Intégration des revenus de la migration au sein de l’économie

2.3 – Intégration des revenus de la migration au sein de l’économie locale

Une partie importante de l’argent envoyé par les migrants sert à la consommation quotidienne des familles réceptrices. Les petits commerces bénéficient indirectement de la migration grâce à l’augmentation du pouvoir d’achat d’une partie de la population. Cette ressource permet, par l’achat de denrées alimentaires mais aussi de matériel de construction, d’être réinjectée dans le circuit économique local. Selon l’importance de la migration, cet argent n’aura pas les mêmes conséquences sur l’économie locale.

A San Agustín Loxicha : une aide mesurée et une dépendance contrôlée

Lorsque la migration est peu développée comme à San Agustín Loxicha (*), les impacts sont essentiellement d’ordre individuel ou familial, car ils profitent à quelques foyers isolés. L’argent envoyé aura des répercussions sur la consommation de la famille ou constituera la première épargne du migrant célibataire.

Cette épargne est souvent l’occasion d’ouvrir un compte dans un des établissements financiers du village. Les commerces locaux profitent en partie de cet argent mais leur activité n’est pas dépendante de ces foyers. Beaucoup de familles réceptrices doivent également diminuer la dépendance envers les remesas, en raison du contexte d’insécurité dans lequel se trouve le migrant. Les femmes continuent de réaliser de petites activités (vente de nourriture, tortillas, toaster le café…) et de constituer une épargne d’urgence avec leurs moyens (remesas, Oportunidades et autres petits revenus). La migration vient apporter une aide, mais les familles tentent, en général, de minimiser leur dépendance.

Migrer a un coût financier important. C’est déjà un investissement de plusieurs milliers de pesos pour passer la frontière. (*) A San Agustín Loxicha, les premiers mois de migration sont très durs pour la famille car le migrant doit en général rembourser le prêt contracté (auprès d’un proche, famille, parfois microbanque…) avant de pouvoir envoyer de l’argent. La femme/mère doit pouvoir générer un minimum de revenus pour ne pas être dépendante du mari/fils parti aux Etats-Unis.

A Totolapa : une économie maintenue par l’argent des migrants

Au contraire à Totolapa, la bonne situation du migrant et l’importance des sommes envoyées dispensent les femmes de travailler. La dépendance des familles transnationales est totale pour la majorité d’entre elles. Lorsque la migration se développe autant au niveau d’un village, les impacts ne sont plus seulement individuels mais se répercutent sur l’ensemble de la communauté.

La migration a permis à ce village de sortir de la pauvreté. Famille après famille, les situations se sont améliorées au fur et à mesure que les fils et les pères partaient. La famille, mais également les nombreux commerces de la communauté, dépendent donc de l’envoi d’argent. Toute l’économie est maintenue par les remesas. Ce schéma correspond au cercle vicieux que peut entraîner la migration.

Un tel niveau de dépendance est atteint lorsque le marché local perd sa valeur et s’aligne sur le pouvoir d’achat des migrants. Les effets étant « inflation, rupture du système productif, abandon des activités économiques, dépopulation et donc plus de migration… » (Delgado-Wise R., Eduardo Guarnizo L., 2007) Il convient également de rajouter que ce cercle provoque en plus l’apparition de nouvelles inégalités entre les familles transnationales et les autres.

– Une inflation sur l’habitat et la main d’œuvre

L’arrivée d’argent, en plus de créer une dépendance des familles, a provoqué une inflation importante sur le prix du terrain, et sur la main d’œuvre. En 15 ans, les maisons sont passées de la terre au ciment.

La construction de la maison étant le premier objectif du migrant, la transformation de l’habitat a été le changement le plus significatif pour la communauté. Avec l’augmentation des ressources disponibles, chaque migrant a voulu construire sa maison pour sa famille. Auparavant la famille élargie partageait le même toit, voir la même pièce.

Cette transformation a amené un fort accroissement de la demande de terrains. Même si à Totolapa la terre est communale, une personne peut désormais être propriétaire de sa parcelle et donc décider de la vendre. Le nombre de personnes intéressées augmente, et la part des terrains disponibles diminue.

