Analyse du comportement des décideurs – Prise de décision

Analyse du comportement des décideurs – Prise de décision

Section 3

Analyse du comportement des « décideurs »

Nous étudierons ici le comportement des acteurs du tourisme, professionnels du tourisme et/ou décideurs politiques, en nous inspirant des méthodes de travail de chercheurs appartenant à une branche de l’économie qui analyse des conflits entre individus. Dans cette branche, les conflits sont des « jeux », les individus sont des « joueurs », la théorie est la « théorie des jeux ».

Nous en présenterons les principaux éléments afin de les appliquer au problème que pourrait poser la mise en place de la stratégie de développement touristique basée sur la spécialisation par zone exposée jusqu’ici. Enfin, nous proposerons divers outils qui seraient susceptibles de sortir de l’impasse à laquelle peuvent conduire certaines situations particulières (Serra, 1998).

1. Prise de décision

« On appelle jeu une situation dans laquelle plusieurs individus ont à prendre des décisions dont dépendent des résultats qui les concernent tous » (Attali, 1972).

Les jeux de bridge, d’échecs ou de poker, constituent des exemples de telle situation. Mais la définition est suffisamment générale pour couvrir des phénomènes, tels les conflits militaires, les conflits de partis politiques, ou la concurrence économique et même toute activité sociale où des hommes affrontent d’autres hommes. Le cas qui nous intéresse peut donc aussi être traité comme un jeu où les deux élus responsables du développement touristique de leurs zones doivent effectuer des choix économiques dont les résultats seront liés.

1.1. Eléments de la théorie des jeux

_ Le jeu : « Selon l’acceptation courante, un jeu est une situation où des individus (les joueurs) sont conduits à faire des choix parmi un certain nombre d’actions possibles, et dans un cadre défini à l’avance (les règles du jeu), le résultat de ces choix constituant une issue du jeu, à laquelle est associé un gain, positif ou négatif, pour chacun des participants. » (Guerrien, 1993).

_ Un joueur sera donc un individu cherchant à prendre des avantages dans un débat où la procédure est donnée. Ainsi, nos deux élus suivant leurs décisions, les règles du jeu et l’environnement extérieur, seront vainqueurs (ou vaincus) l’un ou l’autre (ou l’un et l’autre).

On retrouve ici les fondements de la théorie de la décision selon laquelle un individu doit choisir une décision (appelée aussi tactique) en fonction de l’étendue de ses conséquences. Or, ici, chaque conséquence va dépendre non seulement de sa propre décision mais aussi de celle de son « adversaire ».

Deux situations peuvent alors caractériser le jeu, la coopération ou la lutte. Cependant, les individus confrontés dans un même jeu peuvent avoir sur certains points des intérêts complémentaires, et s’opposer sur d’autres.

_ Les choix rationnels visent l’obtention d’un gain maximal, ils dépendent de façon décisive du cadre dans lequel ils s’exercent (règles du jeu) et de l’information dont disposent les joueurs. « Choisir une tactique revient ainsi, pour un joueur, à prendre globalement, avant de se mettre à jouer, toutes les décisions élémentaires qu’il peut être amené à prendre au cours du jeu » (Bouzitat, 1965).

_ On parle d’information complète si chacun des participants connaît :

– Son ensemble de choix.

– L’ensemble de choix des autres joueurs.

– Toute la gamme des issues possibles, et les gains qui leur sont associés.

– Les motifs des autres joueurs (en plus des siens propres).

Il est généralement supposé que les joueurs ont un comportement rationnel et cherchent donc à maximiser leurs gains. Le fait que chacun connaisse les motifs et domaines de choix des autres signifie que tout joueur peut « se mettre dans la peau des autres » avant de prendre sa décision.

Dans la mesure où tout le monde procède de même, il y a enchaînement sans fin : je sais que les autres peuvent se mettre à ma place, qu’ils savent que je le sais, que je sais qu’ils savent que je le sais, et ainsi de suite.

Ce jeu de miroirs ne fait que traduire la conscience qu’a chaque individu de la rationalité des autres, tout au moins lorsqu’il y a information complète. On dit quand cette hypothèse est vérifiée, qu’il y a connaissance commune de la structure du jeu, de la part de tous ceux qui y participent. (Guerrien 1993). Le jeu auquel participent nos décideurs sera un jeu à information complète.

_ Information parfaite : Lorsqu’il y a information complète, chaque joueur connaît toutes les données du problème (possibilités de choix, issues, gains, motifs), pour lui et pour les autres.

