Stratégies de défense d’un marché : Côté contrefacteur

Stratégies de défense d’un marché : Côté contrefacteur

2 – Côté contrefacteur

A – Obstruction à la constitution de preuves de contrefaçon

Parmi les stratégies auxquelles peut recourir un contrefacteur cherchant lui aussi à défendre son marché, la première consiste à mettre le breveté dans l’impossibilité de prouver ses agissements. Et il faut dire que, d’une manière générale, les contrefacteurs ne s’en privent pas. Ceux reliés aux réseaux du grand banditisme s’installent pour fabriquer tranquillement dans des pays lointains comme la Chine dont les gouvernements les protègent plus ou moins dans la mesure où ils participent à l’essor économique du pays en question.

Les autres comptent avant tout sur la discrétion de leur activité. Or, la saisie-contrefaçon autorise une véritable perquisition chez le contrefacteur présumé. Il lui faut par suite un peu plus de doigté pour déjouer la fouille ainsi ordonnée. Voici les recommandations que Maître GAUTHIER, avocat spécialisé dans la propriété industrielle, donne en l’espèce:

  •  donner la consigne au personnel du saisi de se taire,
  •  ne pas coopérer avec les saisissants ou mieux faire semblant de coopérer en les envoyant sur de fausses pistes.

En effet il n’est pas possible de s’opposer à une saisie-contrefaçon. Le cas d’un contrefacteur qui utiliserait la force pour cela a d’ailleurs été prévu par le législateur puisque les saisissants ont le droit de se faire accompagner par un commissaire de police armé. Le contrefacteur a donc plus intérêt à profiter de l’encadrement strict que la loi admet pour cette procédure d’exception. En effet il existe plusieurs règles de forme qui, si elles ne sont pas respectées, rendent la saisie nulle:

  •  l’huissier qui signifie au présumé contrefacteur l’ordonnance de saisie, doit s’identifier, présenter les autres saisissants et remettre au saisi le procès-verbal de saisie avec copie de l’ordonnance,
  •  mais surtout l’assignation pour le procès en contrefaçon doit avoir lieu dans les quinze jours qui suivent la saisie.

Faire ressortir le non-respect de ces règles permet d’obtenir l’annulation de la saisie lors du procès en contrefaçon. Le breveté en est alors quitte pour refaire la saisie. Inutile de préciser que lorsqu’il reviendra, les preuves auront disparu de chez le contrefacteur.

Une autre mesure préventive consiste à garder systématiquement la comptabilité relative aux produits contrefaisants dans un lieu distinct de leur fabrication en veillant à ce que fabrication et comptabilité ne soient pas effectuées dans le ressort du même tribunal de grande instance. En effet si les saisissants ne trouvent pas tout ce qu’ils cherchent dans le premier endroit visité, ils doivent poursuivre la saisie ailleurs. Or, cela n’est possible rapidement que si la même ordonnance peut encore être employée pour la visite dans le second lieu. Sinon le breveté doit requérir une seconde ordonnance auprès d’un autre tribunal. Cela réclame du temps et il y a alors toutes les chances pour que le délai d’assignation sous quinzaine soit dépassé.

B – Manœuvres dilatoires au procès

a) Demande de sursis à statuer

Le contrefacteur présumé peut obtenir le sursis à statuer lorsque l’action est fondée sur une simple demande ou encore lorsque la voie parallèle européenne n’a pas encore débouché sur un brevet délivré. Il peut demander également le sursis lorsque le brevet délivré par la voie européenne est en cours d’opposition. Le plus souvent dans ce cas, c’est le contrefacteur lui-même qui a fait opposition. Mais dans ce cas, le juge n’est pas tenu de surseoir. En revanche, le sursis ne peut être refusé si l’action est fondée sur un certificat d’utilité, et cela jusqu’à ce que le rapport de recherche demandé à l’occasion du procès ait été émis. Pendant tout ce temps, le contrefacteur est à l’abri de tout risque d’interdiction provisoire. Il peut mettre à profit ce répit pour modifier ses fabrications et en lancer de nouvelles sur le marché échappant au titre de propriété qui lui est opposé.

B) Retard à fournir les répliques

Parfois l’avocat du contrefacteur retarde volontairement l’envoi de ses conclusions au juge, prenant prétexte par exemple de son manque de temps. Cela peut être utile lorsque persiste l’espoir de mettre à jour une nouvelle antériorité destructrice de nouveauté ou d’activité inventive. Des recherches menées dans les collections de brevets japonais ou russes sont en effet assez souvent fructueuses de ce point de vue. Mais elles nécessitent des traductions gourmandes en temps. De même le contrefacteur cherchera alors à ralentir la procédure d’opposition qu’il a initiée auprès de l’OEB. Mais il peut au contraire demander l’accélération de la procédure d’opposition que l’OEB est tenue de lui accorder en raison du procès en cours. La manœuvre dilatoire au niveau du procès tend dans ce cas à obtenir la révocation du brevet par l’OEB avant le jour de l’audience devant le juge.

C – Moyens de forme et de fond

Le contrefacteur dispose par ailleurs de plusieurs types de moyens capables de le faire triompher lors du procès. Des moyens de forme tout d’abord tels que

  •  la déchéance du brevet bien qu’il soit très rare que le breveté n’ait pas vérifié avoir effectivement payé la dernière annuité du brevet,
  •  le défaut de la qualité pour agir du demandeur: Des licenciés ou des cessionnaires négligents perdent parfois de vue qu’il leur faut être inscrits sur le Registre national des brevets comme nouveau titulaire des droits pour pouvoir assigner valablement le contrefacteur. Et tous les juges n’acceptent pas de reconnaître un demandeur inscrit ultérieurement à l’assignation,
  •  la mise en connaissance de cause des contrefacteurs se livrant à des actes secondaires de contrefaçon qui n’aurait pas été effectuée préalablement à l’assignation,
  •  la prescription triennale, ou encore
  •  la nullité de la saisie.

Des moyens de fond ensuite tels que:

  •  immunités quant aux actes ou aux personnes comme dans le cas de l’exception de possession antérieure qu’il convient alors de prouver valablement,
  •  l’épuisement du droit si le produit a été mis sur le marché de l’Union européenne par le breveté ou avec son accord,
  •  la nullité du brevet qui est un moyen pouvant être introduit seulement en appel, et
  •  la non-matérialité de la contrefaçon.

D – Transactions

La stratégie de défense de son marché faisant appel à une transaction peut en fait être utilisée tant par le breveté que par le contrefacteur. Aller devant le juge présente certes un aléa pour l’un comme pour l’autre. Dans certains cas, cet aléa est sans conséquence sur le plan économique pour l’une des parties de sorte qu’elle se refusera à transiger (cf. à titre d’illustration le § II-3-E ci-après sur la déstabilisation). Mais lorsque le rapport de force breveté-contrefacteur est relativement équilibré, les parties sont enclines à négocier.

Ainsi le breveté est-il sûr de garder son brevet, ce qui barre la route aux autres concurrents. Le contrefacteur écarte de lui le risque d’être condamné. Les très grosses sociétés font souvent appel pour cela aux instances d’arbitrage notamment de l’OMPI. Bien que l’arbitrage coûte très cher, elles y trouvent un avantage supplémentaire: la discrétion.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La guerre des brevets : Quelles stratégies ?
Université 🏫: Université de Marne-la-Vallée
Auteur·trice·s 🎓:
Hélène ROLNIK

Hélène ROLNIK
Année de soutenance 📅: Mémoire de DESS en Ingénierie de l’Intelligence économique - Novembre 2002
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