Rencontre avec les enfants de CHAM

7. Rencontre avec les enfants

a. Un questionnaire adapté

Il ne s’agissait pas au cours de cette rencontre d’aller puiser chez les enfants toutes les réponses aux questions soulevées jusqu’ici. On ne peut pas aller interroger un enfant de sept ou huit ans et lui demander s’il se sent compétent ni si l’enseignement de la musique lui a été profitable dans son travail scolaire.

Le questionnaire se devait donc d’être simple direct et fortement contextualisé, la proximité de l’examen était à ce titre tout à fait opportune. Elle offre la possibilité d’utiliser cet événement, qui est à la fois une épreuve et l’occasion d’une évaluation, comme l’axe de nos questions, pour interroger les enfants sur leur compréhension de l’évènement, ainsi que leur aisance face à celui-ci.

Enfin, le questionnaire est conçu pour obtenir essentiellement des réponses univoques et sans complexité : des réponses par « oui » ou « par non » : c’est évidemment se priver d’informations plus en profondeur et de données qualitatives plus riches ; mais dans le contexte choisi de l’examen, étant donné la pudeur d’un enfant face à un adulte et un rapport au langage encore élémentaire, il serait sans doute vain de vouloir entraîner des enfants de cet âge dans un dialogue plus complet.

b. Le questionnaire

  1. 1. Est-ce que ça va ?
  2. 2. Est-ce que tu te sens prêt(e) ?
  3. 3. Tu as déjà passé un examen musical ?
  4. 4. Tu connais les examinateurs ?
  5. 5. Tu sais ce qu’ils vont te demander ?
  6. 6. Tu penses que tu vas y arriver ?
  7. 7. Qu’est-ce qui sera difficile pour toi ?
  8. 8. Vois-tu des différences entre un examen scolaire et un examen musical ?
  9. 9. Est-ce que tu fais de la musique à la maison ?

On peut les répartir comme suit :

-celles qui portent sur la connaissance, leur conscience de ce que l’ont attend d’eux :

5. 8. 4. 8. 9.

– celles   qui portent sur leur aisance, leur confiance :

2. 6.

– celles qui portent simultanément sur ces deux notions :

3. 7.

c. Le contexte des entretiens

Dans la classe, le professeur me présente aux 26 élèves de sa classe, et me les présente. Je demande à haute voix « est-ce que tout le monde va passer l’examen cet après-midi ? ». Les enfants lancent un oui, unanime, sonore et enthousiaste pour le moins surprenant : exactement comme si l’épreuve de solfège qui les attend était un moment heureux.

La dictée musicale est pourtant un exercice délicat qui exige à la fois une concentration extrême, une oreille particulièrement aigue et attentive, une connaissance de la notation qui permette la rapidité d’une retranscription aussi mécanique que l’écriture alphabétique : l’emblème de l’enseignement du solfège.

L’enseignant ma aménagé un coin dans sa classe afin que s’y déroulent les entretiens, mais le bruit ambiant rend impossible l’enregistrement sonore des entretiens et je refuse cette option. Finalement, lui et moi tombons d’accord pour que les entretiens se déroulent dans le couloir, devant la porte de la salle où se déroulent les passages individuels de l’examen.

Il faut enfin préciser que sur les 26 élèves interrogés, quatre d’entre le seront, non avant leur passage, mais après.

d. Une confiance avertie

La première question « est-ce que ça va ? » est une question rituelle, une « ouverture » conviviale. Avec des adultes, on en pourrait probablement pas escompter d’autre réponse qu’un « oui » mécanique et sans valeur ; mais si l’on tient compte de la propension des enfants à répondre de façon littérale, on accordera un minimum de crédit à leur réponse : en l’occurrence un oui quasi unanime (25 sur 26) qui confirme la première impression donnée par leur apparent enthousiasme collectif à passer cet examen.

Ainsi, à la question « Est-ce que tu te sens prêt(e) ? », seize élèves sur 22 (je ne pose pas cette question aux quatre élèves qui ont déjà passé l’examen) répondent positivement, quatre ne répondent pas et seulement deux ne se sentent pas tout à fait prêts (une élève répond « pas trop » et une autre a « un peu le trac ».

