Activation des individus en pays d’Europe

7.5 Les pays d’Europe continentale : l’activation, un projet en chantier

Les pays d’Europe continentale forment sans doute le plus hétérogène des regroupements de pays de notre analyse et ce à plusieurs points dans le temps. Leur hétérogénéité est plus prononcée en 1985 et en 1990 : leur regroupement est alors non seulement plus diffus, mais il présente aussi une plus grande proximité avec les pays anglo-saxons. À partir de 1995, la spécificité des pays d’Europe continentale ressort plus clairement de nos analyses.

Qui plus est, on peut noter entre 1995 et 2000 un certain rapprochement avec les pays nordiques. En effet, les pays continentaux sont beaucoup plus près de ces derniers sur l’axe d’activation en 2000 qu’en 1995 : pour la première fois depuis 1985, ils se situent tous dans la même partie du plan que les pays nordiques et ne gravitent plus autour du centre de l’axe comme c’était le cas auparavant.

Les caractéristiques de la protection sociale dans les pays continentaux ont légèrement évolué depuis 1985, sans toutefois perdre leur caractère initial. Globalement, ces pays se distinguent par la générosité de leurs dépenses publiques, qui les place en tête de liste (non loin des pays nordiques) à chaque point dans le temps.

Cette générosité s’étend à plusieurs champs de dépenses : l’éducation, la santé, l’assistance aux personnes dépendantes, mesures de conciliation travail/famille, l’assistance aux chômeurs. Toutefois, les assises de la générosité étatique reposent plus largement sur des transferts sociaux, ce qui confère implicitement à la famille un rôle plus important dans la prise en charge du bien-être des personnes dépendantes (petite enfance et personnes âgées): si l’offre de services publics est limitée, la famille est appelée à prendre le relais en conférant gratuitement ces services dans la sphère domestique.

Cette particularité de la protection sociale affecte inévitablement la conciliation travail/famille, dont le soutien étatique n’est pas aussi complet que dans les pays nordiques. En somme, la forme que revêt la protection sociale dans les pays continentaux implique un plus grand partage des responsabilités entre l’État et la famille dans la prise en charge du bien-être des individus.

À la lumière de nos résultats, on peut toutefois penser que ce partage de responsabilités a évolué: la plus grande proximité avec les pays nordiques sur l’axe d’activation en 2000 est sous-tendue entre autre par des affinités électives au chapitre des services sociaux.

L’articulation transferts sociaux/services sociaux n’est plus tout à fait ce qu’elle était dans les pays continentaux : si les transferts revêtent toujours une importance centrale, les services sociaux ne représentent plus le «parent pauvre» de l’appareil de protection sociale.

L’importance qu’ont acquise les services sociaux au fil des années témoigne d’une reconfiguration de la protection sociale vers une activation plus forte. Par contre, cette reconfiguration ne semble pas avoir porté tous ses fruits sur le plan socio-économique : les pays continentaux affichent toujours un léger retard vis-à-vis leurs homologues nordiques et anglo-saxons en regard de l’intégration au marché du travail.

En effet, à la lumière de nos analyses dans le temps, il appert que le versant socio-économique de l’activation tarde à se matérialiser dans les pays d’Europe continentale : comparativement à leurs homologues nordiques et anglo-saxons, la prévalence du chômage et du chômage de longue durée est plus élevée alors que les taux d’activité sont légèrement inférieurs. Qui plus est, les taux d’activité des femmes et des personnes âgées de 55 à 64 ans sont nettement plus faibles et témoignent d’une carence au chapitre de l’activation.

Dans le cas des femmes, on peut penser que leur plus faible intégration en emploi renvoie à un manque de soutien institutionnel à la conciliation travail/famille, alors que la situation des personnes de 55-64 ans semble sous-tendue par des mesures de retraite anticipées qui ont réduit les effectifs de travailleurs dans cette catégorie d’âge. Si l’intégration en emploi constitue une ombre au tableau socio-économique des pays d’Europe continentale, ces derniers affichent néanmoins des perspectives égalitaires qui les rapprochent des pays nordiques : une faible prévalence de la mortalité infantile et de la pauvreté dans les familles avec enfant(s).