Toutefois, pour qu’un jeu soit totalement défini, il faut que ses règles précisent l’ordre des coups ; trois types de situations peuvent alors être envisagés : soit les joueurs font leurs choix de façon séquentielle, dans un ordre précis fixé à l’avance ; soit ils prennent leurs décisions simultanément ; soit ils sont face à des situations « mixtes », avec des coups successifs et des coups simultanés.

Evidemment, les choix des joueurs, et la solution du jeu (si elle existe), vont généralement varier en fonction du type de situation étudié.

Pour le cas qui nous intéresse, nous admettrons que les décisions sont prises simultanément puisque le développement de la région implique le développement de chacune de ses zones de manière instantanée. Les décisions seront alors prises dans le cadre d’un jeu à information imparfaite du fait de l’incertitude inhérente aux choix simultanés.

1.2. Premier jeu

Les joueurs de notre jeu seront comme nous l’avons vu plus haut les décideurs. Les décisions qu’ils auront à prendre seront, comme dans l’exemple explicatif du modèle des flux-comparatifs exposé en section 2 de ce chapitre, relatives à l’implantation d’établissements d’hébergements touristiques sur leur propre zone ; ceux qui occupent une zone « Luxe » selon les critères que l’on a vus précédemment, seront notés les décideurs « DL » par opposition aux décideurs de zones « Vertes » que nous appellerons décideurs « DV ».

1.2.1. Les règles du jeu.

Pour faciliter la compréhension du jeu, nous poserons les règles suivantes :

  •  Seuls deux décideurs seront opposés à chaque jeu.
  •  Les joueurs opposés occupent des zones voisines, formant donc une Macro-zone.
  •  Chaque joueur dispose de subventions lui permettant de construire trois établissements de son choix. Il choisira toujours d’utiliser toutes les subventions qui sont à sa disposition ; le jeu consistera donc pour lui en la détermination de la combinaison des différents types d’établissements (hôtel : H, ou camping : C) qui lui procurera la meilleure utilité (en termes de flux-monétaire déjà définis par ailleurs) à la sortie du jeu.

Ils devront donc maximiser ce flux-monétaire.

Les « contraintes » : il s’agit en fait d’éléments faisant partie de l’environnement du joueur et qui vont intervenir dans le calcul de son gain. Le joueur n’a aucun contrôle sur ces éléments, mais il les connaît, il sait que le joueur qui lui est opposé les connaît et qu’il sait que lui aussi les connaît, ceci à l’infini. Ces contraintes ont été remarquées précédemment, il s’agit par exemple des faits suivants :

  •  Un hôtel engendre un flux-monétaire supérieur à celui engendré par un camping quelle que soit la nature de la zone sur laquelle on l’implante (Luxe ou Verte).
  •  Un établissement quel qu’il soit (Hôtel ou Camping) engendrera un flux-monétaire plus important dans une zone Luxe que dans une zone Verte.
  •  Cependant l’écart sera moindre en ce qui concerne les campings (comparé à l’écart existant entre flux-monétaires d’un hôtel selon sa position en zone Luxe ou Verte).
  •  Enfin, il faudra tenir compte de la demande ; la demande en campings reste environ deux fois plus importante que la demande en hôtels (comme dans l’exemple utilisé en section 2).
  •  Les décisions sont prises de façon simultanée.

Nous opposerons pour cette première confrontation deux décideurs occupant tous deux un même type de zone, par exemple deux zones Luxe constituant la macro-zone (L1-L2). Pour rester dans la logique de détermination d’une zone exposée par ailleurs, on pourra imaginer qu’il s’agit en fait d’une même zone (mêmes critères) mais étalée sur deux communes et donc gérée par deux décideurs distincts (on considère dans notre modèle que les décisions sont prises par le Maire). Le premier joueur sera donc noté DL1 et le second DL2.

La demande globale pour la macro-zone est de deux hôtels et quatre campings, soit un hôtel et deux campings par zone. La demande est effectivement la même pour les deux sites puisqu’ils sont identiques ; cette particularité va impliquer la propriété suivante :

  •  Il n’y aura de « report » de la demande d’un site sur l’autre que si le premier ne peut y répondre correctement. En effet, les sites L1 et L2 étant identiques, il n’y a aucune raison pour que la clientèle du premier soit détournée sur le second ; Ainsi, si L1 dispose d’un hôtel et L2 de deux, seul l’un de ces deux derniers sera utilisé puisque la demande globale est de 2H et que la moitié sera « utilisée » par L1.