Cette confiance est confirmée plus directement par leur réponse à la question « Tu penses que tu vas y arriver ? » ; ils sont 17 (toujours sur 22) à répondre positivement. On remarquera que parmi les quatre élèves qui ont déjà passé l’examen, l’une d’entre eux n’est pas satisfaite de sa performance : mais elle ne déclare pas avoir raté son passage, elle escomptait seulement « mieux réussir » ce qui traduit encore une grande confiance.

Cette confiance est d’autant plus remarquable que la plupart des élèves identifie clairement (ou plus exactement les difficultés « pour eux »).

Huit élèves ne prévoient pas de difficulté, huit voient leurs difficultés dans la dictée de notes, huit dans la dictée rythmique, huit dans la lecture chantée, et trois la voient dans deux exercices. Cette capacité de reconnaître leurs « poins faibles » est en soit une information, elle nous renvoie directement à la notion de compétence, cette « capacité que possède un individu de gérer son potentiel en situation. » : ces enfants gèrent suffisamment leur potentiel individuel face à cette épreuve pour envisager les éventuelles limites.

On peut ainsi construire le tableau de compétences de ces enfants dans la perspective de cet examen :

Réponse des enfantsConceptualisation de la réponseConceptualisation en terme de compétences
Connaissance des différents exercices de l’examenJe comprends les tâches à accomplirJe conçois une situation
J’identifie les exercices qui peuvent me poser des difficultésJ’évalue mes capacités face à ces tâches Je mesure mes compétences
Je suis prêt. Je pense réussirJ’envisage une réponse positive Je me sens compétent

Gérard VergnaudCette compréhension de l’examen est en partie explicable par leur expérience passée (ils déclarent tous avoir déjà passé un examen musical), en revanche seulement sept d’entre les 22 élèves n’ayant pas encore passé l’examen déclarent connaître leurs examinateurs ; cette dernière réponse montre une aisance, une confiance en soi suffisante pour ne pas être inquiet à l’idée d’être évalué par un inconnu (encore une fois, cette confiance est étonnante pour des enfants de cet âge); par ailleurs elle nous montre que les enfants tirent suffisamment de compréhension et d’aisance de leurs expériences préalables pour envisager d’en appliquer les enseignements dans une situation renouvelée : en terme de construction de compétence, ils sont déjà engagés dans un processus de fabrication de schème, cette « forme d’organisation invariante de l’activité » qui « permet d’engendrer une activité et une conduite variables selon les caractéristiques propres à chaque situation »[i].

e. L’examen musical : des différences peu identifiées mais profondes

La question «  Vois-tu des différences entre un examen scolaire et un examen musical ? », était un risque, elle est en effet un peu trop générale et si huit élèves reconnaissent en effet des différences, seuls quatre d’entre eux étayent cette impression en jugeant l’examen musical « plus difficile » et seulement trois autres identifient des différences.

Toutefois les éléments de réponse que ceux-ci apportent sont assez intéressants : en effet, les trois élèves qui identifient des différences fondent celles-ci sur les enjeux de l’examen : la réussite de l’année et au-delà, la possibilité ou non de poursuivre leur scolarisation en CHAM. On voit là que ces trois enfants au moins au parfaitement intégrée l’exigence sélective que les CHAM ont hérité des pratiques du conservatoire.

Un autre exemple, plus métaphorique, de cette intégration est celui apporté par la réponse d’un enfant qui juge l’examen plus difficile et justifie ce jugement par le fait que l’examen musical est « oral » et « debout ». Au-delà de l’apparente naïveté de cette réponse, de son aspect « premier degré », une image surgit : celle de l’enfant examiné, seul, debout, s’adressant à ses juges.

[i] Renan Samurcay; Gérard Vergnaud , Que peut apporter l’analyse de l’activité à la formation des enseignants et des formateurs ? Carrefours de l’éducation, 2000.

C’est une double image, celle de l’audition musicale ou celle du procès qu’on imaginerait assez angoissante pour des enfants de sept ou huit ans, et par laquelle on voit que cet enfant perçoit instinctivement que pour une part au moins l’éducation musicale fonctionnerait comme une accusation : l’élève y serait suspect de ne pas être à la hauteur de ses obligations vis-à-vis de l’art qu’il prétend pratiquer.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Charles de Gaulle – Lille III - UFR Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Djanet Aouadi

Djanet Aouadi
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master 2 Recherche - 2008/2024
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