La théorie de la base économique – Export base

Section 3

Eléments d’économie régionale

Les apports des sciences économiques en matière de développement économique sont vastes et multiples, la plupart du temps, ces théories ont pour objectif de pallier une difficulté ou à un phénomène particulier engendré tantôt par le marché de l’offre et de la demande directement, tantôt par une volonté précise de mettre en place une stratégie politique budgétaire, d’échanges internationaux, sociale, ou autre objectif bien défini. Ainsi, de nombreux économistes se sont penchés sur certains aspects propres aux économies insulaires, au développement touristique, ou encore aux échanges et autres formes de coopération.

Ce sont quelques unes de ces théories économiques élaborées à des fins spécifiques que nous allons présenter dans cette section afin d’y puiser les éléments et principes susceptibles d’apporter des solutions aux problèmes ou simples particularités mises en évidence jusqu’ici, particularités concernant donc la mise en oeuvre d’une stratégie de développement touristique insulaire.

Insistons sur le fait que seul le raisonnement, l’idée générale, les principes fondamentaux, exposés dans les différentes théories à suivre, nous amèneront à réfléchir sur une éventuelle application au niveau insulaire. Nous ne nous attarderons pas, par exemple, concernant les théories de développement régional, sur la question de définition d’une « région ». Que le chercheur ait considéré une « région polarisée », « région homogène » ou « région plan », cela importera peu du moment que son étude et ses conclusions seront utiles à notre recherche d’un développement durable du tourisme en « milieu » insulaire. Ainsi, si l’on devait par la suite employer le terme de « région », c’est à la définition la plus générale (et la moins restrictive) que nous ferions allusion:

«  Parler d’économie régionale revient à admettre que des entités spatiales infra-nationales forment la base d’une analyse nouvelle des processus économiques : c’est estimer à la fois que les hommes et les formes d’organisation groupés sur un territoire restreint possèdent une logique et/ou des intérêts propres, et que certains phénomènes économiques prennent corps dans un cadre territorial infra-nationnal. Il y a donc là un retournement de perspectives par rapport à l’orthodoxie néoclassique qui n’observe que des agents et des points d’un territoire, et ne conçoit pas qu’ils puissent se coaguler en unités méso-économiques baptisées régions  » (Aydalot, 1985).

1. La théorie de la base

La théorie de la base ou base exportatrice (export base) est celle qui depuis le début des années 1950 a inspiré le plus de travaux. Elle fut présentée par Homer Hoyt dès avant la dernière guerre. Hoyt part du principe que « seul les ensembles économiques de grande dimension tels que les grandes nations sont maîtres de leur développement » car il dépend de variables internes, de propensions qui leur sont propres.

Dans ces grands ensembles la loi du marché s’applique car offre et demande peuvent varier de manière importante sur deux périodes. Outre la demande extérieure, la croissance peut venir de la simple adaptation au marché interne dont ils disposent.

A l’inverse, les petites régions isolées ne disposent pas d’un marché interne susceptible de varier de manière suffisamment importante pour faire naître un pôle de croissance, pour « susciter de façon autonome des flux croissants d’investissement ». « Sans un moteur extérieur, elles ne peuvent que reproduire d’une période sur l’autre les mêmes grandeurs (le même flux de revenu se propage, engendre le même volume d’emploi, diffuse des effets inchangés et débouche sur une économie stationnaire) » (Aydalot, 1985).

Pour ces petites régions, la solution ne peut venir que de l’extérieur. La croissance sera donc menée par un secteur dit de base, c’est à dire exportateur, pour retomber sur les secteurs « résidentiels » qui obéissent à la demande locale.

On soulignera que cette théorie n’implique aucune définition spécifique de la région et peut s’appliquer à tout ensemble spatial comme les petites économies isolées. En fait, sa validité est d’autant plus assurée qu’on considère des unités territoriales de petite dimension et très intégrées aux échanges inter-spatiaux.

Douglas North (1955) reprend cette théorie en s’appuyant sur l’exemple d’Etats du Nord-Ouest américain qui n’ont pu se développer qu’à partir de la forte demande externe en blé et en bois engendrée par la ruée vers l’or des années 1860. L’Etat de Washington aurait vu son développement démarrer sur ces bases, sans lesquelles il aurait continué à végéter.