Par contre si L1 choisit de ne pas implanter d’hôtel, la demande qu’il ne peut satisfaire sera intégralement reportée sur L2 puisque ce site apporte aux visiteurs exactement la même satisfaction que le premier de par la similarité de leurs caractéristiques.

Les différentes stratégies.

Chaque joueur aura à choisir entre les quatre stratégies qui s’offrent à lui :

  •  Stratégie A : implanter 1 Hôtel + 2 Campings
  •  Stratégie B : implanter 2 Hôtels + 1 Camping
  •  Stratégie C : implanter 3 Campings
  •  Stratégie D : implanter 3 Hôtels

Rappel : flux-monétaire engendré par un hôtel = 500 U.M.

flux-monétaire engendré par un camping= 200 U.M.

(conformément au tableau 32-1 utilisé pour illustrer les développements de la section précédente).

Calcul des gains en fonction des stratégies choisies :

  •  A/A :(respectivement DL1 joue A et DL2 joue A) les deux joueurs ont un gain de 1*500+2*200=900 U.M. (noté 9 dans le tableau de la forme stratégique à venir). La demande par zone est respectée (et donc celle de la macro-zone).
  •  B/A :(DL1 joue B et DL2 joue A) DL1 ne remplira qu’un de ses deux hôtels et son camping (d’après la demande) soit 500+200=700 (gain : 7) tandis que DL2 remplira son hôtel, ses deux campings et bénéficiera du report d’au moins une partie de la demande en camping non satisfaite par DL1 (on l’estimera équivalente à un flux-monétaire de 100 U.M.) soit : 500+2*200+100=1000 (ce gain sera noté 10 dans le tableau de la forme stratégique).
  •  C/A :DL1 remplira deux de ses trois campings (gain noté 4), DL2 obtient 500+2*200+100=1000 (noté 10), cette fois c’est le report de la demande en hôtel non satisfaite en L1 qui permet à DL2 d’obtenir 100 U.M. supplémentaires.
  •  D/A :DL1 obtient 500 grâce à l’un de ses trois hôtels (soit un gain noté 5). DL2 gagne 500+2*200+100 (noté 10).
  •  On comprend que les gains seront les mêmes si les joueurs inversent symétriquement leurs stratégies. Il est donc inutile de détailler A/B, A/C et A/D, respectivement équivalentes à B/A, C/A et D/A.
  •  B/B :les deux joueurs remplissent un de leurs hôtels, (ne bénéficient d’aucun report issu d’hôtels en trop grand nombre sur chaque zone), leur camping et obtiennent chacun 100 U.M. liées au manque de campings sur la macro-zone. Soit pour chacun un gain égal à 500+200+100=800 (noté 8 dans le tableau).
  •  C/B :DL1 gagne 2*200+100 (noté 5) correspondant à ces deux campings et au report de la demande du camping manquant en L2; DL2 gagne 2*500+200 (noté 12). {Idem pour B/C}
  •  D/B :Gain pour DL1 : 1*500 (noté 5), il ne remplit qu’un hôtel ; pour DL2 : 1*500+200+100 (noté 8) correspondant à un seul de ses hôtels, son camping et un report de 100 U.M. lié au manque de camping sur L1. {Idem pour B/D}
  •  C/C :2*200 pour DL1 et DL2 (noté 4), puisqu’ils remplissent chacun deux de leurs campings (la demande sur la macro-zone est de quatre campings en tout).
  •  D/C :DL1 remplit ses deux hôtels 500*2=1000 (noté 10) et DL2 deux de ses campings plus un report des campings manquants en L1 soit 2*200+100=500 (noté 5). {Idem pour C/D}
  •  D/D :Chaque joueur obtient de par l’occupation de l’un de ses trois hôtels un gain égal à 500 Unités Monétaires (noté 5).

En théorie des jeux, on dit qu’il s’agit là d’un jeu non coopératif ; il n’y a pas d’accord préalable entre les joueurs.

Comme nous le précision plus haut, nous sommes donc dans le cadre d’un jeu à information complète mais imparfaite. La représentation généralement utilisée en théorie des jeux pour analyser le déroulement du jeu, la méthode de raisonnement des participants, est appelée forme stratégique ou normale (par opposition à la représentation par un arbre de Kuhn, utilisée pour les jeux à information complète et parfaite).

