La pratique musicale à l’école

IV. La pratique de l’exigence

1. Les objectifs scolaires objectivés

Plutôt que de s’enliser dans des considérations abstraites et des jugements de valeurs plus ou mois subjectifs, une façon pragmatique d’aborder la notion de réussite ou d’échec à l’école, serait de considérer qu’être « meilleur » à l’école serait de répondre au mieux aux objectifs de l’école : le meilleur élève est celui qui répond le mieux à ces objectifs. C’est donc une façon de reporter la question de l’élève sur l’école elle-même en demandant quels sont ces objectifs.

La mission assignée à l’école par la société est immense, et même si les mots de Condorcet[i] sonnent un peu positivistes à nos oreilles, il y a fort à parier qu’on demande encore à l’école de « Cultiver enfin dans chaque génération les facultés physiques, intellectuelles et morales, et par là contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l’espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée. »

Les objectifs de l’école sont vastes et complexes, ils sont également au cœur des débats qui animent la société et motivent l’évolution de l’institution scolaire : ce sont les objectifs que la société assigne à l’école qui vont modeler les concepts d’enseignement et les programmes. A l’inverse, c’est en assignant des objectifs à l’école que la société peut agir sur l’école en la dirigeant dans telle ou telle direction.

Dans un contexte de lutte contre l’échec scolaire et de ce qui est vécu comme une « crise scolaire » ou, peut-être comme l’introduction d’une crise sociale au sein du monde scolaire, le ministère de l’éducation a souhaité en 2005 repréciser les objectifs de l’enseignement primaire en établissant le socle commun de connaissances et de compétences.

2. Le socle commun de connaissances et de compétences

Source : Ministère de l’éducation.

Le socle commun de connaissances et de compétences fixe les repères culturels et civiques qui constituent le contenu de l’enseignement obligatoire. Il définit les sept compétences que les élèves doivent maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire. Le socle est la disposition majeure de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École du 23 avril 2005.

La référence pour la rédaction des programmes

Le socle commun est un acte refondateur qui engage l’institution scolaire dans son ensemble. Pour la première fois depuis les lois scolaires de Jules Ferry, en 1882, la République indique le contenu impératif de la scolarité obligatoire.

Le socle commun constitue la référence pour la rédaction des programmes d’enseignement de l’école et du collège. Ce texte présente l’ensemble des valeurs, des savoirs, des langages et des pratiques dont la maîtrise permet à chacun d’accomplir avec succès sa scolarité, poursuivre sa formation, construire son avenir personnel et professionnel, ainsi que contribuer à réussir sa vie en société.

Les sept compétences du socle commun

Le socle commun ne se substitue pas aux programmes de l’école primaire et du collège. Il en fonde les objectifs pour définir ce que nul n’est censé ignorer en fin de scolarité obligatoire.

Il s’organise en sept compétences

la maîtrise de la langue française ; la pratique d’une langue vivante étrangère ; les principaux éléments de mathématiques et la culture scientifique et technologique ; la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication ; la culture humaniste ; les compétences sociales et civiques ; l’autonomie et l’esprit d’initiative.

Chacune de ces grandes compétences est conçue comme une combinaison de connaissances fondamentales, de capacités à les mettre en oeuvre dans des situations variées et aussi d’attitudes indispensables tout au long de la vie.

On voit cependant que bien que regroupés  par le terme unique de « compétence », celles-ci se divisent en plusieurs groupes distincts : les savoirs (langues, mathématique et sciences), la culture générale (maîtrise des techniques de communication, la « culture humaniste », et enfin des qualités individuelles (les compétences sociales et civiques ; l’autonomie et l’esprit d’initiative).

Ainsi, si être « meilleur » à l’école est la réponse aux objectifs assignés à l’enseignement, le « meilleur » élève serait, selon la notion de socle commun, celui qui acquiert au mieux ces compétences bien distinctes qui conjuguent savoirs, culture et comportement social.

3. La compétence et l’apparition de l’acteur

La notion de compétence recouvre bien des états du savoir, de la maîtrise et de la mise en œuvre de ces savoirs. Wittorski[ii] dénombre par exemple plus d’une dizaine de concepts particuliers articulés autour de ce même mot. Une multiplicité et même une ambiguïté conceptuelle qui se trouve renforcée par les différents statuts selon lesquels le terme est utilisé.

Ainsi que le note Pierre Gilet[iii] « l’ambiguïté du terme de compétence vient de ce qu’il renvoie aux trois niveaux de langage. Il fait partie du langage objet et du langage théorique des sciences psycholinguistiques et psychologiques.

Mais c’est comme outil qu’il développe son emprise dans le domaine de l’éducation et de la formation. Il s’est imposé dans les programmes scolaires français de l’enseignement technologique, général, élémentaire ; il étend son influence dans l’approche par compétence dans les programmes québécois ;  il vient d’inspirer la réforme des programmes en Belgique. C’est bien, selon l’expression de Romainville, une « irrésistible ascension ». »

C’est bien cette ambivalence ou cette polysémie du terme qui nous fait recourir à ce terme dans notre recherche en le considérant, selon l’usage du ministère dans sa définition d’un socle commun de référence, comme le marqueur d’une réponse aux objectifs ministériels, en le considérant également dans ses acceptions issues du champs de la formation ou investies par celui-ci.