7.6 Les pays d’Europe du Sud : l’activation, l’inaccessible étoile

Les pays d’Europe du Sud forment un regroupement assez homogène dans le temps, même si on les distingue moins bien des pays continentaux et anglo-saxons en 1985 et en 1990. Leurs caractéristiques ont assez peu évolué sur vingt ans : en 1985 comme en 2000, ils affichent une certaine générosité étatique, mais qui n’est résolument pas orientée vers des perspectives d’activation.

Le soutien étatique à l’éducation et la santé est similaire à celui des pays d’Europe continentale, mais l’assistance aux personnes dépendantes et aux chômeurs est moins généreuse et elle est nettement plus orientée vers des transferts sociaux.

En fait, sur le plan de l’étendue des dépenses publiques, on pourrait situer les pays d’Europe du Sud entre les pays d’Europe continentale et anglo-saxons. S’ils semblent avoir davantage d’affinités avec les pays anglo-saxons en 1985, leur parcours après ce point d’observation met en relief des gains quant aux des dépenses engagées par l’État et ce, dans plusieurs champs de protection sociale.

Une des caractéristiques centrales des pays d’Europe du Sud concerne les dépenses engagées dans les services sociaux, qui sont assez faibles, voire même comparables à celles des pays anglo-saxons. D’ailleurs, à chaque point dans le temps, la proximité des pays d’Europe du Sud par rapport aux pays anglo-saxons sur l’axe d’activation s’articule en partie autour d’une faible générosité au chapitre des services sociaux.

À l’instar des pays d’Europe continentale, les pays d’Europe du Sud misent plus largement sur des transferts sociaux dans leurs schèmes de protection sociale : à la seule différence près que l’étendue de ces transferts est moins importante, ce qui fait notamment croître les responsabilités des familles (en particulier celles des femmes) dans la prise en charge des personnes dépendantes.

En somme, la protection sociale dans les pays d’Europe du Sud depuis 1985 se veut généreuse à certains égards, mais très faiblement engagée sur le terrain de l’activation. Si l’évolution du classement des pays d’Europe continentale dans les années 1990 laisse croire que l’activation est un projet déjà en chantier, dans les pays d’Europe du Sud, l’activation semble plutôt un projet lointain, dont les assises restent à être définies. Si cette orientation ressort clairement au chapitre des dépenses publiques, il en va de même au niveau des situations socio-économiques.

À chaque point dans le temps, les pays d’Europe du Sud constituent le regroupement qui enregistre les moins bonnes performances socio-économiques. Sur le marché du travail, ils se distinguent par une forte prévalence du chômage et du chômage de longue durée et par de faibles taux d’activité, notamment chez les femmes et les personnes âgées de 55 à 64 ans. L’intégration en emploi des femmes est peu poussée : elle est significativement plus faible que celle des hommes, qui est elle-même assez faible.

On peut penser que cette situation a tout à voir avec le peu de mesures de conciliation travail/famille et le peu de services sociaux pour appuyer les familles, qui ajoutent aux responsabilités des femmes dans la sphère domestique, les rendant moins disponibles pour occuper un emploi.

À la lumière de cette configuration de situations sur le marché du travail, l’étiquette de «welfare states without work» qu’Esping-Andersen appose aux pays d’Europe continentale peut certainement s’appliquer aux pays d’Europe du Sud.

Voir Esping-Andersen (1996), op. cit.

À chaque point dans le temps, les pays d’Europe du Sud affichent des niveaux d’inégalités sociales comparables à ceux des pays anglo-saxons : une forte prévalence de la pauvreté dans les familles avec enfants, d’importantes inégalités au chapitre des gains sur le marché du travail et une prévalence élevée de la mortalité infantile. En somme, les situations socio-économiques dans les pays d’Europe du Sud peuvent non seulement témoigner d’un manque à gagner en terme d’activation, mais aussi au niveau d’un déficit dans la lutte aux inégalités sociales.

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