La forme stratégique fait appel à un (ou des) tableau de chiffres donnant les gains des joueurs associés à chacune des issues possibles du jeu ; les lignes et les colonnes correspondent aux diverses stratégies.

Notre jeu prend la forme stratégique suivante :

DL2 / DL1ABCD
A99710410510
B1078851258
C10412544105
D1058551055

1.2.2. Concept de solution

La prise de décision est fondée sur le principe de rationalité du décideur, rationalité qui le pousse à maximiser son profit en tenant compte de toutes les issues possibles du jeu et donc aussi de la rationalité de son adversaire qui poursuit le même but.

La première démarche du décideur sera alors d’éliminer les stratégies dominées, c’est à dire celles qui dans tous les cas (quelle que soit la stratégie choisie par l’autre), lui apporteront un gain inférieur à ceux engendrés par au moins une autre stratégie. Dans un deuxième temps, le joueur éliminera également de lui même les stratégies dominées de son adversaire qu’il sait rationnel (il sait que son adversaire suit le même raisonnement que lui et donc qu’il ne jouera en aucun cas une stratégie dominée).

Un bon exemple donné par Guerrien (1993) illustre cette méthode de détermination d’une solution :

Considérons le jeu simple écrit sous forme stratégique :

(gain A, gain B)B : s1B : s2B : s3
A : t1(8,8)(4,7)(10,6)
A : t2(9,2)(5,5)(6,3)

Ici, B n’a jamais intérêt à choisir s3, puisque s2 lui donne toujours un gain supérieur, quel que soit le choix de A (7>6 et 5>3) : on dit que s2 domine s3. Sachant cela, A se détermine en excluant la possibilité que B retienne s3. Mais alors, sa stratégie t2 domine t1 (puisque 9>8 et 5>4) ; s’il est rationnel (et il l’est), A ne peut que retenir t2.

Ayant anticipé tout cela, B choisit donc s2 plutôt que s1 (5>2). Ainsi, la solution qui se dégage après élimination par itérations successives des stratégies dominées est : A choisit t2 et B choisit s2, tous deux ayant alors un gain de 5.

On remarque que cette issue, fruit d’un calcul parfaitement rationnel de la part des deux joueurs, est sous-optimale, les issues associées aux choix (t1,s1) et (t1,s3) procurant un gain strictement supérieur à A comme à B.

La solution par élimination des stratégies dominées, demande de la part de chaque joueur d’effectuer une succession de calculs en se mettant « dans la peau de l’autre », et donc en anticipant (correctement) son comportement, ce qui n’est possible que s’il y a connaissance commune de toutes les caractéristiques du jeu. Evidemment, plus le nombre de stratégies, et de joueurs est grand, plus ces calculs peuvent devenir complexes.

Selon le même principe, nos décideurs vont raisonner comme suit :

DL1 constate que s’il choisit la stratégie A, il aura un gain de :

  •  09 si DL2 joue A.
  •  10 si DL2 joue B.
  •  10 si DL2 joue C.
  •  10 si DL2 joue D.

On dira que la matrice des gains associée à la stratégie A est pour le joueur 1 : (9,10,10,10). De la même façon, DL1 constate que les matrices de gains associées aux stratégies B, C et D sont pour lui respectivement : (7,8,12,8), (4,5,4,5) et (5,5,10,5).

Le décideur DL1 va alors remarquer que la matrice des gains associée à la stratégie A est en tout point supérieure à celle associée à la stratégie C ; (9,10,10,10)(4,5,4,5).

Cela signifie que s’il joue A, son gain sera plus important que s’il joue C et cela quelle que soit la stratégie adoptée par son vis à vis DL2. La stratégie C est donc dominée au sens de Pareto (ou Pareto dominée) par la stratégie A. Le même raisonnement l’amènera à éliminer la stratégie D qui, même si elle n’est pas strictement dominée par A, ne lui rapportera dans le meilleur des cas (si DL2 joue C) qu’un gain équivalent à celui qu’apporterait A : (9,10,10,10)(5,5,10,5). Il restera au joueur les stratégies A et B que l’on qualifiera d’efficaces car non-Pareto-dominées.

Le joueur DL2 va procéder au même raisonnement qui l’amènera aux mêmes conclusions puisque les matrices de gains sont les mêmes pour les deux joueurs (occupant le même type de site).

DL1 sait que DL2 va tenir ce raisonnement ; il ne tiendra donc pas compte des gains que peuvent lui apporter ses stratégies A et B dans le cas où DL2 jouerait C ou D puisqu’il n’y a rationnellement aucune chance pour que cela arrive.