Selon Gillet[iv] on distingue fortement deux ordres d’acception. La première acception, commune, se subdivise pour recouvrir deux notions proches, l’une procédant de l’autre. D’abord, compétence — dérivant de competere, revenir à, et de competentia[v] (Bloch et Wartburg, 1960) — est un terme juridique s’appliquant aux attributions d’une instance, à sa capacité, et à celle des personnes qu’elle mandate, de traiter d’une catégorie d’affaires.

[i] Condorcet, Rapport sur l’Instruction publique, présenté à l’Assemblée nationale législative des 20 et 21 avril 1792

[ii] Richard Wittorski, De la fabrication des compétences, in L’éducation permanente, n°135, La compétence au travail, 1998

[iii] Pierre Gillet, Pour une écologie du concept de compétence , in L’éducation permanente, n°135, La compétence au travail, 1998

[iv] Pierre Fillet, ibid.

Noam ChomskyDe cette acception première découle celle, seconde, qui s’applique à la maîtrise acquise par un individu dans un domaine d’activités, notamment professionnelles, lui donnant le droit de porter un jugement sur ce qui y est produit, ou s’y produit.

Il peut être intéressant de souligner le lien entre la légitimité par délégation, légale, institutionnelle, et l’autorité, émanant de la maîtrise d’un savoir-faire que l’on va retrouver, par exemple, dans l’idée de référentiel de compétences, qui fait à la fois fonction juridique dans le cadre de l’évaluation et des examens, et qui, en même temps, définit les termes d’une excellence professionnelle.

L’autre ordre d’acception, plus savant qui vient compléter les ordres de sens plus communs et, dans le cadre d’une réflexion sur la formation étayer la pertinence ce concept est importé par la linguistique : Chomsky (1971)[vi] détermine la compétence linguistique comme un système de règles intériorisé par un individu, lui permettant de comprendre et d’émettre dans une langue une infinité d’énoncés acceptables.

La performance actualise, dans une situation particulière de communication, la compétence du sujet. Ce que Chomsky détermine et qui enrichit la notion de compétence dans un contexte éducatif désigne la relation de l’extérieur vers l’intérieur, et surtout la perception d’un virtuel, d’un possible et l’effectif, le réalisé et le réalisable ou à réaliser.

Ce concept de compétence, comme intériorisation d’un système et comme capacité à mettre en œuvre celui-ci, avec pertinence, dans une situation donnée.  « L’approche par compétences en éducation est ancrée dans des situations. Ces dernières deviennent alors le point de départ des activités d’apprentissage. Elles sont le cœur des approches par compétences.

Dans cette perspective, au moyen d’une compétence, un sujet mobilise, sélectionne et coordonne une série de ressources pour traiter efficacement une situation. Une compétence suppose, au-delà du traitement efficace, que ce même sujet pose un regard critique sur les résultats de ce traitement qui doit être socialement acceptable.[vii] »  Ainsi, la compétence est alors envisagée sous l’angle de la capacité que possède un individu de gérer son potentiel en situation. P. Pastré[viii] souligne quant à lui l’importance d’une analyse réflexive du sujet pour être cet acteur, pour lui être compétent, c’est « savoir comprendre et analyser ce que l’on fait ».

Le concept de compétence de par sa polysémie apparaît dans ce travail de recherche comme un pont conceptuel entre le cadre scolaire et l’enseignement musical, en effet la notion de compétence nous apporte une vision renouvelée de l’apprentissage et de la pratique musicale.

[v][v] Oscar Bloch et Walther von Wartburg,  Dictionnaire étymologique de la langue française, 3e éd., Paris, P.U.F., 1960.

[vi] Noam Chomsky, Aspects de la théorie syntaxique,  Le Seuil, 1971.

[vii] Philippe Jonnaert, Compétences et socioconstructivisme, Bruxelles, De Boeck Université, 2002

[viii] P. Pastré, L’ingénierie didactique professionnelle in Traité des sciences et techniques de formation, Dunod

Par exemple, la notion d’intériorisation d’un système et sa capacité à l’actualiser décrit de façon particulièrement intéressante la pratique musicale : l’intégration d’un système (le codage/décodage de la participation, l’ensemble des règles harmoniques, rythmiques) et son actualisation quand le musicien « joue » de son instrument.

Pour citer ce mémoire (mémoire de master, thèse, PFE,...) :
Université 🏫: Université Charles de Gaulle – Lille III - UFR Sciences de l’Education
Auteur·trice·s 🎓:
Djanet Aouadi

Djanet Aouadi
Année de soutenance 📅: Mémoire de Master 2 Recherche - 2008/2015
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