Plus récemment, et de manière plus appropriée à notre étude, Polèse (1994) montre que la théorie de la base paraît évidente si l’on observe des petites régions tributaires de leurs ressources naturelles. Prenant le cas d’une région minière exportant la totalité de sa production, il explique que la fermeture de la mine provoquerait celle des activités qui desservent la population locale (épiceries, banques, écoles, etc.).

La mine est donc l’activité de base qui fait vivre la communauté, l’épicerie et les autres établissements ne sont que des activités d’appoint. Le modèle de la base, bien qu’issu d’un raisonnement simple, n’en demeure pas moins réaliste, il est encore aujourd’hui le modèle le plus cohérent et le plus répandu d’explication du niveau d’activité économique d’une région.

Après North, c’est Tiebout (1962) qui adapte l’idée de la théorie de la base à ce qui en sera l’une des premières applications. Son modèle fait dépendre le niveau de production et le niveau d’emploi de la région de ses activités d’exportation, qui dépendent elles-mêmes de la demande extérieure et des avantages comparatifs de la région, que le modèle considère comme des variables « exogènes » (sur lesquelles la région n’a pas de prise). La région vit donc de la demande extérieure et doit s’y adapter pour survivre.

Cette conception du développement se formalise ainsi :Y = B + R

Le revenu (Y) est égal à la somme du revenu tiré des activités de base (B) et du revenu tiré des activités résidentielles (R). Ces dernières sont une fraction constante du revenu total, soit :

R = aYavec a1

D’où :Y = B + aY

Ce qui implique :Y = B/(1-a)

Ou encore :dY/dB=1/(1-a)

Où a apparaît comme étant la propension moyenne et marginale à dépenser localement le revenu.

Ainsi, le revenu est un multiple du produit des exportations, la valeur du coefficient multiplicateur dépendant du ratio dépenses locales/dépenses totales. Le multiplicateur sera d’autant plus important que les fuites dues aux importations seront faibles. On lui trouve aussi dans certains ouvrages le nom de multiplicateur régional obtenu selon la formulation similaire :

k = T/B

Posant_ k : multiplicateur de base.

  •  T : le niveau total d’activité de la région.
  •  B : le niveau d’activité de la région dans le secteur basique.
  •  NB: le niveau d’activité de la région dans le secteur non basique.

La relation s’écrit également :

La relation

Chaque nouvelle devise qui pénètre dans la région, et dont l’entrée suppose qu’il y existe une activité de base, y suscite d’autres activités, dans la mesure où elle y est redépensée. L’importance du multiplicateur exprime la capacité de la région à retenir les nouvelles devises sur son sol.

Il faut cependant rester conscient du fait que la région maintiendra ces devises en son sein d’autant plus facilement qu’elle disposera d’une certaine effervescence économique interne. Cela dépendra donc implicitement de la structure économique de la région, c’est à dire de la gamme de biens et de services qu’elle produira, et de l’intensité des échanges entre ses agents économiques (intégration économique interne). Plus la région aura une économie diversifiée et intégrée, plus le multiplicateur sera grand.

Les agents économiques (consommateurs ou entreprises) ont d’autant plus tendance à dépenser leur argent dans la région qu’ils y trouvent les biens et services dont ils ont besoin.

On soulignera au passage que dans le cas de régions isolées (à plus forte raison insulaire), les agents ont d’autant plus tendance à dépenser leur argent sur place que les autres régions où ils pourraient s’approvisionner sont éloignées.

Ce que l’on cherche à montrer en présentant ici cette analyse, c’est que malgré les multiples difficultés rencontrées par les îles, l’exportation est la seule issue à une stagnation irrémédiable de leur économie (interne), les richesses étant perpétuellement redistribuées et réinjectées en quelque sorte en vase clos.

Rappelons alors que le tourisme est une activité exportatrice puisqu’elle permet de faire entrer des devises extérieures et donc d’augmenter la richesse de la région pour peu que ces devises soient réinjectées dans l’économie interne. Il paraît donc évident (dans un premier temps) que c’est essentiellement sur cette activité que devraient porter les efforts de gestion (budgétaires) des décideurs locaux.

Nous l’avons dit : cette théorie à donné lieu à de nombreux travaux, qui en présentent souvent les limites en formulant d’autres critiques. Deux réflexions sont souvent exprimées pour remettre en cause la « simplicité » du raisonnement et les conclusions hâtives que l’on pourrait en tirer.