Le jeu va alors devenir un jeu « tronqué » ne comprenant plus pour chaque joueur que les stratégies Pareto efficaces A et B.

DL2 / DL1AB
A(9)[9]7[10]
B(10)788

Poursuivant leur logique d’éliminations successives des stratégies dominées, dans ce nouveau jeu, chaque joueur constatera que sa stratégie B est Pareto dominée par la stratégie A puisque : (9,10)(7,8). Alors, les deux joueurs joueront A. On dit que l’issue A/A constitue un équilibre Pareto efficace car la solution obtenue rationnellement est la plus efficiente.

On note en effet que dans un jeu opposant deux décideurs de zone Luxe, l’équilibre obtenue « naturellement » grâce à leur rationalité correspond à l’issue permettant le meilleur flux-monétaire global. Dans l’exemple : 9 + 9 = 18 soit un flux-monétaire global de 1800 Unités Monétaires pour la macro-zone L1-L2. Dans un tel cas, la forme de coopération entre les décideurs qui veut qu’ils se partagent équitablement les établissements à implanter est rationnellement induite.

La stratégie de spécialisation n’a pas d’effets visibles sur deux zones similaires et ne pose donc aucun problème de décision aux décideurs. Il n’en sera pas toujours ainsi.

1.3. Second jeu.

1.3.1. Nouvelle donne

Le problème devient quelque peu plus complexe lorsque l’on oppose deux décideurs gérant l’un une zone Luxe, notons le DL, et l’autre une zone Verte, nous le noterons DV.

Nous avons vu en effet que les différents types d’hébergement n’impliquaient pas les mêmes flux-monétaires dans une zone Luxe que dans une zone verte.

De plus, les reports ne seront pas aussi simples à établir que dans le cas précédent puisque, par exemple, la demande en camping dans le site vert (V) est liée à la fois au site et au type d’hébergement, comme nous le soulignions auparavant ; si le site en question ne parvient pas à contenter cette demande, la clientèle qui aura choisi l’endroit pour camper se reportera sans doute dans un camping du site voisin L ; mais la clientèle qui avait choisi l’endroit parce qu’il est « Vert » se reportera probablement plus loin mais toujours sur une autre zone Verte.

Un problème fondamental se pose également quand la défense par chacun de son intérêt personnel a des conséquences néfastes pour tous. Le dilemme du prisonnier est une représentation classique en théorie des jeux d’une telle situation.

Dans le dilemme du prisonnier, deux joueurs sont en présence, chacun a deux options : soit coopérer, soit faire cavalier seul. Chacun doit choisir sans connaître la décision de l’autre.

Quoi que fasse l’autre, il est plus payant de faire cavalier seul que de coopérer. Le dilemme du prisonnier consiste en ceci que, si les deux joueurs font cavalier seul, ils « s’en tirent » moins bien que s’ils avaient coopéré.

Contrairement à théorie de la main invisible d’Adam Smith, selon laquelle la somme des intérêts individuels conduit à l’intérêt général, ici la rationalité individuelle (visant toujours à maximiser le profit individuel) mène au pire résultat possible pour les deux joueurs ; d’où le dilemme. Jean Gabszewicz (1994) donne un exemple concret de ce phénomène en mettant en scène deux vendeurs se disputant un marché.

Dans le cas qui nous intéresse, on pourrait présenter les choses de la façon suivante : nous l’avons vu, la zone Luxe détient un avantage absolu sur la zone Verte qu’il s’agisse d’hôtels ou de campings mais la zone Verte dispose d’un avantage comparatif dans l’exploitation de campings.

Dans un tel cas, c’est une spécialisation par zone qui apporterait un gain maximal aux deux joueurs. Cependant si un seul d’entre eux optait pour la spécialisation (i.e. coopérait en n’implantant par exemple que des campings), l’autre choisissant de ne pas coopérer (en se diversifiant), récupérerait la demande en hôtel non pourvue par son vis à vis sans lui retourner en échange la demande en camping qu’il n’aurait pas du satisfaire (s’il avait coopéré). Chacun tentera donc de gagner plus en dupant l’adversaire. (Une présentation de Guerrien est donnée en annexe 5).

Rappel du tableau des flux-monétaires :

Flux-Monétaireszone Luxezone Verte
Hôtel500200
Camping200150

_Si les deux décideurs coopèrent et se spécialisent, DL implantant deux hôtels obtiendra un gain de 2*500=1000 (noté 10) et DV avec quatre campings obtiendra 4*150=600 (noté 6). La demande de la macro-zone V-L est respectée.

