Historique du système du brevet : Venise et l’Angleterre

Historique du système du brevet : Venise et l’Angleterre

Chapitre 1 – Historique

I – Venise

Le système du brevet apparaît dans pratiquement toute sa complexité pour la première fois à Venise au XVè siècle. A cette période en effet la ville connaît un développement commercial international important. D’un côté, sa situation dans un estuaire lui rend indispensables des moyens nouveaux pour contrôler le niveau des eaux telles que des digues et des écluses. D’un autre, Venise cherche à accroître ses exportations en jouant sur la nouveauté de ses produits.

Pour tout cela, la ville cherche à attirer les inventeurs. En 1470, elle leur accorde des privilèges (en latin «privatae leges») consistant en des faveurs juridiques. C’est dès lors le développement de la verrerie. Très vite, les gobelets en bois, en étain ou en argent sont partout délaissés au profit de ce matériau qui ne donne pas de goût aux boissons et qui est si esthétique. Mais c’est aussi l’ensemble de l’économie de la cité qui en bénéficie. La plupart des palais qui ornent Venise datent en effet du XVIè siècle.

Ainsi est mis en lumière qu’un revenu peut être engendré par une production de l’esprit : l’invention qui apporte un progrès technique ou à tout le moins un changement des habitudes. L’esprit humain, qui jusque-là était plutôt conçu comme d’origine divine et donc non appropriable, est à partir de cet instant perçu tel un arbre portant des fruits et devient donc assimilable à un bien immeuble. Pour organiser la création, est votée par suite en 1474 la «Parte Veneziana». Cet acte fondateur porte déjà quelques-unes des principales caractéristiques à la base du brevet d’aujourd’hui:

– Exigence de nouveauté:

«L’invention doit être nouvelle et ingénieuse, jamais réalisée antérieurement dans notre territoire.»

– Exigence d’inventivité:

Venise fait appel «aux hommes de différents endroits, possédant un esprit très acéré, capables de réfléchir et de découvrir toutes espèces d’ingénieuses inventions.»

– principe d’une publication de l’invention:

«Quiconque réalisera dans cette ville une invention ingénieuse […] devrait en informer la cité sitôt qu’elle sera applicable.»

– droit exclusif de l’inventeur:

Seul l’inventeur pourra utiliser l’invention «à moins qu’il n’y ait eu consentement préalable et licence de l’auteur», et cela pendant dix ans après quoi l’invention appartiendra à la collectivité.

Une création de l’esprit devient ainsi susceptible d’appropriation au moins temporairement. Venise crée en parallèle un bureau centralisateur pour gérer cette propriété de même qu’une juridiction répressive pour punir la contrefaçon.

II.- L’Angleterre

Au début du XIVè siècle, un système de privilèges existe déjà en Angleterre pour encourager le commerce international et les nouvelles techniques [The United Kigdom Patent Act, 1978]. Ce sont les lettres patentes (du latin «litterae patentes») du Moyen-Age, soit des «lettres ouvertes» parce que s’adressant à tous les sujets du Roi et portant le Grand Sceau du Roi comme preuve de l’autorité conférée à la lettre.

Ainsi en 1331, Edouard II octroya une protection spéciale à John Kempe originaire des Flandres afin qu’il développe en Angleterre l’industrie de la confection. Mais c’est seulement plusieurs siècles plus tard que naît l’idée d’octroyer un droit exclusif à l’inventeur. En 1565 par exemple, Jacobus Acontius obtient par lettre patente le monopole sur sa machine à moudre, le fondement de cette décision étant que celui qui a cherché et trouvé des choses utiles au public, a droit à récompense pour son travail et dédommagement pour le temps et les dépenses qu’il a engagés lors de ses recherches.

Peu après, le système des lettres patentes va toutefois se pervertir. La Couronne peut en effet octroyer ces lettres sans le contrôle du Parlement et elle ne se prive pas de les vendre afin de générer des revenus. Elisabeth Ière et James Ier, d’abord vivement critiqués pour de telles pratiques, ne tardent pas à être mis en échec par la justice.

C’est ainsi que le monopole accordé par James Ier pour «l’importation, la fabrication et la vente de cartes à jouer» est retiré par la Common Law Court au motif que le monopole limite les droits des personnes à exercer le métier de leur choix et favorise l’augmentation des prix. En 1624, afin de prévenir tout autre abus, le Parlement vote le Statut des monopoles («Statute of Monopoly») qui déclare nul et non avenu tout nouveau monopole à l’exception de ceux

  •  relatifs à une fabrication nouvelle,
  •  octroyés au véritable et premier inventeur, et
  •  pour une période de seulement quatorze ans.

Le Statut est signé par le roi Jacques Ier, mais ce sont les Attorney General et Sollicitor General qui deviennent responsables de la procédure de demande de brevets et de leur délivrance. Cette procédure ne cessera de se formaliser et de se complexifier au point qu’au XIXè siècle, Charles Dickens écrit dans A Poor Man’s Tale of a Patent:

«I say nothing of being tired of my life, while I am patenting my inventions. But I put it thus: Is it reasonnable to make a man feel as if, in inventing an ingenious improvement meant to do good, he has done something wrong? … I went trough thirty five stages. I began with the Queen upon the throne. I ended with the Deputy Chaff-wax.»

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
📌 La première page du mémoire (avec le fichier pdf) - Thème 📜:
La guerre des brevets : Quelles stratégies ?
Université 🏫: Université de Marne-la-Vallée
Auteur·trice·s 🎓:
Hélène ROLNIK

Hélène ROLNIK
Année de soutenance 📅: Mémoire de DESS en Ingénierie de l’Intelligence économique - Novembre 2002
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