En raison de l’ensemble de ces inconvénients, des propositions ont été émises, notamment par les praticiens et les enseignants-chercheurs, afin de créer une nouvelle réglementation davantage adaptée aux spécificités du financement islamique.

Pour éviter la double taxation, la création d’un régime ad hoc de l’achat/revente lorsque la revente n’est pas effectuée avec une intention spéculative semblait la meilleure solution. Il s’agit d’un régime analogue à celui du marchand de biens, mais cependant distinct dans la mesure où celui-ci n’a vocation à s’appliquer qu’à des opérations immobilières effectuées à titre habituel et avec intention spéculative. Un tel régime ouvrirait des opportunités dans le cadre de la gestion de l’immobilier public et le renouvellement urbain.

Ce régime prévoirait le paiement en une seule fois de la taxe de publicité foncière et des droits d’enregistrement dans le cadre de ces opérations. Le Royaume-Uni, pionnier dans ce domaine, avait très tôt supprimé le double droit de timbre pour ces opérations.

Il conviendrait de circonscrire le bénéfice de ce régime aux seules personnes morales. L’exonération vaudrait sur les droit de mutation au sens large : droit d’enregistrement et diverses taxes applicables dans le régime de la TVA. Enfin, l’extension des dispositions du 2 de l’article 257.7 du Code Général des Impôts pourrait permettre à un marchand de biens de revendre en TVA un immeuble acquis en TVA.

Par ailleurs, il serait souhaitable que soit confirmée, tant en matière de TVA ou droits de mutation que d’impôt sur les sociétés, la neutralité de la mise en place du contrat du crédit- vendeur. En effet, dans ce type de montages, pour des raisons de Chari’a compliance, la rémunération perçue par le SPV au titre du différé de paiement consenti à l’investisseur islamique doit, en principe, être affichée comme un profit prédéterminé, et non comme un intérêt courant sur le montant du crédit-vendeur.

En matière d’impôt sur les sociétés, une éventuelle imposition immédiate du SPV au titre de la revente sur le profit correspondant à cette rémunération prédéterminée, mais qui économiquement correspond bel et bien à un taux d’intérêt à taux fixe, romprait l’équilibre financier du schéma de mourabaha en générant un décaissement d’impôt immédiat51.

Concernant la musharaka, il serait souhaitable que soit autorisée la déductibilité de la rémunération versée à un prêteur participatif, que le prêt soit ou non un prêt participatif au sens des articles L. 313-13 et suivants du Code monétaire et financier.

A propos des soukouk, il conviendrait pour des raisons de sécurité juridique, que soient confirmées la déductibilité, dans les conditions de droit commun (application d’un taux de marché et éventuellement application de l’article 212 du CGI), par l’émetteur de soukouk ou l’emprunteur d’un prêt participatif (d’origine légal ou contractuel) de la rémunération versée aux bailleurs de fonds.

Il ne faut pas oublier que des conventions fiscales internationales visent à éviter la double imposition et lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Ainsi, elles déterminent leurs champs d’application en visant les impôts et revenus prévus par les législations fiscales internes des pays signataires. La qualification des opérations réalisées par le contribuable revêt un caractère important dans la mesure où elle détermine la nature des impôts à appliquer. Du point de vue du droit fiscal français, le prêteur islamique peut être assimilé à un vendeur ou un bailleur selon le cas.

En effet, dans la mourabaha, par exemple, le prix de vente est constitué du prix d’achat augmenté d’une marge bénéficiaire. Dans ce cas, au regard du droit fiscal français le prêteur peut être assimilé à un revendeur. Il s’ensuit que l’opération reçoit la qualification de simple opération commerciale (achat/revente) et non celle d’opération bancaire.

Dans le cadre de l’ijara (crédit-bail) qui permet à la banque d’acheter un bien afin de le louer à son client avec option d’achats, la banque peut être considérée comme un bailleur. Les paiements réalisés dans ce cadre seront traités fiscalement en fonction de la qualification juridique retenue.

A titre d’exemple, les paiements versés dans le cadre d’un financement en France d’une opération selon les techniques islamiques par un organisme bancaire situé dans un Etat lié par une convention fiscale à la France peuvent être soumis à la TVA. En effet, l’administration fiscale française peut assimiler ces paiements à des loyers versés dans le cadre d’un crédit- bail. Pour le pays où se trouve l’institution bancaire, les paiements perçus par cette dernière peuvent être considérés comme des revenus imposables.

En présence d’un financement conventionnel, de tels paiements versés à une société étrangère, en l’occurrence l’institution bancaire, feraient l’objet d’une retenue à la source52. Le montant de cette retenue à la source viendrait en déduction de l’impôt à payer dans l’autre Etat contractant en appliquant la technique du crédit de l’impôt. Ainsi, dans ce cas, la double imposition est éliminée.

Il s’ensuit que les méthodes d’élimination de la double imposition (crédit d’impôt ou exemption) prévues par les conventions fiscales ne peuvent trouver application qu’en cas d’adaptation de la fiscalité interne à la finance islamique. En effet, dans l’exemple précédent si l’opération n’avait pas été qualifiée de crédit-bail par l’administration fiscale française, les paiements n’auraient pas été grevés de taxe sur la valeur ajoutée. Ils auraient subi une retenue à la source au titre des revenus versés à une société étrangère ou à une personne fiscalement domiciliée en France.

La retenue à la source viendrait en déduction de l’impôt à payer par l’institution financière située dans l’Etat contractant en vertu de la technique du crédit d’impôt prévue par la convention fiscale pour éliminer la double imposition.

Aussi, il semblerait judicieux de déclarer l’absence de retenue à la source sur les intérêts et/ou primes de remboursements versés à des détenteurs de soukouk situés hors de France, en application de l’article 131 quater du Code Général des Impôts.

47 Estelle BRACK, « Banque et finance islamique en France », La finance islamique : une autre finance, Table ronde du 18 juin 2008

48 Gilles SAINT-MARC, « La finance islamique et le droit français », Tables rondes organisées par la Commission des Finances du Sénat, 14 mais 2008

49 Didier LAMETHE, « La faute de l’incertitude ou propos d’un juriste d’entreprise occidentale autour de la finance islamique », La finance islamique : une autre finance, Table ronde du 18 juin 2008

50 Geneviève CAUSSE-BROQUET, La finance islamique, éd. Revue Banque, 2009

51 E. JOUINI & H. PASTRE « Rapport Jouini et Pastre : Enjeux et Développement de la Finance Islamique pour la Place de Paris », Rapport remis à Paris Europlace, 8 décembre 2008

52 Patrick SERLOOTEN, Droit fiscal des affaires, 9e éd., Dalloz 2010

Il ressort de l’ensemble de ces observations que l’absence de cohérence entre la législation fiscale française et la finance islamique présentait un surcoût particulièrement important pour la mise en place de ces techniques de financement. L’administration fiscale a finalement réagi dès le début de l’année 2009 par une importante Instruction qui a ouvert la voie à un certain nombre d’ajustements fiscaux propres aux mécanismes de financement islamique.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
L’établissement d’une banque islamique en France
Université 🏫: Université Paris II Pantheon-Assas - Master de droit européen comparé - dirigé par Louis Vogel 2017
Auteur·trice·s 🎓:
Solène Boustany

Solène Boustany
Année de soutenance 📅:
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