Procès en contrefaçon, Comment joue l’arme brevet

Procès en contrefaçon, Comment joue l’arme brevet
III – Comment joue l’arme brevet

Reprenant l’image militaire de l’arme brevet, ce paragraphe examine comment elle peut être mise en œuvre. Dans la terminologie juridique, il s’agit pour le breveté de faire reconnaître son droit face à un contrefacteur. Si ce dernier refuse de se soumettre à un arbitrage, c’est le juge qui in fine dira le droit. Il convient donc d’examiner comment se déroule un procès en contrefaçon ou, si l’on veut, comment l’arme explose, et quelles sanctions peuvent être prononcées à l’issue de ce procès, c’est-à-dire quels dégâts l’explosion peut occasionner. Cette étude permettra une approche théorique de l’arme brevet.

1 – Procès en contrefaçon

A – Assignation par le breveté

Historiquement la contrefaçon relevait du pénal. Cela a été réintroduit dans la loi française de 1990 lorsqu’il y a preuve indubitable de l’intention frauduleuse du contrefacteur. Toutefois cette faculté est peu employée en raison des incertitudes qui pèsent en général tant sur l’objet du droit (cf. la remarque à la fin du paragraphe II-2-D ci-dessus) que sur la validité du brevet (cf. § III-1-B). Le pénal pose aussi un problème d’attribution de juridiction, le contrefacteur présumé mettant généralement en cause la validité du brevet, question qui se traite au civil (cf. aussi § III-1-B). La quasi-totalité des procès en contrefaçon de brevets ont par suite lieu directement devant les juridictions civiles, la responsabilité civile délictuelle du présumé contrefacteur étant seule en cause. Elle se prescrit par trois ans.

L’instance doit être introduite par le réel titulaire du droit de brevet. Ce dernier peut être le breveté d’origine. Il peut aussi être le cessionnaire du droit ou son concessionnaire exclusif à condition d’être valablement inscrit comme tel au Registre national des brevets. Le droit de brevet est en effet considéré comme un droit réel, qui doit être soumis à une publicité pour être opposable à tous. Ci-dessous, le terme de breveté sera gardé pour désigner le demandeur de l’instance quelle que soit sa qualité vis-à-vis de son droit de brevet.

En France, dix tribunaux de grande instance sont réputés compétents en matière de brevet. Ce sont les tribunaux de Lille, Nancy, Strasbourg, Paris, Rennes, Limoges, Bordeaux, Toulouse, Marseille et Lyon. Mais plus de la moitié des affaires de brevet se traite à Paris. L’assignation s’effectue devant le tribunal

  •  soit du domicile du présumé contrefacteur,
  •  soit du lieu où l’acte de contrefaçon présumée s’est produit.

Cela laisse en pratique le choix du tribunal au titulaire du droit de brevet dans la mesure où il peut par exemple se faire livrer où il veut le produit contrefaisant. C’est un premier aspect qui met en position de force le breveté. Si au niveau de la première instance cela joue peu, les tribunaux n’étant pas spécialisés dans les brevets, les chambres de cours d’appel en revanche le sont et la sensibilité de chacune finit par être connue des avocats spécialisés.

Un autre de ces aspects est relatif à la preuve de la contrefaçon qui en principe peut être établie par tout moyen. Certes le breveté en a la charge, mais il dispose notamment en France de la procédure de saisie-contrefaçon qui est particulièrement efficace. Le chapitre 3 examinera plus en détails comment cette procédure se déroule en pratique (cf. § I-2-A du chap. 3). Ce n’est autre en vérité qu’une perquisition que le breveté peut se voir autorisé à organiser chez son présumé contrefacteur.

B – Demande reconventionnelle en annulation par le contrefacteur présumé

Un troisième aspect semble encore favorable au breveté. C’est l’adage « Provision est due au titre. »

qui signifie qu’un brevet délivré bénéficie d’une présomption de validité. Un des moyens de riposte du présumé contrefacteur consiste cependant à déposer une demande reconventionnelle en annulation du brevet. La loi prévoit en effet qu’une décision de justice peut déclarer nul un brevet si :

  • a) son objet n’est pas brevetable,
  • b) il y a insuffisance de description, ou
  • c) l’objet du brevet délivré s’étend au-delà du contenu initial de la demande.

Un brevet délivré en France par la voie nationale ne subit pas d’examen au fond. Seul un avis documentaire établi par des membres de l’INPI au vu du rapport de recherche est joint à la publication du brevet délivré. Un tel brevet reste donc assez vulnérable à une éventuelle annulation par le juge. Un brevet délivré par la voie européenne est beaucoup moins vulnérable surtout si les antériorités soumises au juge sont les mêmes que celles qui ont été prises en compte lors de l’examen au fond effectué par l’OEB.

La mesure dans laquelle un brevet est vulnérable à l’annulation lors du procès est fondamentale dans l’issue favorable ou non du procès en contrefaçon. Car bien sûr si le brevet est annulé lors du procès, il est réputé n’avoir jamais eu d’effets juridiques et il ne saurait en conséquence y avoir de contrefaçon. En France, ce point est examiné par le même juge que celui qui a à connaître de la contrefaçon (contrairement à ce qui se passe en Allemagne notamment). Et la validité du brevet est examinée en premier lieu.

Ce paramètre fondamental propre à un brevet est aussi appelé valeur ou solidité du brevet. C’est un paramètre aussi important que la portée de la protection conférée par le brevet selon laquelle le produit ou le procédé argué de contrefaçon tombe ou non sous le coup du brevet. La portée est examinée en second lieu dès lors que le brevet a été en tout ou partie validé.

La procédure devant le juge est contradictoire. En pratique, les parties, donc aussi bien le breveté que le présumé contrefacteur, sont invitées à soumettre des arguments au juge autant que de besoin. Les arguments soumis par l’une des parties sont transmis à l’autre pour qu’elle prenne position dessus. Bien entendu ce sont les avocats des deux parties qui échangent ces écritures. Mais les arguments sont élaborés en commun avec les équipes de chercheurs des sociétés en cause ainsi que leurs conseils en propriété industrielle respectifs. Ces échanges s’étalent sur plusieurs mois tandis que les plaidoiries durent une ou deux heures en général, n’excédant jamais une journée.

Le délai moyen de traitement d’un procès en contrefaçon a été entre 1990 et 1995 de 16,4 mois [TRIET G., 2000]. Cela s’explique par le manque de magistrats, mais aussi par l’attitude des parties qui se livrent souvent à des manœuvres dilatoires (cf. § I-2-B du chap. 3). Le coût moyen d’un procès en première instance en France est de 100 000 euros dont une petite moitié va à l’avocat et l’autre moitié, plus grosse, va au conseil en propriété industrielle. La procédure en appel est de 30% moins chère. En comptant un passage en cassation, il faut compter un coût global moyen de 200 000 euros environ pour une durée de cinq à six ans.

L’investissement dans la préparation du procès est un troisième paramètre influençant largement son issue au même titre que solidité et portée du brevet. Et si ces trois paramètres ne sont que de piètre qualité, les aspects favorables au breveté soulignés ci-dessus ne lui permettront guère de faire succomber le présumé contrefacteur.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La guerre des brevets : Quelles stratégies ?
Université 🏫: Université de Marne-la-Vallée
Auteur·trice·s 🎓:
Hélène ROLNIK

Hélène ROLNIK
Année de soutenance 📅: Mémoire de DESS en Ingénierie de l’Intelligence économique - Novembre 2002
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