On constate en premier lieu que le fruit des exportations n’est pas intégralement profitable à la population, une forte partie étant souvent réinvestie en importation (donc à l’extérieur), une autre partie donnera lieu à une imposition ou au financement d’un emprunt. En effet, nous l’avons déjà remarqué, l’avantage obtenu par le biais des exportations dépend également des structures et comportements locaux. Il faudra peut-être tenir compte également de l’élasticité de l’offre régionale à une variation de la demande interne.

Si elle est insuffisante, c’est la propension à importer qui s’élèvera avec les recettes d’exportation, réduisant ainsi le multiplicateur et diffusant à l’extérieur les effets de croissance qui en provenaient. En résumé, il faut constater que le modèle présenté ne prend pas en considération tous les flux de revenus entre la région et l’extérieur.

Gérald Sirkin (1969) est le premier à exposer un modèle qui ne se limite pas aux seules exportations mais tient compte également des importations et autres fuites affectant le multiplicateur.

Les importations représentent une fuite qui réduit la valeur du multiplicateur, mais on peut en dire autant des prêts nets à l’extérieur qui entraînent une baisse du pouvoir d’achat interne. Sirkin introduit ainsi dans le modèle le comportement financier des agents, ce qui fait apparaître plus clairement les limites de l’autonomie régionale. La croissance de la région dépend alors moins des exportations en tant que telles que de l’ensemble de sa position dans l’économie nationale. Le schéma suivant résume assez bien l’ensemble des relations qui unissent la région à l’extérieur :

l’économie nationale

La seconde critique fréquemment relevée chez différents auteurs ayant traité la théorie de la base, réside en la difficulté de différencier les activités de base des activités résidentielles (La méthode d’estimation des exportations régionales à l’aide de quotients de localisation présentée par Polèse 1994 est reproduite en annexe 1). Sans trop nous engager sur ce sentier complexe, nous donnerons simplement notre avis non sans avoir toutefois rapporté que nombre d’entre les auteurs concluent que toute activité provoquant une entrée dans la région de devises externes, donc exportatrice, devra être considérée comme activité de base.

On trouve parfois l’exemple du médecin spécialiste de renom attirant des patients de régions très lointaines. Certes, ce dernier exemple semble très éloigné de l’idée de base contenue dans la théorie, mais nous irons encore plus loin dans nos conclusions.

Bien que distinctes, ces deux critiques ont un lien. Si l’on considère que l’intérêt de la théorie est de montrer l’importance que doivent accorder les petites économies aux échanges avec l’extérieur pour sortir d’un système économique qui fonctionnerait en boucle, on peut, sans beaucoup extrapoler, en déduire qu’il faudra alors favoriser les activités exportatrices (de base) mais aussi toute activité qui permet de réduire les fuites de capitaux issus de ces exportations.

Ainsi, dans une région où l’activité (principale) de base serait le tourisme, l’emploi d’une entreprise locale de maçonnerie permettrait de limiter les importations (fuite de capitaux) aux simples matériaux de construction. Cette entreprise non exportatrice permet néanmoins indirectement d’accroître les effets positifs engendrés par la base sur l’économie régionale.

Poursuivant ce raisonnement, on peut également dire que toute activité locale, artisanale ou agricole par exemple, qui, ayant une production supérieure à la demande interne (on entend ici par interne : destinée à la population locale), permettrait à un restaurant de la région de s’approvisionner sur le marché local pour contenter une demande externe (touristique), devrait être considérée comme « acteur » du développement local lié à l’activité de base.

Evitant alors l’erreur que l’on était sur le point de commettre dans nos premières conclusions, on précisera que s’il semble évident que l’activité de base de la zone (le tourisme par exemple) doit être favorisée financièrement dans le plan de développement régional mis en place par les décideurs, il ne faut pas pour autant commettre la faute de léser les activités « fournisseurs » de la base.

Une telle erreur n’aurait pas uniquement pour effet de réduire l’impact des exportations (en impliquant une augmentation des importations), mais cela provoquerait au sein de la population locale un sentiment de rejet de la part des décideurs au profit des intérêts liés à la demande extérieure. Inutile de revenir sur l’importance de la participation des autochtones au développement de leur propre territoire afin d’obtenir leur adhésion (cf. section 2, § 221).

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Tourisme et Développement Régional
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