_S’ils ne coopèrent pas (tous deux implantent un hôtel et deux campings), DL obtient un gain égal à 500+2*200=900 (noté 9) et DV obtient 200+2*150=500 (noté 5).

_Si seul DL coopère (2H+0C), DV construisant un hôtel et deux campings gagnera outre les flux-monétaires associés à sa clientèle naturelle (issue de la demande sur sa zone) 200+2*150, le report des deux campings manquants en L : 2*100 soit un gain total de 700 Unités Monétaires (noté 7). Tandis que DL ne remplira qu’un seul de ses hôtels puisqu’il ne bénéficie pas du report de V (puisque celui-ci contente sa demande en hôtel) soit un gain égal à 500 Unités Monétaires (noté 5).

_Enfin si c’est DV qui coopère et lui seul (en implantant uniquement quatre campings), DL (2H+1C) gagnera 2*500+200=1200 U.M. (noté 12), son deuxième hôtel sera rempli par la clientèle non contentée en V ; alors que DV ne remplissant que trois de ses campings n’obtiendra que 3*150=450 U.M. (noté 4,5).

Représentation de forme stratégique de ces résultats :

DV / DLCoopèreNe coopère pas
Coopère106(12)4,5
Ne coopère pas5[7](9)[5]

1.3.2. « Résolution »

Pour le joueur DL, La matrice des gains associée à la stratégie « Coopérer » est Pareto dominée par celle associée à la stratégie « ne pas coopérer » (12,9) (10,5). Il en est de même pour DV puisque (7,5) (6 , 4,5).

C’est pourquoi, rationnellement, tous deux choisiront de ne pas coopérer; on dira qu’à cette combinaison de stratégie est associé le vecteur de gain (5,9) correspondant aux gains respectifs de DV et DL.

Pourtant, la solution issue de ce choix n’est pas la plus efficiente au sens de Pareto ; on remarque effectivement que si les deux joueurs avaient coopéré, ils auraient obtenu (10) et (6) (respectivement pour DL et DV) au lieu de (9) et (5).

Dans le dilemme du prisonnier, la solution la plus efficiente n’est jamais atteinte : (10 ; 6) (9 ; 5).

On parle néanmoins d’une solution d’équilibre dans le sens défini par le mathématicien John Nash en 1950. La notion d’équilibre désigne alors une situation où chacun maximise ses gains compte tenu du choix des autres. Un équilibre de Nash est une combinaison de stratégies – une par joueur – telle que personne n’aurait pu augmenter strictement son gain en retenant une stratégie différente de celle que lui attribue cette combinaison, compte tenu des stratégies des autres joueurs qui y figurent.

Ce que Guerrien résume de façon un peu vague (selon ses termes) en disant qu’un équilibre de Nash est une situation de « non-regret » : il y a équilibre de Nash si chaque joueur ne regrette pas le choix qu’il a effectué après avoir constaté celui des autres. Cette dernière définition présente l’avantage de n’entretenir aucun doute sur le caractère unique, irréversible et simultané des choix des joueurs. Ainsi, c’est après que chacun ait annoncé son choix que l’on peut dire s’il y a équilibre ou pas.

Dans notre second jeu, le couple de stratégies (DV ne coopère pas ; DL ne coopère pas) auquel correspond le vecteur de gain (5,9), est un équilibre de Nash puisque DV n’aurait pas gagné à coopérer (si DL s’en tient à ne pas le faire) et il en est de même pour DL. Quand l’élimination des stratégies dominées désigne une solution unique, celle-ci est forcément un équilibre de Nash.

On comprend alors dans un tel cas la difficulté que pourra représenter la mise en oeuvre de la stratégie de développement touristique basée sur la spécialisation par zone du fait qu’elle n’est réellement efficace que si elle est adoptée sur tout le territoire et donc par tous les décideurs. Quelques auteurs travaillant sur la théorie des jeux ont tenté d’apporter des solutions (de vraies solutions cette fois) au dilemme du prisonnier c’est à dire des moyen de sortir de l’impasse d’une solution ou d’un équilibre inefficient.

Il nous faut donc à présent tenté de trouver à notre tour et avec l’aide de leurs travaux « le meilleur moyen » pouvant être adapté à notre problème et permettant de sortir du dilemme.

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Tourisme et Développement Régional
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