L’inflation est donc inévitable. Un terrain, pour construire sa maison, coute aujourd’hui entre 80 000 et 100 000 pesos (entre 4300€ et 5500€), alors qu’il y a une quinzaine d’années, la même parcelle aurait couté 5000 pesos (270€). Le prix du terrain a ainsi été multiplié par vingt. A San Agustín Loxicha, le prix d’un terrain est en moyenne de 30 000 pesos.

En parallèle à cette augmentation, le coût de la main d’œuvre nécessaire à la construction de la maison a également été augmenté. Il existe deux raisons à cela. La première est la désertion des jeunes de la communauté qui réduit fortement la main d’œuvre disponible à Totolapa. De la même manière que pour les terrains, l’accroissement de la demande a entraîné une inflation sur les salaires de ces travailleurs.

Ces jeunes maçons, partis pour la plupart un temps aux Etats-Unis, refusent de travailler pour le salaire mexicain. Face aux difficultés pour trouver des travailleurs, les salaires ont été augmentés. En 2 ans, la paie d’un aide-maçon est passée de 150 à 300 pesos (de 8 à 16 €). Pour le journalier agricole, son salaire a également doublé passant de 60 à 120 pesos, en 5 ans (de 3 à 6 €).

A San Agustín Loxicha, un aide-maçon peut être payé entre 70 et 100 pesos, mais pour un journalier agricole, ce salaire peut baisser jusqu’à 30 pesos pendant la récolte du café. De manière générale, le salaire à la journée est en moyenne de 50 pesos.

Les analyses d’autres expériences internationales révèlent des conclusions proches quant à l’habitat et la consommation. Par exemple, les migrants provenant de Grèce emploient principalement leurs économies à la construction de maisons. Cette augmentation a créée une inflation importante de ces biens qui désavantage fortement ceux qui n’ont pas migré.

C’est ainsi que la migration entraîne de nouvelles inégalités.(Gitmez, 1991; Papademetriou y Emke-Poulopoulos, 1991) Le cas des migrants turcs montre que les inégalités peuvent apparaître à un niveau régional. Lorsqu’ils reviennent au pays, ils ont tendance à s’installer dans les villes moyennes ou grandes et à abandonner leur village d’origine. L’arrivée de nouvelles richesses dans ces localités creuse les écarts de développement économique des différentes zones urbaines et rurales. (Lozano Ascencio, 2000)

– Apparition de nouvelles inégalités

Même si à Totolapa, la grande majorité des habitants a un membre de sa famille à l’étranger, certains ne peuvent compter sur cette aide. L’augmentation de tous ces coûts est généralement supportable pour les familles transnationales, mais elle l’est plus difficilement pour les autres. Lorsqu’une famille vie de l’agriculture, cultiver et récolter ont désormais un coût plus important.

En plus de la main d’œuvre, les fertilisants rendent cette activité chère. Il arrive donc que certaines familles décident d’abandonner une partie de ses parcelles car son travail n’est plus rentable.

Martin, fils d’un vieux paysan. Auparavant les terres de son père lui rapportaient assez pour être parmi ceux qui pouvaient employer des travailleurs. Il est père de 6 enfants. Un seul de ses fils est allé aux Etats-Unis mais il n’est pas revenu depuis 14 ans et ne lui envoie pas d’argent. Aujourd’hui ses terres ne sont plus aussi avantageuses qu’avant.

(*) Il est difficile d’avoir des chiffres exacts sur la proportion de migrants dans le village, mais beaucoup s’accordent à estimer ce chiffre à environ 10% de la population.

(*) Environ 2500 dollars US.

« C’est très difficile aujourd’hui, parce qu’avant il y avait beaucoup de personnes qui travaillaient, maintenant ils viennent de Huamuxtitlán parce qu’ici on paie 120 pesos et là-bas, 100 pesos. Comme mon papa n’a pas beaucoup d’argent, il vend un cochon pour pouvoir payer les journaliers agricoles lors des récoltes. Il ne peut plus gagner comme avant, parce qu’aujourd’hui ils coûtent très chers, et en plus il y a les fertilisants… c’est pour cela qu’il ne sème plus dans la montagne, mais seulement sur ses terres irriguées. »

Désormais les familles qui ne comptent pas sur l’aide d’un migrant sont dans une situation plus critique. Ce sont souvent des personnes âgées mais également des pères de familles qui après quelques allers-retours décident de revenir au travail de la terre ou à l’élevage.

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